Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'emprise de l'argent, la prise de la politique

par El Yazid Dib

«Par la politique on arrive à l'argent, aux places et aux honneurs». Alphonse Karr (1808 - 1890)

N'est-ce pas aussi, en ces temps l'inverse qui se produit ? L'inspiration de cette chronique provient de cette affiche électorale qui n'a cessé de soulever mes méninges. Une photo : un homme, costume et cravate (évidement) «42 ans, ingénieur en physique, spécialiste en (hendassa) nucléaire et énergie renouvelable, opérateur économique». Qu'à cela ne tienne. Le pays a besoin de ces compétences, de cette jeunesse si hardie en matière scientifique. Ce que je saurais par la suite sur cette floue et obscure qualification d'operateur économique, c'est que le sieur serait un entrepreneur de travaux publics, un promoteur immobilier, un spéculateur du foncier. Achat et revente de carcasses, de vieux bâtis et de terrains. Mais rien sur ses prouesses académiques. Pourquoi est-il donc candidat sous le slogan de sa liste indépendante «construisons le pays ensemble» ? L'argent, il en est aux as. Il ne le cherche pas, c'est le pouvoir et ses prodiges qui l'intéressent. Le premier trépied étant la députation. Oui, il va construire le pays.

Il n'y à qu'à voir certaines affiches de candidats à la députation mentionnant en profession «industriel» «homme d'affaires», «chef d'entreprise» pour s'imprégner de l'intention profonde et silencieuse qui les colorent. Le pouvoir au sens de flirter avec l'autorité publique devient un rempart de protection et un facteur de développement. Boumediene faisait distinguer le pouvoir et l'argent. Apres lui, les deux ont commencé à faire bon ménage. Avoir l'argent ne semblait pas leur suffire. Il fallait aussi s'accaparer des chaises d'où dévalent les sceaux liés aux plans d'enrichissement. L'on ne se contente plus d'une entreprise, l'on veut aussi l'étage et ses bureaux, l'assemblée et ses groupes parlementaires. Dans cette Algérie, celle d'aujourd'hui, personne n'arrive à décrypter la voie par laquelle ces gens-là sont arrivés aussi rapidement à amasser tant de fonds et tant de facultés. Sinon que par l'explication qui ne se cache plus et ne craint rien pour affronter publiquement les plus sceptiques, ceux gardant encore un brin de confiance dans le contrôle de l'Etat.

A l'indépendance, personne n'osait afficher ni son portefeuille ni son rang mercantile. Hormis certains au nombre très réduit dont la notoriété n'avait pas de sainteté révolutionnaire, l'ensemble de la population était dans un indigénat visible. Il n'y avait pas de villas, ni de R plus x. La majorité était installée dans les chaumières, les gourbis et les grandes maisons où la location se faisait par chambre. La « bourgeoisie » passait alors comme une antonymie au nationalisme. Des années durant, le socialisme spécifique était une idéologie religieuse pour certains et une grande rémunération pour les autres. Le riche devenait plus riche, le pauvre l'est toujours. Parfois c'est au nom de cet Etat que cet argent tombé du ciel s'accroit démesurément. Par hasard, cette ondée financière venue d'en haut n'est dédiée qu'à l'Algérie des grosses bâtisses, des voyageurs répétitifs et des résidents à l'étranger. Pendant qu'une autre Algérie scrute, se tait et garde tout de même l'espoir. Le comble n'est-il pas dans l'envie infinie et le désir abusif de vouloir tout acquérir ? Devenir député, avoir les avantages et les privilèges de rang, posséder des résidences multi-secondaires, garantir le devenir des p'tits enfants, tout le monde pense en avoir la possibilité. Les derniers scandales avec leur grand lot d'emprisonnement de hauts gradés et de personnalités plénipotentiaires, d'entre chefs de gouvernement, de ministres, d'hommes dits d'affaires sont une preuve quoique tardive de cette maladie qui rongeait jusqu'aux os le corps de la nation.

Le riche et le pauvre était un feuilleton. Il est presque une réalité. L'enjeu est différent, la trame romanesque n'est pas de mise, mais si le riche est riche et le pauvre, pauvre , la grâce ou la cause sont ailleurs que dans un scénario de film. C'est la configuration du système de gestion des affaires publiques qui a fait que le miracle de s'enrichir existe pour les uns et la résilience d'accepter son sort de pauvres pour tous les autres. Qui peut dire ce qu'était la situation sociale ou patrimoniale de l'une de ces personnes qui sont maintenant de grosses fortunes avec des noms de groupe aux grandes enseignes lumineuses ?

