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Le barrage vert entre mythe et réalités : quelles perspectives ouvrir ?

par Abdelkader Khelil*

De façon périodique et spectaculaire, des bourrasques de vents de sable viennent de plus en plus agresser nos yeux de « malvoyants », comme pour raviver et titiller notre inconscient en nous rappelant qu'inexorablement le processus de dégradation des écosystèmes steppiques et oasiens exploités jusque-là, de façon minière ne cesse de prendre de l'ampleur ? À s'y méprendre, avec la désertification et le réchauffement climatique qui pèsent durablement sur notre agriculture; eau, couvert végétal, fertilité des sols, c'est-à-dire toute la matrice nourricière du pays, seront à terme exposés à la disparition.

Comme pour la région subsaharienne, cela se traduira inéluctablement en exode climatique de plus en plus massif vers les régions du Nord si rien n'est fait pour rétablir quelque peu les équilibres rompus de par la faute de l'homme et des politiques inadaptées jusqu'alors. Sans aucun doute, la progression des espaces désertiques est un des plus grands défis environnementaux de l'heure. Elle menace de manière dangereuse, les besoins fondamentaux de l'homme vivant dans les contrées d'abord arides et semi-arides, mais pas seulement, si les flux migratoires ne sont pas jugulés. Ce n'est là, ni une vue de l'esprit ni un scénario apocalyptique qui consiste à faire peur, en rajoutant une couche à la sinistrose de notre marasme quotidien, lorsqu'on voit que même des pays de l'Europe du Sud se sentent, eux aussi, menacés par ce risque majeur et ses effets collatéraux.

Bien au contraire, ce scénario catastrophe est bien réel et de vastes programmes de lutte contre la désertification se doivent d'être entrepris avec toute l'intensité et l'intelligence voulues. Il s'agit cette fois-ci de concevoir et surtout de réaliser, en concertation avec les acteurs économiques et sociaux concernés, de grands travaux d'aménagement du territoire nécessaires et indispensables, à l'échelle des régions des Hauts-Plateaux et du Sud, voire à l'échelle des régions Subsahariennes, dans le cadre d'un véritable co-développement transfrontalier qui pourrait donner au NEPAD (cette « chose » née d'un fantasme démesuré, resté à l'état de coquille vide) sa dimension opérationnelle souhaitée.

Et dire que l'Algérie a été le précurseur et le leader dans la Région Afrique et Maghreb dans la mise en œuvre de programmes de lutte contre la désertification, à travers notamment son expérience du « barrage vert », la mise en défens, la protection des parcours steppiques et la fixation des cordons dunaires ! L'on observe cependant, un fléchissement, sinon une remise en cause dans la volonté d'intensifier les travaux, alors qu'ailleurs et à l'échelle des pays du Sahel on assiste à une plus grande mobilisation, là où le phénomène de la désertification et de la dégradation des terres mettent à rude épreuve des millions d'individus.

Pour renverser ces tendances, une initiative phare de l'Union africaine a été prise par des Chefs d'États et de gouvernements africains en 2007, afin de lutter contre les effets du changement climatique et de la désertification, à partir de l'édification d'un rempart vert communément appelé « Grande muraille verte ». En s'inspirant du projet algérien la « Grande muraille verte » couvre une superficie de 780 millions d'hectares de zones arides et semi-arides autour du Sahara. Sa zone d'emprise abrite 232 millions de personnes et 10 millions d'hectares doivent être restaurés d'ici 2030. Sur plus de 15 Kms de large, la GMV devait constituer un rempart transcontinental reliant le Sénégal à l'Éthiopie en passant par 11 pays sahélo-sahariens, sur une distance de 7.500 Kms.

Ce mégaprojet mobilise plus de vingt pays, ainsi que des organisations internationales, des instituts de recherche, des représentants de la société civile et des organisations locales. Depuis 2010, la FAO (en collaboration avec l'Union Européenne et le mécanisme de la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification) soutient la Commission de l'Union africaine et les pays partenaires à réaliser ce projet. C'est ainsi que des plans d'action sont mis en place au Burkina Faso, à Djibouti, en Erythrée, en Ethiopie, en Gambie, au Mali, au Niger, au Nigéria, au Sénégal, et au Tchad. D'autres programmes sont en cours d'élaboration en Algérie, en Egypte, en Mauritanie et au Soudan.

