Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

De l'Écriture, de l'écriture du Savoir et du savoir écrire

par Brahim Chahed

« Il faut sans cesse et sans cesse passer par toutes les étapes de la désillusion, se retrouver seul et toucher le fond de sa détresse. Choisir le difficile, l'impossible, la nuit, ce qui n'est pas dit. Écrire est à ce prix. Vivre aussi ». Hélène Ouvrard - Artiste, écrivaine, Romancière (1938 - 1999)

Il est des questionnements qui mettent les plus lettrés dans l'embarras. Il est des réponses qui vous portent au doute et à l'insignifiance, qui vous condamnent, paradoxalement, même à une forme d'ignorance. Si la lecture conduit à la connaissance, l'écriture, quant à elle, suppose l'engagement et impose la responsabilité, donne forme à l'idéal et transmet le capital culturel.

Ecrire c'est d'abord une quête de liberté, pour soi, oui, mais aussi et surtout pour les autres, un écrivain est un être qui se sent libre, qui s'adresse à des êtres qui se réclament libres. Mais choisir d'écrire c'est choisir sa prison, son enfermement et sa dépendance, c'est accepter, jusqu'à revendiquer, peu d'importance. Ecrire c'est essayer, tenter et retenter, c'est faire ce que vous ne croyez pas pouvoir faire, c'est faire ce que vous n'êtes pas capable de faire. Ecrire c'est révéler, c'est faire en sorte que tout se sache, c'est réduire, sans prétendre anéantir, le champ de l'ignorance. C'est faire en sorte que tout se comprenne pour ne pas se défaire, ne pas se déculpabiliser, ne pas se déresponsabiliser.

Ecrire c'est enfin un substitut de douleur, celle de l'inaction, un substitut de souffrance, celle de ne pas pouvoir. Choisir d'écrire c'est, en fait, une thérapie contre l'impuissance, une médication, efficace ou pas, pour panser des blessures profondes. Ecrire c'est voyager, hors du monde, c'est défier l'immédiateté, écrire c'est s'absenter pour un moment, c'est revenir de son absence, difficilement, différemment. Ecrire c'est exprimer sa peur, c'est apprivoiser sa peur, c'est tenter d'éliminer sa peur, c'est apprendre à vivre avec sa peur.

L'être humain a vécu longtemps, trop longtemps, avant d'écrire, avant de lire, mais il ne pouvait vivre que l'immédiat. A partir de l'écriture il a pu vivre autre chose, plus de choses, différentes choses. L'être humain, au moyen de l'écriture, a pu accroître le champ des possibles. Cette fonction inattendue de l'écrit a été rendue possible grâce à l'effort conjugué entre les acteurs de l'écriture et ceux de la lecture, pour faire surgir à la fois le concret et l'imaginaire, pour donner naissance à une œuvre, pour parachever l'œuvre, pour la dévoiler, pour lui donner toute sa puissance, toute sa splendeur, pour finalement la créer.

L'écriture est un objet, un concept, une association d'idées, des techniques et des procédés mais l'écriture est surtout un argument irréfragable. L'écriture donne du sens, elle donne du sens même à la recherche du sens. Avec l'écriture, la pensée prend forme, s'épaissit, s'affine, se transforme, devient vivante. On écrit pour penser, penser différemment, profondément, difficilement, mais penser ne suffit pas à écrire, réfléchir le fait mieux, le matérialise mieux, lui donne une meilleure forme. Ecrire c'est en fait réfléchir, c'est déjà réfléchir, parce que réfléchir c'est passer à l'action, peut-être, sans doute, passer à l'action c'est écrire.

Quel que soit l'écriture, elle vous fait exister et vous anéantit, elle vous fait changer et vous rend constant, elle vous nourrit et vous consume. L'écriture vous répare, vous libère et vous permet d'espérer, d'oublier pour pouvoir espérer encore. L'écriture, finalement, vous amène à devenir meilleur, à exiger le meilleur. L'écriture vous amène à contester, à résister, à protester. L'écriture vous aide à imaginer le meilleur, à proposer le meilleur.

L'écriture, par cette magie qui l'autorise à revoir l'histoire, à revisiter les évènements et à réinterroger les faits, décrit un monde, parfois même des mondes, construit une vérité, souvent même des vérités. Mais en cela, elle dépasse, surclasse, en dépit du fait qu'elle soit partielle, en dépit du fait qu'elle ne peut être que fragmentaire, les influences, les tentatives d'influences, les supposées influences, de ses auteurs, de ses commanditaires, par la liberté interprétative de ses lecteurs. Par ce phénomène, cette interaction à la limite libertaire, profondément processive, de transmission l'on se retrouve continuellement dans la création, l'on se retrouve indéfiniment dans la recréation, l'on se retrouve, tout le temps, dans le devenir.

Elle est, par la socialisation du Savoir, dans la transmission des Savoirs. Elle est, par sa fonction créatrice privilégiée qu'est la production du texte comme finalité, du beau comme argument et de l'esthétique comme firmament, dans la poétisation des savoirs au-delà de leur degré de scientificité. Elle est, par ailleurs, par la codification des Savoirs, particulièrement des Savoirs oraux, dans la facilitation de la pensée, dans l'interaction des connaissances, dans l'accumulation des savoirs et permet ainsi le phénomène recherche, assure ainsi la continuité de la recherche.

L'écriture, avec le temps, a su dépasser ses contraintes de recherche de symboles partagés, de mondes mentaux communs. L'écriture grâce au génie de ses acteurs, n'est plus qu'un outil, de surcroit imparfait, elle est, au-delà du besoin, de l'utile, dans le beau, dans l'extrêmement esthétique, elle est aujourd'hui aussi et surtout dans l'universalité.