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Le post Covid-19 : des Etats en «berne», des peuples en «érection» !

par A. Boumezrag*

«L'ordinateur va démolir la pyramide. A présent qu'il enregistre et garde en mémoire ces données, nous pouvons restructurer horizontalement nos institutions pour peu que nous gardions les idées claires» John Nesbitt.

Les Etats prennent conscience des limites de leur système de santé traditionnel face à la pandémie du Covid-19. Des chercheurs américains se sont rendu compte de la nécessité d'une révolution numérique immédiate pour faire face à la crise sanitaire. Ils plaident pour un développement de la Téléconsultation mais aussi pour des consultations par téléphone ainsi que pour la protection des données. Aujourd'hui certains pays qui ont utilisé, dès le début, la technologie et les données à bon escient montrent une facilité déconcertante à limiter la progression de la pandémie tandis que d'autres peinent à l'enrayer. Pour ce qui nous concerne, il n'est peut-être par trop tard pour réfléchir individuellement et agir de concert et ne pas rester les bras croisés à attendre immuablement les jours qui passent dans l'espoir que les choses reviennent à la normale.

Soyons réalistes «rien ne sera plus comme avant». Les conséquences de cette pandémie sur les Etats et sur les sociétés seront irréversibles. Les cartes vont être redistribuées. Comme à chaque crise, il y aura des gagnants et des perdants. Pour échapper à la colère de leurs peuples, les Etats vont se redéployer à l'extérieur de leurs frontières, d'autres vont entrer en conciliation avec leurs peuples et trouver des voies et moyens à même d'y faire face sans s'autodétruire inutilement. Bien que cela ne soit pas évident pour tous, surtout pour ceux qui ont «raté le train en marche». La crise sanitaire a mis en évidence l'avance technologique des Etats capables d'enrayer la progression de la maladie. L'épidémie du Covid-19 et son corollaire le confinement révèlent à quel point la révolution numérique va creuser les inégalités entre les peuples.

L'absence d'Internet va accélérer l'exclusion sociale. Trois populations vont être concernées : les jeunes pour des raisons financières, les personnes âgées par manque d'intérêt et le monde rural par manque d'infrastructures. La crise du coronavirus marquera plus profondément le retard accumulé par les Etats tant sur le plan politique, économique que social. Le Covid-19 ne leur offre que deux possibilités : «s'adapter ou disparaître». Il apparait clairement que la pandémie du Covid-19 représente la plus grande menace que l'Humanité a eu à affronter depuis la Seconde Guerre mondiale. Le nombre de personnes contaminées augmente rapidement, la famine pointe à l'horizon, le bruit des canons se fait entendre, la crise de confiance s'installe durablement, le pire scénario envisagé est le maintien du statu quo mais à quel prix ? La pandémie sera particulièrement préjudiciable aux communautés les plus pauvres et les plus vulnérables dans de nombreux pays. La détérioration des conditions économiques et sanitaires aura des répercussions sur la stabilité politique et sociale.

La pandémie du Covid-19 a mis en évidence les carences des organisations onusiennes et a ravivé la guerre froide entre puissances étrangères impuissantes face aux forces invisibles de l'argent.

«Le chacun pour soi et Dieu pour tous» a ébranlé les certitudes des «Etats providence», les peuples se sont retrouvés livrés à eux-mêmes incapables de surmonter la crise sanitaire de façon solidaire et disciplinée. Une crise qui vient s'ajouter au déficit de légitimité politique et au sous-développement économique. Il existe un énorme fossé de confiance entre les dirigeants et les citoyens. Certains dirigeants politiques envoient des signaux contradictoires aux citoyens, ceux qui réduisent encore davantage la confiance avec ces derniers et les citoyens et les «experts». Ce manque de confiance peut rendre la solution plus difficile. Il s'agit de sortir des sentiers battus.

«Change ta vision des choses et le monde changera», nous conseille un sage. Si vous voulez voir le monde à l'endroit, il faut l'observer à l'envers. La solution magique à un problème serait donc de le voir à l'envers afin de le rétablir à l'endroit. Si le seul outil dont vous disposez est un marteau, vous verrez tous les problèmes sous forme de clous. Et tout clou qui se tient droit interpelle le marteau, quant aux clous tordus, on les laisse tranquilles. Ils sont hors de portée. De plus, si notre tête est ronde comme la terre et non linéaire comme le marteau, c'est pour permettre à notre pensée de changer de direction. Ce n'est pas la richesse qui produit de l'intelligence mais bien l'inverse. La crise sanitaire serait l'occasion d'une transformation de la société par l'introduction d'Internet dans tous les foyers. Le monde à la portée d'un clic. Un clic qui va transformer le monde. Des Etats en «berne», des peuples en «érection». Le logiciel des Etats post coloniaux date des années 60, il est désuet, le logiciel des peuples post Covid-19 est de la dernière génération, il est en phase avec son temps. «Cœur tendre et tête de bois».

Les uns sont dans l'ascension, les autres dans le déclin. Le cerveau ordonne au corps de se mouvoir et le corps de répondre «va te faire foutre». Il est vrai qu'à un certain âge, on est plus proche du grand trou que du petit trou. La mort n'a jamais enfanté la vie. La mort est une lanterne qui nous éclaire sur le chemin de la vie. De la main à fusil à la main à clavier, la main à plume se fourvoie. L'information se démocratise, les nouvelles se propagent à la vitesse de la lumière tout comme le coronavirus. Avec les réseaux sociaux, on s'oriente vers un renversement des pouvoirs. Les réseaux sociaux ne supportent aucune intermédiation et placent tout le monde sur le même plan horizontal. L'expression de l'opinion publique a acquis une force politique inédite ce qui a bouleversé l'équilibre des pouvoirs dans un contexte autoritaire ou démocratique. Partout dans le monde, le développement de l'Internet a suscité l'espoir d'un renouvellement d'une élite et d'une participation politique des citoyens notamment des plus faibles. Internet a donné la «voix aux sans voix».