Déjà nous dit-on, des résultats encourageants de reverdissement du Sahel, ont été enregistrés surtout au Sénégal où quelques années après la plantation, une amélioration de la biodiversité est observée tant pour la flore que pour la faune, avec un début de retour de certains animaux sauvages. Mais pour bon nombre de pays, la grande entrave à ce projet réside surtout dans le fait que la zone géographique concernée fait actuellement l'objet d'une grande instabilité politique et sociale avec des conflits armés, des guerres civiles et des crises humanitaires à répétition qui ne permettent pas de prendre les mesures concrètes et adéquates sur le terrain.

LE «BARRAGE VERT» : QUELS RÉSULTATS !

Créé par décision du 23 juin 1970, le «barrage vert» (cf. carte) est défini dans sa première formulation, comme un peuplement forestier de grande envergure à vocation mixte de production et de protection. Considéré pompeusement par excès de volontarisme comme « barrière à la désertification » ce qui n'est pas tout à fait exact pour ne pas dire une vue de l'esprit, ce projet projetait le reboisement d'une bande forestière de 1.500 kilomètres de long sur 20 kilomètres de large en moyenne, de la frontière marocaine à la frontière tunisienne sur une superficie d'environ 3 millions d'hectares. Pour tout dire, ce n'est là qu'une délimitation faite à main levée entre les isohyètes 200 et 300 mm et qui correspond en fait, à la partie la plus fragile et la plus sensible à la désertification.

Il faut préciser que ce n'est qu'en 1986 que la conception du « barrage vert » a été revue dans le sens d'un rétablissement de l'équilibre écologique du milieu, à partir d'une exploitation rationnelle des ressources naturelles. Cette nouvelle vision intégrée visait à : améliorer le niveau de vie de la population ; restaurer et augmenter le potentiel productif des terres ; reconstituer les peuplements forestiers disparus et reboiser les terres à vocation forestière ; mettre en valeur les terres pastorales et agricoles, fixer les dunes et mobiliser les ressources en eau. Mais qu'en est-il exactement du bilan des réalisations ?

À l'occasion du 45ème anniversaire du lancement de ce mégaprojet, le bilan établi en 2016 par la Direction Générale des Forêts qui hérite du projet après le retrait des 14 groupements du Haut Commissariat au Service National en 1990, fait ressortir des résultats modestes et bien en deçà des objectifs affichés: 300.000 hectares de plantations forestières (reboisement, brise-vent, ceinture verte, fixation de dunes); 42.000 hectares de plantations pastorales; 21.000 hectares d'arboriculture fruitières; 14.000 kms de pistes et 1.500 unités de mobilisation de ressources en eau. Malgré ces résultats modestes au regard d'une si longue période de mise en œuvre, il faut retenir que la mise en valeur de cet espace dont les sols peu profonds sont à dominante calcaire, est techniquement possible, pour peu que la diversification des espèces s'impose de plus en plus, car la dominante forestière (essentiellement pin d'Alep) reste perçue par les populations pastorales riveraines comme une contrainte et une restriction à l'accès des terres de parcours.

C'est dire que l'utilisation excessive du pin d'Alep a entraîné une prolifération de la chenille processionnaire et par conséquent, la destruction d'une grande partie des jeunes reboisements, d'où l'introduction de nouvelles espèces comme : le chêne vert, le cyprès d'Arizona, le frêne, l'Acacia, l'olivier de Bohême, le pistachier de l'Atlas accompagnés d'espèces fruitières tels l'amandier, l'abricotier, le figuier et le grenadier. De même, avec la création de pépinières dans les zones arides, au niveau des 14 groupements du Service national, la production des plants s'est nettement améliorée avec une réduction importance des coûts de production.

Mais après le retrait du HCSN en 1990, les conservations forestières ne disposant que de peu de moyens, n'ont pas été en mesure d'assurer la gestion de ce projet majeur. Des coupes sont opérées dans les reboisements pour le bois de chauffage et la fabrication de produits artisanaux. De plus, la promulgation de la loi sur l'orientation foncière et « l'engouement » manifesté pour la mise en valeur a encouragé certaines familles à réclamer des terres boisées dans certaines wilayas. C'est ainsi que des arbres furent arrachés pour la culture de céréales et notamment de l'orge.

