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Les walis de la République - Entre l'autorité des uns et l'autoritarisme des autres !

par Cherif Ali

Vous devriez vous libérer du réflexe de l'hésitation, prendre des initiatives et faire preuve d'audace ; cet esprit doit prévaloir en cette période où nous affrontons beaucoup de défis relatifs à des projets stratégiques comme les sécurités énergétique, alimentaire et financière.

Vous devriez imposer votre autorité sans autoritarisme, avec des méthodes civilisées ! L'opérateur économique est un compagnon de route, pas un adversaire ! Telles sont les orientations maintes fois réitérées aux walis de la République par le Président Tebboune excédé, peut-être, par les agissements d'un certain nombre d'entre eux. Ils sont souvent accusés de se donner en spectacle et d'abuser de leur pouvoir devant les caméras de télévision.

Et les exemples de ces walis atypiques sont légion :

On se rappelle encore de ce wali qui s'était retrouvé au cœur d'une autre grosse polémique à la suite de son attitude jugée «hautaine et méprisante» à l'égard d'une institutrice qui se plaignait du manque de moyens dont souffrait son établissement. L'intéressée, avait essuyé les foudres du wali après lui avoir fait remarquer que les pupitres des élèves «dataient de l'époque coloniale» !

Un autre wali s'en est pris à des entrepreneurs locaux, défiant même l'un d'entre eux en son absence en ces termes : «Honte à lui ! S'il était un homme, il serait venu nous affronter !». Quatre jours plus tard, c'est au tour d'un autre wali de créer la polémique en sermonnant un directeur d'école dont l'établissement n'est pas connecté à Internet.

Il faut dire aussi que lors de leurs visites d'inspection, certains walis se font tour à tour ingénieurs, médecins, agronomes ou informaticiens, selon les circonstances, et distribuent ordres et recommandations dans des domaines qu'ils ne maîtrisent parfois pas du tout.

Comme ce wali qui s'interrogeait sur de la situation d'un enfant qui avait été opéré pour une fracture à la jambe;sesubstituant aux médecins qui avaient pris l'enfant en charge et au chirurgien qui l'avait opéré avec succès, il avait ordonné l'évacuation du jeune patient vers une autre structure médicale alors que son cas ne présentait aucune urgence et ne nécessitait aucune prise en charge particulière !

Tous ces faits nous ramènent aux premières années de la présidence d'Abdelaziz Bouteflika qui ne se privait pas d'humilier ministres, walis et hauts responsables devant les caméras de télévision. Beaucoup de walis ont, semble-t-il, pris exemple sur lui, passant leurs nerfs sur les chefs de chantier ou les maires pour se mettre en lumière et obtenir des promotions, voire des postes ministériels.

Ceci étant dit, on imagine parfois la carrière des walis comme une vie reposante et douillette de hauts fonctionnaires jouissant des ors de la République, dans un confortable ennui.

On a tort et ce, pour plusieurs raisons :

D'abord parce que les walis sont en première ligne pour la mise en œuvre des politiques publiques de l'Etat au niveau local, notamment pour le maintien de l'ordre public ; dans ce domaine toute faute peut entraîner une révocation immédiate par le pouvoir politique.

Ensuite parce que la pression politique sur les walis s'est accentuée avec le temps, ils doivent composer avec une sphère politique locale dont les impératifs ne recoupent pas toujours parfaitement, avec ceux de l'administration dont le wali incarne l'autorité.

Enfin parce que le représentant de l'Etat épousant les évolutions de cette dernière, s'impose avec le temps une dimension plus managériale de son action, une obligation de résultats et de rendre des comptes à l'autorité politique, voire à la population, le tout avec des ressources de plus en plus limitées.

Il faut savoir aussi que la nomination des walis n'obéit pas à des principes fixes. D'ailleurs il n'existe nulle part et, a fortiori, dans la fonction publique, un profil de carrière-type, contrairement à l'entreprise où l'actionnaire principal désigne son dirigeant, ce qui n'a en soi rien de scandaleux.

Mais, pour couper court à toute spéculation, on met en avant le principe du pouvoir discrétionnaire qui échoit à l'autorité investie du pouvoir de nomination; celle-ci n'a pas à justifier son choix. Dans le communiqué qui est rendu public, il n'est jamais expliqué, ni le choix ayant présidé à la désignation, ni le motif justifiant la mutation, encore moins la nature des griefs prévalant à la cessation de fonctions des walis.

Et le limogeage du wali de Blida en est la parfaite illustration.

Quel serait, alors, le profil du wali idéal ?

