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La santé en Algérie : quel plan D action pour un système en déroute ?

par Kamel Bourenane *

À lire la synthèse des thèmes qui ont été débattus lors des assises nationales de la santé qui ont eu lieu en juin 2014, le problème du système de santé en Algérie est, fondamentalement, technique et c’est pourquoi que nos techniciens ont été appelés massivement à participer activement pour trouver les solutions appropriées.

Cette affirmation officielle était le sujet essentiel des exposés et débats durant les deux jours d’assises où il n’y avait de la place que pour les discours incantatoires, généraux et généreux, qui pèsent sans doute moins pour ce qu’ils énoncent, que pour ce qu’ils résonnent. «On a discuté de vraies solutions à des faux problèmes, des fausses solutions à de vrais problèmes, mais jamais de vraies solutions à de vrais problèmes.» m’a commenté dans un message un haut cadre participant à ces assises nationales de santé.

Pourtant, l’Algérie possède tous les atouts pour un système de santé efficient. Mais hélas un amateurisme déplorable et un manque de rigueur à la limite de la complicité n’offrent plus d’alternative crédible à un système déroutés, faute d’une vision claire, de compétence et d’une volonté d’aller de l’avant. En d’autres termes, tout se passe et se fait comme un véritable pilotage à vue.

Le problème du système de santé en Algérie n’est pas technique comme certains ont tendance à le faire croire, mais il est éminemment politique et il n’y a pas de politique, moins encore de priorité politique en matière de santé depuis un peu plus d’une vingtaine d’années. C’est ce qui fait que notre système de santé est complètement dépassé et inadapté aux besoins de la population algérienne.

À cet égard, en Algérie et en 2014, par ignorance ou stratagème, on continue de considérer et même de soutenir mordicus un système de santé qui se limite à la médecine curative, c’était le cas en Europe du siècle passé. En clair, on continue de sur accentuer la médecine curative et on néglige la promotion préventive de médecine et de santé.

En effet et durant les assises sur la santé de juin dernier, aucune intervention n’a fait référence, tout au moins, à titre indicatif à la médecine préventive et à la santé publique moderne. Tout s’est passé comme si les succès que pourrait apporter la médecine curative avaient éclipsés ceux de la prévention et de l’hygiène publique.

Il est important de rappeler que la médecine préventive repose principalement sur le rôle reconnu de l’environnement comme facteur déterminant de la santé et qu’on nomme communément la santé environnementale. En Algérie, les autorités publiques ne considèrent pas encore la nécessité de mettre en œuvre des politiques en matière de santé environnementale et c’est ce qui fait qu’en santé publique, on n’en accorde aucune importance, même restreinte et les assises sur la santé insinuent bel et bien que la santé environnementale ne fera pas partie de sitôt du vocabulaire de nos autorités publiques.

Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) «La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité». Il s’agit d’un concept large, influencé par de nombreux déterminants indépendants: facteurs génétiques (hérédité), biologiques (vieillissement), socioculturel (ressources, activité professionnelle, logement), comportementaux liés au mode de vie (nutrition, activités physiques, tabagisme, toxicomanie), environnementaux (danger biologique, chimique et physique) ainsi que par l’accessibilité à des services de santé de qualité.

La notion de la santé environnementale a été ainsi développée par l’OMS: « la santé environnementale recouvre les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, biologiques, sociaux et psychosociaux de l’environnement. Elle renvoie également à la théorie et à la pratique d’évaluation, de correction, de contrôle et de prévention de ces facteurs dans l’environnement qui potentiellement peuvent porter préjudice à la santé des générations actuelles et futures.»

Cette définition de l’OMS établit clairement que l’environnement est un facteur déterminant dans les questions de santé. Elle souligne aussi que la notion de santé environnementale concerne également les actions permettant de prévenir et de corriger les nuisances environnementales qui peuvent être à l’origine de troubles ou de maladies d’où le slogan de l’OMS «l’environnement d’aujourd’hui, la santé de demain».

Il est donc primordial d’élaborer des politiques dans les différents domaines d’activités (l’industrie, les transports, l’agriculture, la construction, etc.) qui tiennent compte de leurs impact non seulement sur l’environnement mais aussi sur la santé.

Si l’environnement et la santé sont des notions d’apparence simple, force est de constater que les tenants et les aboutissants (dangers/risques/conséquences) de cette relation sont extrêmement complexe et un bref aperçu de cette complexité mérite d’être souligné:

1. DANGER LIE AUX TRANSFORMATIONS ENVIRONNEMENTALES ET AUX TECHNOLOGIES CONTEMPORAINES

Il est important de différencier les notions de «danger» et de «risque». Ainsi, le danger (qualitatif) est le potentiel que possède un agresseur quelconque (biologique, chimique, physique) d’exercer un effet négatif sur la santé. Quant au risque (quantitatif), c’est la probabilité de provoquer les effets néfastes pour la santé après une exposition aigue ou chronique à un danger.

