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Restauration de l'état et gouvernance économique

par K. Selim

La remise en ordre de l'économie russe connaît une nouvelle phase avec l'introduction d'une loi qui réprime pénalement les délits d'initié. A la faveur de la crise qui touche durement le secteur financier, les autorités moscovites ont décidé d'un tour de vis supplémentaire à l'égard des phénomènes de corruption et de conflit d'intérêts qui ont gravement atteint l'autorité de l'Etat et mis en péril les équilibres financiers du pays. Dorénavant, les individus convaincus de délit d'initié seront passibles d'une peine de sept années d'emprisonnement alors que jusqu'à présent la seule sanction encourue était purement réglementaire.

Ce durcissement de la législation intervient à un moment où les autorités russes tentent de maîtriser, dans le contexte de la crise économique mondiale, la chute du rouble, le ralentissement de la croissance et une fuite accrue des capitaux. Les marchés boursiers russes ont perdu les deux tiers de leur valeur à la fin 2008. La lenteur dans la remise en ordre du catastrophique héritage eltsinien s'explique par l'ampleur des phénomènes mafieux qui ont gangrené une partie importante de l'administration. Le libéralisme échevelé dans lequel s'était engouffrée la Russie avait eu pour emblème les oligarques, ces multimilliardaires en dollars qui, très soutenus par les Occidentaux, avaient pénétré les rouages de l'Etat et profité de la grande braderie postsoviétique.

Les premières décisions de Poutine en 2000 avaient justement consisté dans la reprise en main des ressources stratégiques du pays, le pétrole et le gaz notamment, et la mise au pas de nouveaux riches qui avaient placé l'économie en coupe réglée. Il est facile de conclure aujourd'hui que sans ces mesures, la situation du pays serait aujourd'hui beaucoup plus difficile. Les partenaires occidentaux de la Russie, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en particulier, avaient très mal accepté ces décisions, attribuant à Vladimir Poutine des arrière-pensées de restauration de l'ordre communiste. Les Anglais qui nourrissaient des vues sur les réserves sibériennes ont été, on s'en souvient, parmi les critiques les plus véhéments des décisions du Kremlin. A l'évidence, le désordre et l'effritement de l'autorité de l'Etat ont profité à des milieux à cheval entre politique et monde des affaires.

Tant Poutine que son successeur Dmitri Medvedev ont maintes fois réitéré l'impossibilité du retour à l'ordre soviétique, insistant sur la réhabilitation du rôle de l'Etat dans l'économie de marché, impératif vital pour assurer le développement du pays et le renforcement de sa crédibilité internationale. La gouvernance économique de la Russie dans le sens des intérêts du pays impliquera sans doute d'autres mesures d'encadrement des marchés financiers. D'ores et déjà des voix s'élèvent pour réclamer la réorganisation du secteur bancaire. L'ouverture désordonnée a vu l'apparition de plus de 1.200 banques, dont certaines au bord de la faillite sont grandement responsables de la fuite des capitaux et de la spéculation contre le rouble. C'est sur ce terrain, dangereux, que se situera probablement l'action des dirigeants de Moscou dans leur très complexe opération de reconstruction des institutions. La crise pourra paradoxalement les aider à mener à bien leurs projets.