Un journaliste s'est interrogé dans ce sens : «N'a-t-on pas dans nos escarcelles des grands corps d'Etat des walis à même d'égaler dans la créativité œuvrière, ceux ayant marqué les annales françaises tels Berthelot de Rambuteau, qui est à l'origine du projet de la grande avenue des Champs-Elysées, ou Eugène Hausmann promoteur de la chaussée et des trottoirs de Paris ?»

En réponse, il a cité l'exemple du gouverneur d'Alger, Chérif Rahmani, qui a osé«consacrer au moins une route centrale dédiée éternellement aux piétons.»

Il faut dire cependant que la piétonnière, car c'est de cela qu'il s'agit, n'a pas résisté longtemps aux tenants du marché informel et qu'elle a fini, au grand dam de ses usagers, par reprendre sa vocation initiale : la circulation automobile.

Dans ce registre des walis ayant marqué leur passage, il est permis de citer, à titre non exhaustif et pour l'histoire :

* Madoui Abdelaziz pour sa mise en œuvre du programme spécial dans la wilaya de Saïda notamment.

* Ghazi Ahmed à qui on doit les pénétrantes résultant des études du Comedor.

* Khatib Djelloul et son programme ambitieux «Oran 2025».

* Aktouf Rachid qui a pris à cœur la reconstruction de Chlef de l'après-séisme et aussi pilote à ses heures.

Au registre des souvenirs, outre le regretté wali de Tissemsilt, Bellal, victime du terrorisme, il faut se remémorer, également, les 15 premiers préfets d'Algérie, Abdellah Fadhel, Abderrezak Bouhara, Slimane Hoffman, Souiyah et tous ceux qui, comme eux, ne sont plus de ce monde mais qui ont laissé des marques indélébiles, de celles des bâtisseurs, à une époque où le pays ne disposait pas des moyens et des budgets d'aujourd'hui !

Comment ne pas avoir une pensée particulière pour Chaâbane Aït Abderrahim, truculent wali d'Alger, qui avait animé une émission, en direct s'il vous plaît, sur les ondes de la radio nationale, qui a rencontré un succès certain auprès des administrés et qui a permis le règlement de pas mal de problèmes en souffrance.

Une idée à reprendre si l'on prétend prendre encharge la réforme du service public, donner un sens à ce même service public, privilégier l'écoute, renforcer la proximité, travailler avec les associations et, partant, mettre en avant cette démocratie participative tant louée ! Aujourd'hui, force est d'admettre qu'on est loin des walis quatre étoiles dont faisaient partie Baghdadi Laalaouna, Khelifa Bendjedid ou Merazi Rachid, pour ne citer que ceux-là. Ce dernier d'ailleurs a eu cette très belle formule pour définir la fonction : «Le wali en Algérie est un homme de lumière dans ce qu'il fait d'anecdotique et un homme de l'ombre dans ce qu'il fait d'important.»

Pour l'heure, le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement territorial, Brahim Merad, devrait dorénavant assigner aux walis des «objectifs» et les évaluer sur la base d'une feuille de route loin des subventions d'équilibre octroyées jusque-là très généreusement par les pouvoirs publics. Il faudrait pour cela, que les walis, crise oblige, aillent chercher de l'argent pour investir et créer de l'emploi localement. En un mot, se transformer en «managers » pour faire fonctionner les collectivités locales comme de véritables entreprises !

La tâche n'est pas insurmontable, elle passerait par un choix judicieux des hommes une réforme audacieuse des finances et de la fiscalité locale ce qui conférerait aux édiles plus de pouvoirs en matière de foncier et de recouvrement d'impôts locaux et du code communal et de la wilaya, sachant que pour ce dernier texte, l'administration centrale du ministère de l'intérieur s'attèle à mettre la dernière touche.

Et dans la foulée, pourquoi ne pas penser à nommer des «walis délégués à la sécurité » pour se consacrer entièrement aux affaires de sécurité et de drogue, ce fléau qui fait des ravages dans nos contrées.

Et dans les 14 wilayas côtières du pays, désigner des «walis-maritimes » avec comme missions essentielles la préservation du littoral, l'expansion de l'économie touristique et la lutte contre la Harga !

Ceci étant dit et malgré une rente importante, nos walis continuent à gérer le quotidien par des méthodes qui se caractérisent par un sérieux déficit de communication, malgré les exhortations du président de la République, qui aimerait les voir investir le terrain en managers du développement, en médiateurs de la République et, surtout, se rapprocher de la population tout le temps et non pas le temps d'une visite officielle.

A tous les niveaux de la chaîne, tout le monde se couvre ; chacun agit avec l'idée de se prémunir en cas de pépin ! Résultat, une forme de fébrilité s'est emparée notamment des walis. Personne ne veut risquer d'être identifié à l'origine d'une faute. Il n'est pas exclu que de nouveaux walis soient ainsi désignés en remplacement d'une cohorte d'entre ceux qui ont failli et ainsi prendraient la porte !

