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La Science sauvera-t-elle l'humanité ?

par Arezki Derguini

« Ces deux phrases, «mener le combat qui convient aux armes» et «fabriquer les armes qui conviennent au combat», montrent la ligne de démarcation claire entre la guerre traditionnelle et la guerre future, ainsi que la relation entre les armes et les tactiques dans les deux types de guerre. La première reflète l'adaptation involontaire ou passive de la relation de l'homme aux armes et tactiques de guerre qui se déroule dans des conditions naturelles, tandis que le second suggère le choix conscient ou actif que les gens font sur la même proposition lorsqu'ils sont dans un état de liberté ». Qiao Liang et Wang Xiangsui. Unrestricted War[1].

La Science sauvera-t-elle l'humanité ? La réponse semble indiscutable, elle sauvera sa partie la plus riche. Ce que l'on voit déjà avec la pandémie. Les vaccins et bientôt le droit de circuler iront d'abord aux riches. Pour l'Occident la solution aux problèmes sociaux est matérielle et technologique. Sa supériorité repose sur cette croyance qu'il a réussi à faire partager au monde, la course est alors pour lui gagnée d'avance. Je rentrais dans une pharmacie pour acheter du gel, et me vint à l'esprit de poser une question à celui qui tenait lieu de pharmacien : nous vaincrons la maladie par l'immunité collective ou la vaccination ? Je pensais à l'immunité, le pharmacien ne voulut pas se risquer, il avait une réponse plus simple à sa disposition : par la grâce de Dieu. Comment un préposé à la pharmacie pouvait-il oser répondre à une question dans laquelle nos experts n'osent pas s'aventurer pour apporter une réponse ? Les croyants dans la Science parleront de confiance dans l'ignorance. Dans les faits, tout le monde peut constater qu'une minorité pourra être sauvée par la Science et la vaccination, mais pour le reste de la société, on ne peut l'imaginer. Chacun pourra donc repartir de son côté avec sa croyance.

Descendons du ciel des idées et revenons sur terre. Sur terre, il semblerait que la Science ait libéré les uns et soumis les autres. N'est-ce pas au travers des guerres, que s'est faite la Science ? La Science n'est-ce pas l'attribut dont se targuaient et continue de se targuer les sociétés occidentales ? La plus grande maîtrise et exploitation de l'environnement que la Science a donnée à l'Occident n'est-ce pas ce qui a fait sa supériorité ? La Science a donc permis à l'Occident de se soumettre le monde et n'a pas permis au reste du monde de se libérer. La croyance dans la Science a constitué le vecteur principal qui a permis la diffusion des institutions occidentales, cette diffusion en retour a dessaisi les sociétés dominées de leur savoir, de leur expérimentation, de la construction de leurs institutions, comme elle a dessaisi le monde du travail du savoir en faveur du capital. Le faible a imité le fort (Ibn Khaldoun), ses institutions et ses comportements, mais il a manqué de discernement. Il n'a pas fait le tri entre les imitations qui le renforçaient et celles qui l'affaiblissaient.

La Science ça sert d'abord à faire la guerre

La Science a dépossédé la société de son expérimentation, elle l'a confié à une élite guerrière et ses laboratoires. Élite guerrière qui a pu se différencier en Occident et qui a été empêchée ailleurs. La Science a servi, sert d'abord à faire la guerre, pas seulement la géographie (Yves Lacoste). À faire la guerre à des sociétés de toutes espèces, qu'elles soient végétales, animales ou humaines, à déposséder toutes les sociétés de l'expérimentation en faveur d'une élite de classes guerrière. La classe capitaliste qui vit de l'expropriation du reste de la société et du monde objective sa domination en se réservant les armes du savoir et en dépersonnalisant les rapports sociaux. Le problème aujourd'hui c'est que les guerres que la Science continue de mener deviennent de plus en plus contreproductives, produisent de plus en plus de déchets qui lui reviennent à la figure. Le progrès technologique se sépare de plus en plus du progrès social, le bien-être ne ruissèle plus du haut vers le bas de la pyramide sociale.

La croyance en la Science a besoin désormais de nouveaux prêtres guerriers à l'image d'un Elon Musk pour promettre à l'humanité un nouveau destin. Il lui propose de renoncer à rester une espèce terrestre pour devenir une espèce interplanétaire.