Tout semble commencer par l'ouverture des réserves foncières communales dans les années de plomb. L'ouverture qui s'était ensuite dilatée par les lots marginaux, les coopératives immobilières, la cession des biens de l'Etat, la promotion tout aussi immobilière, le foncier industriel et le génie de l'accaparement spatial se poursuit. Il s'est étendu vers l'outre-mer, les appartements en extra-territorialité, les actions en off-shore et il se poursuit encore. Apres avoir investi dans la terre et les terrains, ils convoitent le paradis par les dons aux mosquées, la politique par le sponsor et les médias. L'histoire nationale ne se fait pas, quant à celle étrangère, à leur désir de l'arranger à la convenance de l'heure. L'argent amassé par un coup de fil et fructifié par un autre est arrivé quand bien même à faire un nom à ceux qui n'en étaient que des surnoms communs. La noblesse, contrairement à tous les usages, s'efforce de s'installer par le bais de l'intérêt. Cet intérêt apprécié différemment a réussi à créer une dynamique sociale apte à entrainer dans son sillage promotionnel tout les segments sociétaires. L'homme riche reste plus que jamais courtisé, dorloté et entendu. Des parvenus ont pris les rênes de tant de secteurs et par des procédés peu orthodoxes ont pu aider à la construction d'un système qui leur va à merveille. Ils en tirent profit de tout bord. Ils sont aidés, sans nulle inconstance, par de simples paraphes. Derrière chaque mètre carré de goudron, il y a un virement. Dans chaque feuillet de bon de commande, il y a un avenant de travaux supplémentaires qui ne se voient pas. A quelques exceptions près, chaque permis de réalisation stigmate un service complaisant. C'est un enjeu au mieux faisant, au plus entreprenant. L'audace et l'entremise.

Ainsi le système de la rente qui est à bout de doigts pour certains et inaccessible pour les autres s'est élevé comme une pédagogie sociale. Celle-ci se veut un mécanisme transmissible d'une personne vers une autre de même gabarit. L'entraide dans cette société fermée devient un sacerdoce de haute solidarité. L'Etat, devant la vacuité de ses caisses qui fait face au grossissement de celles des autres, s'est trouvé dans une situation d'une presque pitié. Dès le début, les esprits les plus entreprenants dans l'esbroufe se sont prêtés à ce jeu tordu, sans éthique et pourtant acceptable quand il n'est pas enviable. La sincérité ne se reconnait plus dans le talent ni dans la distinction. Denrée rare, hagarde, elle se mesure à la petitesse des gens qui encore la gardent vaillamment à leurs dépens. C'est à l'habileté espiègle et la rapine d'être un moyen pour mettre une banque dans sa poche.

Les nouveaux fortunés ne proviennent pas uniquement du Trésor public. Ils tirent leur origine d'un système où la compromission dans ces cas-là s'entend avec assourdissement. Ainsi chaque jour, l'on perçoit un patronyme prendre naissance. Un fonds se composer. Un projet, une affaire se mettre en route. Le marché, les alliances, les commissions qui ne se consultent pas sont autant d'arrangements à prendre pour rentrer dans le club des derniers nantis. On les voit promettre, simuler et garantir des sièges et des centres de décisions. Loin de faire un lobby au sens didactique ; ils le deviennent petit à petit. Ils se sont enrichis sans nul professionnalisme, que par l'entremise et l'intercession du fameux Calpiref. Le mensonge et la mystification se sont érigés en un comparateur de réussite. Chacun va de sa domination pour en faire un record de longévité. Des gens vêtus uniquement d'une audace seront les premiers à servir et se servir de la rente. Les lots tombés en héritage litigieux sont leurs hobbies. Les promotions immobilières leur aqueduc blanchisseur. Un blanchissement où toutes les causes de la spéculation et des calculs contrefaits parviennent à une virginité.

Les classes n'existent plus, disait un certain discours politique. On y a vraiment cru. Un autre discours plus récent suggérait la voie de les voir se réinventer. L'investissement. Un leurre. Car pourquoi l'un et pas l'autre ? La société nationale dans son temps faisait vivre la société dans toute son entièreté. Maintenant la richesse ne répand ses bienfaits qu'envers ceux qui en détiennent les commandes. S'enrichir au plus vite ou à cadences successives n'est plus une démarche de longue haleine. Le travail ne rétribue pas pareillement à l'artifice ambitionné et la chasse de servantes circonstances. C'est une question d'audace et d'aventurisme rapporteur. Comme une baraka procréée, cette affaire de générosité « céleste » ne peut provenir que dans l'adhérence inconditionnelle à des anneaux solides. L'équilibre du pouvoir serait en cours d'encourir de graves risques. Il serait menacé d'être pris par le sou. Si l'Etat ne se réveille pas pour mettre fin à de telles hypothèques, il perdra son entité républicaine comme garant et régulateur. La rente n'est plus liée maintenant à un baril ou à un taux boursier mondial. Elle émerveille tout le monde. Tenter d'obtenir une chose sans mérite ni labeur, c'est le propre sens de la rente. En somme, c'est de l'emprise de l'argent que l'on se fraye le chemin vers la prise du pouvoir.