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Gaza brûle...

par Kamal Guerroua

Un lynchage, des scènes de violences inouïes, des cris et du sang. À Bat Yam, dans la banlieue de Tel Aviv, une foule d'extrémistes juifs de droite a sorti de force, le 12 mai dernier, un automobiliste «arabe» de son véhicule et l'a pris pour défouloir de sa haine.

Le déchaînement sauvage de la foule n'a eu d'égal que le voyeurisme cynique d'une chaîne de télévision publique israélienne qui aurait diffusé la séquence en boucle. L'événement n'a rien de surprenant en comparaison à ce qui s'était passé ailleurs dans les territoires occupés. Le 10 mai, les autorités israéliennes espéraient célébrer la date commémorative de la conquête et l'annexion de la part orientale de la ville, à la faveur de la guerre de 1967. À défaut de «réunification» acceptée officiellement par l'administration Trump, suivie par une poignée de ses affidés, et tolérée officieusement par quelques pays arabes versants des larmes de crocodile sur la Palestine, la ville sainte a encore été le théâtre d'affrontements. Ce sont, de l'avis des observateurs, les heurts les plus violents survenus depuis 2017 sur l'esplanade des Mosquées, une colère attisée par la poursuite de la politique inique de colonisation d'Israël et le sort des familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah, menacées d'expulsion au profit de colons juifs. Les affrontements entre Palestiniens et colons appuyés par les forces de répression, puis les bombardements aériens de Gaza, foyer de la résistance palestinienne, ont fait une nouvelle fois des centaines de blessés et de victimes parmi la population civile. En dépit du changement d'administration aux États-Unis, le bureau ovale s'est contenté de renvoyer dos à dos les deux camps, en appelant «Israéliens et Palestiniens» à «mettre un terme à la violence», tout en exprimant son «inquiétude» quant à «l'expulsion potentielle des familles palestiniennes de Cheikh Jarrah». Même blanc-seing implicite à réprimer, mais dans le «calme» et la «retenue» du côté de l'Union européenne, mais aussi et «surtout» du quatuor Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc et Soudan. Des pays qui ont, pour rappel, normalisé leur relations avec Israël ces derniers mois.

L'équation à résoudre est d'autant plus complexe que les opinions publiques dans ces pays-là sont farouchement attachées à la cause palestinienne et hostiles au processus ininterrompu de colonisation. Hésitants ou complices, les Etats Arabes ressemblent à des oiseaux de volaille dont les ailes ne servent, paraît-il, qu'au décor! Bref, Gaza brûle et le monde assiste au cinéma en plein air d'Israël, ses alliés «arabes» et les grandes puissances occidentales, à leur tête les USA.

Ce qui risquerait, peut-être, de plonger toute la région du Proche-Orient dans le chaos dans les semaines à venir. Proche du Hamas, le régime d'Erdogan appelle de toutes ses forces «le monde à agir pour mettre fin à cette agression israélienne interminable contre des civils non armés sur leur propre terre». Erdogan, furieux sans doute contre le rapprochement militaire récent entre Tel-Aviv et Athènes, aurait sauté sur l'occasion pour qualifier Israël d'État «terroriste cruel». Mais force est de constater que les événements en cours sont hors contrôle, et, faute de pressions internationales significatives, la répression israélienne pourrait encore s'accentuer dans les jours à venir, alors que la crise politique sur le front interne s'aggrave, à mesure que Jérusalem s'embrase. C'est l'enlisement en perspective. D'autant que, d'une part, Benyamin Netanyahou, en difficulté, aurait, sans surprise, salué la «fermeté» des forces de répression, soutenues «dans cette cause juste» pour garantir la «stabilité» à Jérusalem.

Une carte qui lui permettra de booster son aura auprès de la rue israélienne qui le honnit. De l'autre, isolée sur le double plan politique et diplomatique, l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas qui dénonce une agression barbare, avait déjà subi un affront en annulant les élections législatives prévues pour le 22 mai dans les territoires palestiniens, sur fond de lutte de «leadership» contre le mouvement de Hamas. Celui-ci brandit la menace d'une «escalade militaire», en cas de non-retrait des soldats israéliens. Seuls ou presque, les Palestiniens affrontent à mains nues l'arsenal militaire de la soldatesque sioniste. Et le black-out mondial «complice» sur cette vieille «cause juste» ne fait que compliquer leur situation, hélas!