Il existe quatre groupes de dangers (agresseurs) qui sont classés généralement en santé environnementale selon leur nature (biologiques, chimiques, physiques et autres) et les vecteurs d’exposition sont l’eau, l’air intérieur, l’air extérieur ou l’alimentation.

1.1 DANGERS BIOLOGIQUES

Les dangers biologiques découlent de l’exposition à toutes les formes de vie et à leurs sous produits qui sont les toxines. Les infections acquises par transmission direct qui ont la plus forte incidence de nos jours sont les maladies sexuellement transmissibles (syphilis, gonorrhée, trichonomiase…). La transmission par voie aérienne véhicule des microorganismes qui sont responsables surtout des infections respiratoires qui représentent actuellement la plus grande cause de mortalité par maladies infectieuses. Les infections hydrique représentent un autre grand problème de santé publique et la contamination de l’eau résulte souvent de la gestion inadéquate des déjections humaines ou animal et peut être fatales ou causer des séquelles permanentes : choléra, fièvre, typhoïdes…

Les expert de l’organisation mondiale de la santé ont de quoi rester perplexes devant le cas algérien où des collines d’ordures arborent nos villes, des infections se déclenchent fréquemment dans même les hôpitaux et les épidémies surtout de type MTH (maladie à transmission hydrique) qui se produisent même en hiver, du moment que ce type d’épidémie ne se déclenchent qu’en été. Cette situation dramatique est un indicateur de recul des services publics dans le domaine de l’hygiène du milieu, du cadre de vie, de la protection de l’environnement et de la lutte contre la pollution et nuisances.

1.2 DANGERS CHIMIQUES

Ce sont des substances toxiques, c’est-à-dire, des substances ayant une capacité inhérente de provoquer de divers problèmes physiologique et pathologiques dans un organisme vivant : irritation, effet neurologique, génétique, cancérogène, etc. Les produits chimiques sont habituellement divisés en deux groupes (inorganique et organique) et se subdivisent par la suite en sous groupe. Les substances inorganiques qui présentent un danger pour la santé publique sont de trois groupes :

a) Les métaux : on peut citer juste quelques exemples puisque la liste est langue, comme l’arsenic et le cadmium qui sont cancérogènes, le plomb et le mercure qui sont neurotoxiques et peuvent causer des lésions permanente.

b) Les agents corrosifs : ils sont constitués des acides et de bases fortes, ils causent de graves irritations cutanées, oculaires et respiratoires. Certains polluants atmosphériques comme l’ozone stratosphérique et les oxydes d’azote, ont également un pouvoir irritant.

c) Les halogènes comme le fluor, l’iode, le brome. Le fluor et le chlore sont des gaz qui provoquent de sévères irritations des voies respiratoires. Les composés à base d’halogène sont très toxiques comme les fluorures et l’acide chlorhydrique.

Les substances organiques : elles sont très nombreuses et sont classées en plusieurs dizaines de groupes. Aux fins de cette présentation sommaire, on retiendra les hydrocarbures et leurs dérivés.

Les hydrocarbures simples (aliphatiques) comme le propane et le butane, ont un effet dépresseur sur le système nerveux.

Les hydrocarbures aromatiques ont une molécule de benzène qui est cancérogène chez l’humain à la base de leur structure.

Les hydrocarbures polycycliques (HAP) engendrés par la combustion des matières organiques, dont un certains nombre d’entre eux sont cancérogènes et très persistants dans l’environnement.

Les hydrocarbures aliphatiques chlorés et leurs dérivés comme le perchloroethylène utilisé comme solvant, le di et trichlorométane, plusieurs pesticides organochlorés et d’autres rejets polluants comme ceux des fabriques de pate à papier qui utilisent le chlore comme agent blanchiment sont très persistants dans l’environnement et peuvent être cancérogène ou neurotoxiques.

En Algérie, puisque tout se déroule dans l’opacité totale, il n’existe aucune statistique, aucune étude moins encore de projets de recherches ou d’évaluations précises. En effet, on ne sait pas encore quel est l’État des lieux des expositions aux produits cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction (CMR)? Quels sont les agents chimiques et procédés CMR utilisés? Quand aura lieu l’inventaire national des rejets de polluants? Combien de personnes souffrent de maladies professionnelles dues aux substances chimiques? Combien de travailleurs sont exposés à des substances carcinogènes? Combien de travailleurs respirent des fumées et vapeurs (solvants organiques, poussières de bois, etc.) et pendant combien de temps? Ce questionnement est un indicateur fort qui nous renseigne sur la triste réalité dans laquelle se trouve le système de santé en Algérie.

