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La circoncision entre modernité et traditionalisme

par Bouchikhi Nourredine*

A chaque Ramadan les familles algériennes choisissent cet évènement pour procéder à la circoncision des garçons le plus souvent à l'occasion de leylat el kadr (la nuit du destin) qui correspond au 27ème jour du mois du jeûne, une date choisie par tradition car elle ne repose sur aucun substratum religieux ; d'ailleurs la pratique de la circoncision n'est pas propre aux musulmans elle revêt aussi une sacralité chez les judaïques et s'est imposée même dans les sociétés non religieuses. Et au fil des siècles elle n'aurait jamais laissé quelqu'un indifférent au point qu'elle est perçue chez les musulmans injustement d'ailleurs comme un pilier fondamental de la religion auquel toute personne de sexe masculin devrait y être soumis. Selon les écrits transmis il s'agit d'un legs qui remonte au prophète Ibrahim (QSSL).

Ce qui en fait une tradition commune chez les sémites arabes musulmans et juifs

Dans chaque religion des rituels lui sont consacrés ; ce geste s'est banalisé au fil du temps, la société s'est organisée avec une transmission du « savoir faire »de père en fils des techniques et depuis les conditions ont évolué avec la médecine qui a vu l'utilisation d'instruments modernes, le respect de l'asepsie et l'essor de l'anesthésie.

La société chrétienne principalement en Europe longtemps à l'écart de ce débat s'est aussi retrouvée concernée avec l'installation des communautés musulmanes de plus en plus nombreuses et la reconversion des européens de souche reconvertis ; bien que dans ces sociétés elle soit perçue par certains comme une atteinte à l'intégrité physique des enfants suscitant un débat de sourds qui ne risque pas de prendre fin de sitôt. Ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis où selon un d'un rapport de 2013 du CDC ( Center for Disease Control)81%des Américains de 14 à 59 ans sont circoncis, statistiques qui font état d'un particularisme américain.

Dans un rapport publié en 2007, l'Organisation mondiale de la santé indiquait que la part des circoncis non juifs et non musulmans aux Etats-Unis s'élevait à 75%, soit près de 85 millions de personnes. C'est bien plus que dans n'importe quel pays développé (l'Australie et le Canada sont respectivement à 59% et 30% par exemple).

Pourquoi cette pratique est-elle aussi populaire ?

Pour comprendre, il faut remonter aux années 1870. Un docteur américain nommé Lewis Sayre affirme alors que l'irritation génitale peut entrainer des troubles au cerveau et aux muscles, il se rend donc dans un hôpital psychiatrique sur Randall's Island pour mener des expériences sur 70 jeunes garçons souffrant de troubles mentaux ; Ses résultats sont en demi-teinte. «Il pensait que certains enfants en avaient bénéficié. En revanche, ses recherches sur la démence et la folie se sont soldées par une profonde déception», selon David Gollaher, auteur de Circumcision : A History Of The World's Most Controversial Surgery. En dépit de cela, le docteur Sayre se démène pour répandre la bonne parole auprès de ses collègues, charismatique et ambitieux, il prêche les vertus de la circoncision lors de grands congrès internationaux et dans des publications professionnelles nationales pour en convaincre avec un certain succès ses pairs. Après la mort de Sayre en 1900, les médecins américains ont continué à recourir à la circoncision pour soigner d'autres maux comme le cancer, la blennorragie et la masturbation (accusée d'être responsable de la démence). A cette période, l'essor de la circoncision est nourri par l'obsession grandissante des Américains pour l'hygiène. Une réaction à l'arrivée massive d'immigrés est-européens perçus comme «sales» dans les grandes villes. La circoncision est vue, surtout dans les classes moyennes et supérieures, comme une marque de propreté et de distinction. La circoncision devient alors un marqueur social, attribut des hommes civilisés, selon David Gollaher.

Depuis, les études ont permis d'établir que l'opération permettait de traiter et prévenir différentes infections urinaires et de réduire le risque de contamination du VIH et du cancer de la prostate. Selon une étude publiée en 2014 dans le journal Mayo Clinic Proceedings, le taux de circoncision chez les nouveau-nés serait en baisse, passant de 83% dans les années 60 à 77% en 2010 un recul attribué à l'accroissement de la population hispanique, moins bien assurée, mais et aussi aux signaux contradictoires envoyés par l'American Academy of Pediatrics sur les risques de l'opération (le groupe pense que les bénéfices sont plus élevés que les risques, mais laisse le soin aux parents de décider), et de la hausse du nombre de circoncisions en dehors de l'hôpital ( nous ne sommes donc pas le premiers à le faire !), non incluses dans les statistiques officielles.

Ceci dit même si la circoncision est sur le plan strictement médical est une intervention à part entière elle jouit d'une particularité qui la fait distinguer de toute autre acte chirurgical c'est ainsi que chez les juifs l'intervention (Brit milah) est pratiquée par un Mohel (circonciseur) qui n'est pas forcément médecin mais formé pour la technique. L'intervention est même pratiquée dans les synagogues.

La circoncision rituelle est ainsi tolérée même en Europe où les actes chirurgicaux sont strictement contrôlés. En Algérie pour les autorités chargées de la santé on semble vivre dans une autre planète ;la circoncision phénomène sociétal a été interdite en dehors des structures hospitalières suite à la malheureuse affaire des enfants mutilés d'El Khroub il y a de cela plus d'une dizaine d'années ;une décision prise sur le feu de l'action pour mettre fin à la grogne de l'opinion publique mais qui en réalité a encore poussé les gens à recourir clandestinement à la circoncision en dehors de tout contrôle sanitaire ; le nombre très élevé d'enfants candidats chaque année rend donc impossible leur prise en charge dans les blocs chirurgicaux qui ont d'autres chats à fouetter ; l'irrationalité a poussé certains directeurs d'hôpitaux acculés à sanctionner des chirurgiens cardiaques dont ce n'est pas la vocation pour avoir refusé de la pratiquer à l'hôpital où souvent comme il est connu de notoriété ce sont les infirmiers de bloc qui s'en chargent surtout quand il s'agit de circoncisions collectives avec des dizaines d'enfants.

Il aurait été plus judicieux et utile d'encadrer cet acte et de permettre au corps médical généralistes ou spécialistes de pratiquer les circoncisions dans leur cabinet en veillant grâce aux inspections des DSP au respect strict des conditions d'hygiène et d'asepsie,

Par ailleurs et pour éviter des drames comme celui d'El khroub cité plus haut la technique doit être enseignée au cours du cursus de tout médecin et une qualification pourrait être créée au profit des médecins ayant suivi une formation. Ceci permettra de désengorger les structures hospitalières d'une charge qui ne cessera d'augmenter avec le taux de natalité pour se consacrer aux interventions les plus compliquées et les plus urgentes. L'interdiction cette année pour raison de pandémie de procéder à des circoncisions collectives vient de mettre en évidence cette aberration ; en fait les circoncisions de groupe doivent être évitées au maximum en toutes circonstances vu le risque infectieux et les accidents qu'elles pourraient engendrer. Cette décision a suscité l'inquiétude des parents et des associations caritatives en absence d'une alternative sûre et transparente.

Réglementer la pratique rendrait plus facile le contrôle par les services concernés et permettra aux parents d'accéder aux voies de recours en cas d'accident. Chaque pays devra légiférer en tenant compte des réalités de la société et des intérêts de la population sans pour autant sacrifier la sécurité et l'hygiène.

*Dr