La guerre est d'abord économique

Mais poursuivons notre descente du royaume des cieux et regardons où nous en sommes aujourd'hui. Notre société n'a pas connu la différenciation de classes fondamentale entre guerriers et paysans. Notre société a fait et fait encore de chacun un guerrier en temps de guerre. Il faut se rendre compte aujourd'hui que la professionnalisation de la guerre n'est plus ce qu'elle a été, elle a considérablement étendu son champ de recrutement[2]. L'économie de la guerre ne peut plus se financer sans une économie de marché, ce qui en fait une économie de partage entre l'économie militaire et l'économie civile. On ne peut plus séparer économie et guerre, science et guerre. Le développement de la vie matérielle, les interdépendances mondiales qui se multiplient, ont rendu la guerre économique plus efficace que la guerre militaire. L'Occident ne gagne plus les guerres militaires qu'il engage, les armes militaires ne font plus la loi, celles économiques la font dès que l'on laisse les sociétés vivre en paix et aspirer à une meilleure vie. Les États-Unis se désengagent, des puissances émergentes prennent la place, une nouvelle hiérarchie internationale se met en place. La France, sans l'Algérie, est bien démunie face à la Turquie et aux Émirats arabes unis.

Nous ferions donc bien de penser que la guerre à laquelle va être soumise notre société est d'abord économique. Elle a commencé par soumettre la société à la dépendance extérieure en entretenant sa consommation. Elle va poursuivre son expropriation en faisant pression désormais sur sa consommation. Comment la société va-t-elle faire face ? Va-t-elle soustraire ce levier de la consommation des mains des puissances étrangères et de leurs alliés locaux ?

Dans la première phase de sa soumission (maintien de la société postcoloniale dans la division internationale primaire du travail), la société tirait des produits de la rente et de leur transformation ses revenus. Chacun obtenait ses droits en fonction de sa « capacité de tirage », sans trop de problèmes. La croissance de la population allant de pair avec la croissance du revenu, une libéralisation des mœurs devenait possible, le principe chacun pour soi et Dieu pour tous pouvait être la règle. On ne se préoccupait pas de l'ajustement de la taille du gâteau et du nombre de convives. Le problème ne se posait pas. Mais voilà que le gâteau ne grandit plus en même temps qu'il faut multiplier les droits de tirage. Le pétrole ne déverse plus suffisamment de dollars dans la caisse. Le gâteau se contracte même, la table se resserre, toutes les anciennes convives ne retrouvent pas leur place. Une guerre civile commence, elle ne gagne pas encore toute la société, parce qu'elle doit d'abord concerner les gros revenus. Mais dès que ceux-ci auront réglé leurs comptes, ils pourront s'occuper de ceux de la nation.

Apprendre à discuter sans s'énerver

Nous savons nous disputer la répartition de la rente, ceux qui savaient comment coopérer pour ce faire obtenaient les meilleurs droits de tirage. Ceux-là mêmes qui ont su coopérer pour se disputer un gâteau fabriqué par la grâce des hydrocarbures, sauront-ils coopérer pour fabriquer un meilleur gâteau par la grâce de leurs contributions, un « gâteau » par la grâce de la contribution du plus grand nombre pour une table du plus grand nombre ?

De nos anciennes disputes nous n'avons pas appris à discuter, à nous entendre. Chacun s'enfermait dans ses principes après avoir obtenu ce pour quoi il acceptait de se battre. Prépare-t-on l'avenir à ostraciser la majeure partie de la population et consacrer l'irresponsabilité juridique de l'autre ? Il nous faut apprendre à nous mettre à la place de l'autre. Cette disposition est inévitable pour faire société. La libéralisation des mœurs a conduit à un certain égoïsme qui nous dispensait de nous mettre à la place de l'autre, de penser du point de vue de la collectivité, de la société. Il nous faut faire preuve de sympathie, même et surtout, pour ceux qui pensent différemment de nous. Voilà comment on remporte une guerre, Sun Tzu ou le saint Livre vous le diront. On ne peut pas convaincre, vaincre, celui que l'on ne comprend pas. Nous en sommes encore à pousser notre ennemi à la faute pour le détruire ou l'affaiblir. Il faut faire mieux que cela, il faut le transformer en allié.