Traditionnellement, les walis changent de wilayas tous les 5 ans en moyenne. L'idée est d'empêcher qu'ils ne s'attachent trop aux intérêts de leur région ou créent des liens trop proches avec les notables ou les hommes d'affaires locaux.

Si mouvement il y aura, personne ne se privera, en fonction de sa propre analyse, de citer tel ou tel cas d'abus, de favoritisme, même si cela peut relever parfois du domaine anecdotique. Ce qui est sûr, c'est qu'il provoquerait des disponibilités et des ouvertures de carrière en chaîne et introduirait de la souplesse et créerait une nouvelle dynamique dans la sphère où il est opéré. Une remarque toutefois concernant des secrétaires généraux de wilayas qui sont promus walis au bout de 15 à 18 années de fonctions. A l'usure donc !

Alors qu'en stagnant dans leurs postes durant toute cette période, ils ont largement démontré, à l'insu de leur plein gré comme dirait l'autre, qu'ils n'étaient pas éligibles à cette fonction !

Sur un autre plan, s'il est bon de «diversifier» les origines dans la nomination des walis, certains d'entre eux n'ont aucune culture du corps faute, d'avoir effectué des «aller retour » entre l'administration centrale et locale. En plus, l'acclimatation se faisait plutôt chez les chefs de daïras. Après cette formation sur le tas qui durait un certain temps, le concerné était promu wali.

Depuis, les nominations de personnalités venues de l'extérieur ont troublé cet ordre, notamment dans les années 1990.

Et la greffe n'a pas pris. Tout comme l'ascenseur pris par certains walis promus ministres puis rétrogradés walis avec statut de ministres. Une incongruité bien algérienne !

Il faut admettre toutefois que les walis ne sont pas réellement dotés des pouvoirs exorbitants qu'on leur prête :

La première limite, a précisé quelqu'un, se trouve au niveau de la conception - même - de la fonction : leur action est noyée dans une multitude de tâches qui grèvent leurs capacités de réflexion et de planification. Des avaloirs bouchés aux ordures ménagères, en passant par la voierie, leur énergie se consume dans des missions censées être accomplies par les APC et les services spécialisés. À force de s'occuper de tout, le wali donne parfois l'impression de ne s'occuper de rien... comme il se doit.

La seconde tient à l'interventionnisme étouffant des administrations centrales à travers un fatras de circulaires et de messages qui entravent leurs actions en compliquant les procédures. Prenons l'exemple de la capacité du wali à affecter des terrains pour l'investissement. Depuis l'été 2011, les wilayas ont attribué des dizaines de milliers d'hectares de terrains d'investissement. En cinq ans, peu de projets ont connu une avancée sur le terrain et un nombre insignifiant a été achevé et mis en exploitation.

D'ailleurs, l'explication vient des walis eux-mêmes : complexité des procédures administratives dont les solutions dépendent des multiples intervenants aux niveaux central et local. En résumé, si le wali affecte les terrains, le reste des procédures lui échappe dans une large mesure.

Les walis sont «ciblés» : est-ce à dire qu'ils vont porter le chapeau, alors que les P/APC qui ont pourtant bénéficié d'une formation appropriée, de l'augmentation de leurs salaires et de l'apport non négligeable de plus de 5 000 cadres entre ingénieurs et architectes vont se tirer indemnes du désastre du développement local ?

On leur reproche leur absence de réactivité concernant notamment les attributions de logements sociaux et le retard dans l'exécution dans les opérations de développement local !

On leur aussi fixé un cap : créer de la richesse et de l'emploi ! Certains d'entre eux n'ont pas caché leurs inquiétudes en affirmant : On ne peut pas réussir en 3 ans ce que nos prédécesseurs n'ont pas réalisé en 50 ans. Pour faire adhérer, massivement, la population à la démarche du gouvernement et cap fixé par le gouvernement, l'implication des élus est indispensable ; or, ces derniers, pluripartisme oblige, ne sont pas toujours en phase avec l'exécutif de wilaya, et de ce fait, l'objectif recherché devient, quasiment, impossible.

Pour les plus anciens qui échapperont au «mendjel», c'est clair, ils vont jouer la montre en attendant la prochaine rotation qui, par devers eux, viendra compliquer davantage leur vie de famille. Ils assureront le service minimum et se contenteront de prendre la pose à côté des ministres en visite dans leur wilaya.

Quant à ceux nouvellement promus, ils vont essayer de se décarcasser au mieux, apprendre à gérer tous les risques et surtout soigner leur communication, en évitant autant se faire que peu «les micros baladeurs» et d'éviter le buzz contre-productif !