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DE LA RESPONSABILITE DES BANQUES CENTRALES

par Akram Belkaid, Paris

La crise économique et financière qui secoue actuellement l’Europe va-t-elle remettre en cause certains dogmes, à commencer par celui de l’indépendance de la Banque centrale européenne (BCE) ? On le sait, cette indépendance a pour but de soustraire l’institution monétaire aux pressions des pouvoirs politiques, ces derniers pouvant être tentés d’user de la planche à billet - et donc de l’inflation-pour faire face aux difficultés économiques. En termes de bilan depuis sa création, il faut ainsi reconnaître que la BCE a réussi son combat contre l’inflation dans la zone euro. Mais à quel prix ? La question se pose aussi pour la Réserve fédérale étasunienne (Fed) dont l’action durant ces quinze dernières années est de plus en plus critiquée.

DES MACHINES A FABRIQUER DES BULLES SPECULATIVES

Que reproche-t-on à ces deux banques centrales ? C’est simple, par leur laxisme en matière de supervision bancaire, elles ont laissé filer plusieurs bulles spéculatives, ce qui a fini par déboucher sur de graves crises économiques et financières. Aux Etats-Unis, la Fed n’a pas pu ou voulu freiner l’emballement des subprimes et la course à l’endettement de nombreux ménages américains. En Europe, la BCE s’est tellement focalisée sur la stabilité des prix, qu’elle n’a pas assez prêté attention aux dérapages des comptes publics et à l’explosion de l’endettement de nombreux Etats dont ceux d’Europe du sud. Plus grave encore, des économistes accusent aujourd’hui la BCE d’avoir aggravé la crise en juillet 2008 en augmentant ses taux d’intérêts alors que c’était bel et bien le moment de faire l’inverse en injectant de l’argent frais dans les circuits interbancaires.
En février 2007, l’économiste Antoine Brunet relevait déjà dans une note de recherche publiée par la banque HSBC que cinq récessions internationales (1973,1980,1982,1990 et 2001) avaient toutes été « enclenchées par les grandes banques centrales toujours en réaction à un risque inflationniste devenu majeur à leurs yeux », d’où la nécessité de prendre en compte le rôle et l’action de ces institutions monétaires dans la construction d’une théorie du cycle économique et de la récession. De fait, ces banques centrales ne sont pas des acteurs neutres ou objectifs. Leur action s’appuie aussi sur des éléments idéologiques pour ne pas dire partisans. Alan Greenspan, patron de la Fed de 1987 et 2006 ne l’a jamais caché. Il a, par exemple, toujours estimé que les marchés financiers s’autorégulaient grâce à la fameuse « main invisible » et qu’il n’y avait nul besoin pour la Fed d’encourager une trop forte régulation. On a vu à quoi cette permissivité a mené…
Faut-il pour autant mettre les banques centrales sous tutelle ? Il est évident que l’on retomberait alors dans l’extrême inverse, c’est-à-dire dans la situation où les Etats seraient tentés de faire fonctionner la planche à billet pour compenser les effets des difficultés économiques, qu’elles soient ou non conjoncturelles. Le résultat le plus immédiat serait une hausse de l’inflation et, bien entendu, une perte de confiance des marchés financiers ainsi qu’une dilution de l’épargne des ménages. En réalité, l’indépendance des banques centrales ne peut aller de pair qu’avec l’existence d’organismes régulateurs forts. Banques, marchés financiers, qu’ils soient ou non réglementés, ont bénéficié durant ces dernières années d’un réel laxisme en matière de régulation et de supervision. Ainsi, nombre de gendarmes boursiers et d’autorités financières, à commencer par la Secutities Exchange Commission (SEC) aux Etats-Unis, ont-ils vu leurs moyens financiers et humains sans cesse diminuer. Comment s’étonner ensuite des multiples dérapages que la crise de 2008 a mis en évidence ?

LA BCE NON RESPONSABLE ?

Cela étant précisé, il reste tout de même que la Banque centrale européenne (BCE) jouit de trop d’indépendance. Voilà une institution financière dont le président - qui n’est pas élu par les peuples européens - n’est responsable devant aucune juridiction ou parlement et dont le renvoi est quasiment impossible. C’est là un cas rare et étonnant de dirigeant qui ne doit rendre des comptes à personne, qu’il s’agisse des gouvernements européens (dont l’existence est liée à des scrutins électoraux) ou des parlements, qu’ils soient nationaux ou européen. Et la situation devrait rester inchangée puisque l’Allemagne s’oppose à toute modification du statut de la BCE, quitte à ce que les erreurs du passé récent se reproduisent encore.