Dans notre économie pétrolière, le jeu était à somme nulle : le dollar que je prends, l'autre le perd, car il ne crée pas de dollars supplémentaires à partager. Le dollar multiplie les dinars, mais l'inverse n'est pas là, les dinars n'accroissent pas leur pouvoir d'achat en dollars. Si on crée un emploi industriel, peu importe s'il en fait perdre dix, cent ou mille domestiques/artisanaux. Mais que vont devenir ceux qui ont perdu leur emploi traditionnel, trouveront-ils un emploi industriel ou un emploi public ? Les économistes adressent cette question comme étant celle du déversement. Ils vont se déverser dans les services à la personne, dans l'informel, car pas d'emploi industriel pour les accueillir, plus d'emplois publics non plus. On fabrique d'une main de l'informel et d'une autre on prétend vouloir l'éradiquer pour enterrer le problème. Préserver l'emploi n'a vraiment pas été notre souci, l'emploi public était là pour réparer les dégâts de l'emploi privé.

Il faut apprendre à nous parler, à entendre le point de vue des autres, à pousser jusqu'au bout chaque raisonnement. Notre société est trop malmenée par de faux problèmes, de fausses bagarres. Il nous faut apprendre à pacifier nos débats, à arrêter de dresser nos principes les uns contre les autres, à argüer de la supériorité de tel ou tel principe. Venons-en aux faits. L'innovation, les mouvements collectifs, ont besoin de discussions constantes et achevées.

Nous sommes tous des spéculateurs

Nous avions des institutions traditionnelles qui réglaient nos problèmes. Lors du mois de Ramadan, la question des prix revient toujours. Le vieux disque ne s'use pas, on accuse toujours des spéculateurs sans que la critique ne porte et sans que l'on ne s'arrête sur le fait de sa pérennité. On ne va jamais jusqu'au bout de la discussion, on a jugé, l'affaire est close. Les commerçants n'ont pas honte de vouloir s'enrichir en ce mois sacré. Pourquoi auraient-ils honte face à des consommateurs qui n'ont pas eux-mêmes honte de s'oublier dans la consommation ? Nous sommes en fait tous des spéculateurs et les situations de crise ne font que tendre nos ressorts et révéler la nature de nos comportements. Des spéculateurs à des degrés divers, des petits et des grands. La Science économique nous a donné licence : soyons égoïstes. La pure économie de marché est spéculation, nous spéculons sur le comportement futur des autres, c'est à qui obtiendra le meilleur prix pour son produit, c'est à qui exploitera le mieux le comportement du marché. Nous n'avons été incités jusqu'ici qu'à faire de l'argent, qu'à privatiser. L'emploi public ne peut plus pallier les emplois détruits par les emplois privés. Il nous faut repenser le rapport de l'économie et de la société et faire de la place aux préférences collectives. La Science économique fait la guerre aux sociétés, elle leur apprend à spéculer contre elles-mêmes. On sait maintenant que les recettes du FMI ont aggravé la situation des économies qui ont été soumises à leur traitement (politiques d'ajustement structurel), on sait maintenant par les crises financières que l'économie ne se prête pas aux scénarios des économistes (too big to fail), on incrimine de plus en plus la Science économique et ses lois objectives, mais les autorités ne s'en détournent pas encore, c'est que la domination de classes et le paradigme de l'individualisme méthodologique n'ont pas encore de véritable alternative. Les pauvres de Tunisie vont devoir bientôt subir la politique d'austérité des institutions internationales. On va prêter aux riches de Tunisie, mais ils vont devoir rembourser. Ils iront alors tailler dans les biens et les services publics. La guerre économique des riches contre les pauvres tunisiens va se doter d'une légitimité internationale, ses conseillers vont revêtir la tenue de la Science. À moins que les riches tunisiens refusent de faire la guerre aux leurs moins bien nantis qu'eux. Ce que l'on n'arrive pas encore à imaginer, la Tunisie restant encore trop engluée dans la guerre des principes. Les principes qui poussent des frères à se faire la guerre ne devraient pas être de nos principes. Le principe premier doit être celui de la paix sociale, la guerre ne respecte pas les droits humains. S'il est plus difficile de gagner la paix que de gagner la guerre, c'est parce qu'il y a là une plus grande victoire.

Il est possible de définir autrement que par la manière individuelle du plus offrant, ce que l'on doit et peut produire, ce que l'on doit et peut consommer, comment l'on doit et peut distribuer et redistribuer. Collectivement on peut offrir davantage à l'ensemble de la collectivité que ce que peuvent offrir des individus qui ne prendraient en considération que leurs préférences individuelles. Notre économie doit se situer entre l'économie sociale de marché de l'Europe du Nord et l'économie socialiste de marché de la Chine selon les caractéristiques de nos sociétés. Prenons l'exemple de la tradition des consommations de repas (oua'3adha) et des distributions de viandes collectives (ouzi'3a). La société n'est pas obligée de céder toutes ses activités au marché, autrement dit au plus offrant, ou à des institutions publiques, autrement dit indépendantes de la collectivité. Un boucher peut recevoir des dons d'animaux pour faire des dons de viande, des jours particuliers, pour des publics particuliers. Et vendre ensuite au plus offrant, le reste de la semaine. Nous pouvons créer deux marchés dans un village, un quartier.