La pandémie du Covid-19 véhicule un double discours d'inversion des valeurs, où le riche d'hier serait le pauvre de demain, le puissant le faible, le faible le fort, le bourreau la victime, le fou un sage, le citoyen un délinquant, le scientifique un charlatan, l'hôpital un mouroir, le cimetière une décharge publique, une maladie incurable qui enlève le vieux pour frayer le chemin au neuf.

Le Covid-19 a renversé la hiérarchie des valeurs. Les valeurs humaines se sont retrouvées en haut de la pyramide et les valeurs marchandes en bas de l'échelle sociale. L'humain au sens noble du terme sera au centre des préoccupations des politiques en mal de légitimité. La classique hiérarchie du pouvoir du savoir vertical a cédé la place à une organisation horizontale sous l'influence du Web. Le savoir n'a de valeur que s'il sert l'humain. Les grands hommes ont disparu de notre vie. Nous vivons dans un monde de plus en plus horizontal où les hiérarchies intellectuelles se sont affaiblies et Internet n'est pas étranger. Dans le grand public, Internet semble souffler un vent nouveau de liberté. Notre Web est devenu horizontal. C'est le citoyen ordinaire, le monsieur «tout le monde» qui fait et défait l'information. Dans un contexte de crise sanitaire, on cherche à intégrer le citoyen, à le faire participer. La mobilisation de l'intelligence collective en vue d'une optimisation dans la prise de décision pour limiter les incertitudes et partager la responsabilité des risques.

L'art de la décision collective est subtil en s'entourant du maximum de précautions. Pour durer et gagner en adhésion, il faut «gouverner la tête à l'envers». Dans un match de foot, ce n'est pas le dirigeant du haut de sa tribune qui marque le but mais les vingt-deux joueurs qui se battent sur le terrain. Imaginez un joueur face à l'alternative suivante : tentez de tirer pour marquer un but ou faire une passe à un co-équipier mieux placé pour le faire. Marquez soi-même permet de retirer une gloire individuelle mais faire une passe est préférable pour le collectif. Les connaisseurs du foot savent que ce sont les équipes qui font le plus de passes qui gagnent le plus de matchs Les joueurs qui coopèrent le mieux sont les meilleurs joueurs. Dans le sport comme dans la guerre, rien ne dure. Quand un devient puissant, il finit par être trop sûr de lui, la gangrène s'installe et fragilise sa cohésion interne. Les membres du groupe risquent de s'en rendre compte trop tard mais ils sont mûrs pour être conquis par une société plus efficace et mieux organisée.

Dans un monde qui change, il faut manager autrement et placer l'homme au centre de l'action et non pas l'argent. Le talent doit se substituer à la cupidité. Les générations montantes sont moins «dociles» que les générations qui les ont précédées. L'argent a moins de prise sur elles que la démonstration. Il s'agit d'une génération 2.0. Les jeunes manipulent le clavier avec leurs deux mains et font appel aux deux hémisphères de leur cerveau. Ils se déplacent avec leurs deux pieds, un pied droit et un pied gauche, le garçon et la fille, le lettré et l'illettré, le pauvre et le riche. La hiérarchie verticale a perdu son crédit. Les parents ont perdu l'ascendance sur leurs enfants, les patrons sur leurs employés, les journaux sur leurs lecteurs. Du «trop vide» de la langue de bois au «trop plein» d'Internet, les médias traditionnels perdent pied. Ils ne savent pas à quel saint se vouer. C'est la fin des idéologies matérialistes et le recul des religions monothéistes. En terre chrétienne, on se remet à la science et à la conscience de chacun. En terre d'Islam, on ne sait pas à quel saint se vouer ; d'une main on signe un pacte avec le diable et de l'autre on implore Dieu de nous venir en aide.

Les valeurs fortes d'une société sont le respect de la dignité accordée équitablement à tous les individus qui la composent et les chances accordées à chacun pour réaliser son potentiel. Aucune société au monde ne refuse ces idéaux. Or, dans une société où la majorité de la population est composée de jeunes de moins de trente ans, désœuvrés, marginalisés, humiliés, brimés par les aînés, bafoués dans leur dignité et frustrés dans leurs désirs, le Covid-19 trouve un terrain propice à son action dévastatrice, encouragé en cela par les forces hostiles au pays. La jeunesse semble vouloir l'égalité comme un droit, un droit à l'emploi, au logement, à la vie. Bref, un droit perçu comme une manière de parvenir à l'âge adulte. De plus, elle doute des capacités de l'Etat à résoudre ses problèmes existentiels. La réponse nous semble être dans ce proverbe «Dieu nous donne des mains, mais ne bâtit pas les ponts». L'homme dresse des murs pour séparer les peuples au lieu de construire des ponts pour rapprocher les peuples. Aujourd'hui, les jeunes vivent dans un monde virtuel sans frontières, ils veulent en faire un monde réel sans fioritures. Le monde des idées n'a pas de frontières. «Merci, mon Dieu, pour mon ordinateur. Quand il n'y a personne avec qui parler, je peux parler avec moi-même» Beyonce Knowles.

*Docteur