1.3 DANGERS PHYSIQUES

Les dangers physiques découlent de l’exposition aux bruits et vibrations ainsi que des rayons ionisants et non ionisants. Il est à noter qu’aucune norme n’est appliquée en Algérie relative à l’intensité du bruit au milieu de travail ou ailleurs. En ce qui concerne les champs électromagnétiques produits par les lignes de hautes tensions à une fréquence de 50 à 60 Hz, des études épidémiologiques indiquent une association possible avec certains cancers chez l’humain. En outre, l’exposition chronique ou forte aux rayonnements ionisant cause un cancer. L’origine des rayant ionisants peuvent être naturels (radon dans certaines résidences, rayons cosmiques) ou anthropiques (radiographies et médecine nucléaire).

1.4 AUTRES TYPES DE DANGERS :

Il s’agit notamment de dangers de nature mécaniques et au stress. Comme danger mécaniques, mentionnons, les catastrophes naturelles (inondations, tempêtes, tornades…) dont la fréquence est notablement augmentée depuis les années 90 et les changements climatiques sont la première causes de l’accroissement de ces désastres.

Le stress, parfois considéré comme un «danger psychosocial», fait partie de la vie quotidienne, mais lorsqu’une personne devient incapable de le gérer, il apparait un ensemble de réactions négatives de nature psychiques (dépression, violence, malaise psychosomatique ou suicide) ou physique (hypertension, ulcères gastriques). L’exposition au stress est d’autant plus marqué que le degré d’incertitudes ou d’incapacité d’agir sont importants.

2. GRANDS PROBLEMES CONTEMPORAIN DE SANTE LIES A L’ENVIRONNEMENT

On peut déceler plusieurs groupes de problèmes de santé liés aux agresseurs cités plus haut et aux conditions de dégradation de l’environnement. Il s’agit notamment et globalement : d’infections respiratoires aigues, gastro-entérites, maladies cardiovasculaires, cancer et de maladies respiratoire chroniques.

Outre le coût humain inestimable et aux répercussions désastreuses, les coûts financiers découlant des maladies environnementales sont exorbitants et pèsent lourdement sur le budget de la sécurité sociale. C’est ce que soulignent plusieurs cadres : «l’augmentation des maladies environnementales risque d’ailleurs de grever la sécurité sociale de frais de plus en plus importants».
Il n’existe pas d’évaluation précise mais l’on sait par exemple que les substances dangereuses coûtent des centaines de millions de dollars par an à l’économie algérienne sous forme de frais directs et d’indemnités de maladie.

3. QUOI FAIRE ET PAR OU COMMENCER?

Tout d’abord, il important de rappeler que les politiques publiques doivent avoir pour objectif de structurer et d’orienter l’action des divers secteurs d’intervention publique. Effectivement, face à la complexité des problèmes, ces politiques doivent, aujourd’hui, faire appel de plus en plus à l’intersectorialité. La formulation de politiques intersectorielles efficaces nécessite des interactions entre de nombreux acteurs provenant de secteurs variés et de paliers différents. Ainsi, la mise à profit des connaissances lors de la formulation implique la mise en commun d’expertises diverses ayant des représentations différentes des problèmes et solutions. Le recours aux connaissances dans le cas de formulation de politiques publiques constitue un enjeu de taille. La mise en commun d’expertises variées pour une même politique est un défi et une urgence pour l’Algérie afin de remédier à ce système de santé en déroute.

Dans cette dynamique, le premier pas de l’Algérie en matière de santé environnementale serait de s’engager à préparer un plan d’action national environnement-santé qui constituera un cadre de référence rassemblant les actions visant à prévenir, réduire, voire à éliminer les risques liés aux relations entre l’environnement et la santé. En Algérie, tout est à créer en matière de santé environnementale, à commencer par établir des liens entre les structures existantes de l’environnement et de la santé, constituer des bases de données sur les aspects environnement-santé, établir des priorités de recherche, et par la suite développer une politique de prévention, de formation, d’information, de sensibilisation et d’éducation sur les relations entre l’environnement et la santé.

Dans ce sens et au niveau régional, il est nécessaire de mettre en ouvre des plateformes scientifiques environnement-santé qui auront comme missions, entre autres, de rédiger des plans régionaux d’action environnement-santé pour concrétiser les recommandations du plan national environnement-santé, d’évaluer les risques sanitaires liés à l’environnement, de conseiller les pouvoirs publics sur les mesures à prendre et d’apporter au public des informations objectivées sur les relations entre la santé et la qualité de l’environnement.

* M. Sc. – Université de Montréal Spécialiste en évaluation des risques professionnels et environnementaux