Un premier pour ceux qui ne disposent pas du revenu pour acheter les produits de base, un second pour ceux qui peuvent surenchérir. Les parts qui iraient au premier marché et au second, permettraient de définir le prix du produit. Pas besoin d'une redistribution qui passe par l'État et accroit le coût de transaction. Le prix du produit exprimerait l'importance que la société accorde au produit, l'investissement qu'il faudrait lui consacrer ou le désinvestissement dont il faudrait le charger. Il serait très étonnant alors que la société ne se préoccupe pas du sort du public du premier marché, de son employabilité et de sa formation. Mais c'est cette société active, occupée à trouver des solutions aux problèmes qu'elle rencontre plutôt que par des problèmes qui ne la concernent pas, que redoutent les spéculateurs.

Il faut que les riches cessent de disputer aux pauvres les produits de consommation générale, la viande par exemple lors des fêtes. Il faut que la société se demande ce qu'elle peut et doit produire et consommer de viande et comment elle doit répartir sa consommation. On ne peut pas enfermer les individus face aux prix et ne pas les laisser délibérer de ces questions fondamentales. Nous devons revoir les rapports entre consommation collective et consommation privée, ce que l'on accorde à chacun et à tous. Comment leurs rapports doivent progresser. Nous devons définir les institutions de notre économie sociale/socialiste de marché, autrement dit les institutions qui vont faire la part de la délibération sociale et de la simple concurrence, les institutions qui vont nous permettre de faire nos « marchés ». C'est par le comportement des riches, dans leur comportement, que l'on doit voir qu'un dollar ne se dissipe pas en dinars, mais se multiplie. Quand nous importons, nous devons exporter et davantage que nous importons. D'où nous vient cette mentalité de riches et de puissants qui nous laisse espérer qu'en empruntant nous pourrons rembourser ? Quand nous achetons une Mercédès, cela veut dire que nous l'avons obtenue dans quel échange ? De quoi peut-on être fier ? Il est triste de constater combien est consacrée notre préférence pour les produits étrangers en général. Quand vous allez à la pharmacie quels médicaments souhaitez-vous obtenir ? Nous ne voulons pas du produit générique, mais du produit d'origine ! Nous voulons acheter de la marque, mais pour l'acheter avec quoi ? Nous n'aimons pas ce que nous faisons, ce que nous fabriquons ! Voilà notre malédiction. Il faut que les riches aiment ce qu'ils font, que leur consommation ne préfère pas la production étrangère à leur production, ainsi prendront-ils plus soin de celle qu'ils ont entre les mains et qu'ils destinent aux pauvres. Car ils sont des exemples. Les riches ont une grande responsabilité dans la dynamique de la société, mais ils ne sont pas tout-puissants, les pauvres ont le pouvoir de les ostraciser. Mais non pas en les accusant de tous les crimes, mais en les rejetant comme exemples. Par nos dépenses nous votons pour nos riches. Ils payent pour faire de la publicité à leurs produits. Dispensons aux meilleurs d'entre eux de tels coûts, faisons leur publicité. Et coulons les plus mauvais d'entre eux[3]. Les comportements des riches et des spéculateurs ne correspondent qu'à nos comportements poussés à l'extrême, à la caricature. C'est aux comportements desquels nous convenons en nos fors intérieurs quand ils ne sont pas tournés contre nous.

Dans son discours à l'occasion de la fête du Travail, le président Tebboune a soulevé trois questions qui affleurent dans notre réflexion : celle de la préservation et de la création de l'emploi, celle d'une économie dynamique de marché et celle de la formation d'une nouvelle classe politique. Les trois questions sont liées dans ce que j'ai appelé la définition d'une économie sociale de marché aux caractéristiques algériennes. Par caractéristiques algériennes, il s'agit de signifier qu'il ne s'agit pas de copier les institutions d'autres sociétés à l'économie sociale ou socialiste de marché, mais de fabriquer les institutions qui rendront possible une telle économie sociale. Ces trois questions forment la politique qui concerne les trois étages de l'économie, le rapport de l'économie non marchande et de l'économie marchande, le rapport de l'économie marchande et de l'économie mondiale.

