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La colère d'Ahmed !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

80 ans d'âge mais nullement vieux. Toujours d'attaque et toujours sur le front. Lui, c'est Ahmed Benyahia, l'artiste peintre et sculpteur (et qui, au passage, a si bien campé, au cinéma, certains personnages illustres de notre histoire). On l'a connu au début des années 60 alors qu'il était un des «meneurs» de la contestation (pacifique) pédagogique et politique des étudiants des Beaux- Arts d'Alger, puis croisé à la fin des années 60 alors qu'il était étudiant aux Beaux-Arts de Paris, et participant aux événements de Mai 68.

Rentré au pays (Constantine), s'étant mis à la sculpture (il a été l'élève du fameux César), il a dû subir les incompréhensions des autorités artistiques et autres de l'heure pour la simple raison qu'il était toujours, à leurs yeux, trop irrespectueux des règles officielles imposées et ses œuvres, pour certaines, ont été mises à l'écart. Ainsi que son nom effacé des tablettes. On l'a, aussi, entendu protester contre certains choix artistiques et architecturaux lors de l'«Année de la culture arabe» tenue dans sa ville natale, Constantine.

Voilà donc qu'il revient, cette fois-ci encore, sur la scène médiatique (heureusement qu'elle existe !), par le biais d'un «appel» tonitruant (sous forme de pétition signée par signatures à découvrir, une divine trouvaille. Voir El Watan du lundi 18 juillet 2022) «au président de la République», s'en prenant cette fois-ci, directement au wali de Constantine, accusé «d'agresser violemment plus de 2.000 ans d'histoire en ordonnant des travaux dits d'utilité publique à l'intérieur même d'un site protégé où se trouve l'unique monument intra-muros que sont les Arcades romaines (aqueduc)», monuments «classés patrimoine au début du XXe siècle et confirmés par les lois et réglementations de l'Algérie indépendante ».

Au-delà du geste de colère mais franc (car signé) et direct (car rendu public) de Ahmed Benyahia, se pose en réalité, l'éternel grand problème du strict respect par les autorités, surtout locales-mais cela peut s'étendre aux autres-des lois et réglementations en vigueur. Se cacheraient-elles -pour esquiver les erreurs de conception et des retards de réalisation, en amont, quand il n'y a pas d'autres calculs sordides (dont la corruption)-derrière l'«utilité publique» et le « programme du Président », les deux ayant décidément des dos bien larges ?

Au-delà du geste de colère, il y a cet irrespect, par bien des décideurs (les citoyens ne sont pas, aussi, indemnes de reproches), se généralisant, pour les témoignages physiques du passé pourtant protégés par des lois. Les pierres de ruines romaines et de magnifiques édifices religieux, détruits en bien d'endroits du pays,ont été utilisées pour construire des villas bien moches. Des rues ont été dépavées et les pierres ont disparu.

Des pièces archéologiques de valeur ont été «exportées». Même les monuments classés patrimoine national ou mondial ont été menacés, comme le Medghacen de Batna, comme cet édifice historique à Annaba, sauvés «juste à temps», grâce surtout à la mobilisation médiatique et populaire. Tout ceci sans parler de la «consommation» effrénée, par l'immobilier, de terres agricoles et de façades maritimes. Dans toutes ces conditions, il est tout à fait normal que le citoyen lambda et tout le monde de la culture et des arts s'inquiètent et/ou protestent. Ahmed Benyahia, «Ahmed-courage », en est un représentant de poids, pour son initiative bien originale (c'est là un trait permanent de sa personnalité) et courageuse, au risque de voir sa glycémie croître dangereusement. Son intervention de citoyen engagé sera-t-elle entendue ? Wait and see !