Il ne s'agit pas seulement de libérer l'économie des entraves bureaucratiques et de la corruption, mais de rendre l'économie à l'investissement et au contrôle de la société. L'économie de marché doit d'abord veiller à ne pas détruire plus d'emplois qu'elle n'en crée, à ne pas détruire des emplois non marchands quand la main-d'œuvre ne peut pas être déversée dans le secteur marchand, à créer des emplois non marchands quand on ne peut en créer de marchands alors que la population active augmente. Ce n'est plus à l'économie publique, mais à l'économie sociale d'y veiller. Ensuite cette économie marchande doit s'insérer dans l'économie mondiale. La hiérarchie de la société marchande doit pouvoir engager celle-ci dans une bonne insertion internationale. C'est de cette hiérarchie marchande que la hiérarchie politico-militaire ne peut se passer. Il faut donc donner à l'économie et à la société de nouvelles directions, ce à quoi devrait répondre la formation d'une nouvelle société politique et nous amène à la troisième question.

Nous ne savons pas de quoi aura l'air la nouvelle société politique qui sortira des élections législatives, à la différence de beaucoup je souhaite qu'elle puisse fournir les éléments qui puissent rendre le débat social et politique possible. Car il n'est pas du rôle du mouvement social de produire une offre politique, mais de disposer des différentes offres. Au mouvement social l'élection de l'offre politique, à la société politique la formulation des offres politiques. L'offre politique doit sortir des entrailles de l'ancien système politique. Il faudra le faire accoucher, il n'en accouchera que s'il mute, emportant la mutation de la société politique. Les élections législatives vont donner au pouvoir la classe politique qu'il souhaite, celle par l'entremise de laquelle il va fabriquer des offres. Des éléments de l'ancienne classe politique peuvent participer à l'avènement d'une telle offre. Le mouvement social va « élire » parmi les propositions qui lui seront faites, celles qui pourront être retenues. Une partie de l'ancienne classe politique va pousser le mouvement social à proposer, donc à entrer en compétition politique. Elle n'aura pas compris que les conditions d'une compétition politique ne sont pas réunies. Le mouvement social refuse de porter le débat en son sein, parce qu'il sait qu'il sera utilisé contre lui. La répression du mouvement social au-delà de certaines limites, la préparation de la tenue des élections, ne trahit pas les intentions que prête un tel dessein de mutation du pouvoir. Les manifestations pacifiques du vendredi sont pour l'heure les seules véritables élections, des élections à ciel ouvert, elles doivent pouvoir continuer de se dérouler pour répondre aux propositions du pouvoir et de la classe politique. Vouloir porter le débat politique en son sein est une erreur, tout comme vouloir contester et manipuler son pluralisme. La classe politique doit moins s'occuper du mouvement social que de penser aux offres politiques d'une politique gouvernementale au-delà d'une formulation principielle. Il faut sortir de la confusion des rôles entre politique officielle, alternative politique et mouvement social et s'élever au niveau de maturité du mouvement social.

Notes :

[1] « These two sentences, «fight the fight that fits one's weapons» and «build the weapons to fit the fight,» show the clear demarcation line between traditional warfare and future warfare, as well as pointing out the relationship between weapons and tactics in the two kinds of war. The former reflects the involuntary or passive adaptation of the relationship of man to weapons and tactics in war which takes place under natural conditions, while the latter suggests the conscious or active choice that people make regarding the same proposition when they have entered a free state.» (Trad. perso). Qiao Liang et Wang Xiangsui. Unrestricted Warfare, Beijing: PLA Literature and Arts Publishing House, February 1999, p. 18. Trad. française, la guerre hors limites. Payot/Rivages. 2003. Pierre Gomart, dans les guerres invisibles (2021), en fait un ouvrage de référence. https://archive.org/details/Unrestricted_Warfare_ Qiao_Liang_and_Wang_ Xiangsui/page/n5/mode/2up

[2] Selon les deux colonels de l'armée chinoise la guerre n'est plus « l'usage de la force armée pour obliger un ennemi à se plier à sa propre volonté », mais l'utilisation de « tous les moyens, dont la force armée ou non armée, militaire ou non militaire et des moyens létaux ou non létaux pour obliger l'ennemi à se soumettre à ses propres intérêts. » L'exemple iranien est on ne peut plus explicite, à la guerre militaire a succédé la guerre économique et scientifique.

[3] Faisons en sorte de ne pas être les vaincus de la guerre des « étoiles ». Vincent Coquaz, Ismaël Halissat, La nouvelle guerre des étoiles, Éditions Kero, 2020.