Est-il alors possible de penser que la redynamisation du « barrage vert » puise s'envisager sans l'application du code pastoral mise en veilleuse avec l'arrêt de la 3ème phase de la Révolution Agraire dans le début de la décennie 80 et le désengagement de l'État devenu de plus en plus libéral et proche des intérêts du secteur privé se traduisant notamment, pat l'absence de tout contrôle et encadrement des structures techniques publiques avec surtout, une police de la steppe ? Le bon sens voudrait que des concessions soient cédées sur la base d'un cahier des charges précis, à des communautés pastorales sous la houlette du Haut Commissariat au Développement de la Steppe dont les prérogatives se doivent d'être renforcées.

Il faut en finir avec l'attitude du « tout interdit » et s'inscrire dans la volonté de changer de gouvernance pour rendre durable la participation citoyenne en faisant de ce projet majeur, totalement inscrit dans des régions déshéritées (zones d'ombres), un moyen et un levier important pour améliorer les conditions de vie et de travail des populations riveraines à partir de la réduction des distances de transhumance pour les troupeaux grâce à la multiplication des points d'eau et des zones de pâturage. Il faut faire en sorte que les populations locales s'approprient véritablement le projet et contribuent à sa réalisation et à son suivi ...

La finalité serait ainsi de procéder à la transformation des zones semi-arides du « barrage vert» en véritables pôles ruraux économiques et de développement durable parfaitement intégrés au tissu économique national, à travers la mise en œuvre de l'option Hauts-Plateaux qui peut être amorcée dès à présent dans sa partie centrale, à travers le grand projet « Oued Touil » sur 850.000 hectares. Ce projet tant attendu peut à lui seul, constituer un gage sérieux pour la construction d'une « nouvelle Algérie » inspirée par le travail productif et la restauration de l'égalité des chances en tout lieu de notre vaste territoire.

L'Objectif global est d'une part, de contribuer efficacement à lutter contre l'avancée du désert par les pratiques éprouvées de gestion durable des écosystèmes fragiles et d'assurer le développement socio-économique des Communautés locales par des plateformes polyvalentes d'activités génératrices de richesses, de renforcement de l'accès aux services sociaux de base et de gestion de la transition vers « l'économie verte », afin d'éradiquer la pauvreté, la précarité et l'insécurité alimentaire renforçant ainsi, les capacités d'adaptation et de résilience des populations pastorales. Dans cette vision de diversification des activités, le développement de l'arboriculture rustique (jujubier, pistachier, olivier, abricotier, figuier, olivier) mieux adaptées aux conditions pédo-climatiques et aux exigences écologiques des espèces à introduire, mais aussi, aux objectifs d'améliorer l'accès du maximum d'habitants de la Steppe à de nouvelles ressources et revenus.

C'est dans ce cadre que l'étude menée sur les possibilités de culture et délimitation des zones à vocation pistachier en Algérie1 nous a permis de montrer que toute l'aire du barrage vert correspond à l'aire de cette espèce fruitière rustique, adaptée aux sols les plus divers des zones semi-arides (cf. carte ci-dessous). Elle peut être cultivée avec succès en Algérie dans les zones semi-arides et de ce fait, valoriser les espaces extensifs en voie de désertification en de vastes centres de production de pistaches comme c'est le cas pour de nombreuses région du bassin méditerranéen de Tunisie, de Sicile, de Crête, de Syrie) et d'Asie (de Turquie et d'Iran) et générer ainsi des revenus tout en contribuant notamment, au développement de l'emploi féminin des régions intérieures des Hauts-Plateaux.

Cette étude a montré que les zones les plus favorables sont celles situées dans la Région des Hauts-Plateaux allant d'Est en Ouest : Sedrata, Tebessa, d'Aïn M'lila, Aïn Beida, Khenchela, Chelghoum Laïd, Batna, Arris, N'Gaous, Bordj-Bou-Arréridj, El Eulma, Sidi Aissa, Bouira, Ksar Boukhari, Djelfa, Aïn Oussera, Aflou, El Bayadh, Frenda, Sougueur, Mahdia, Ksar Chelala, Saida, El-Biod, Bougtob, Mecheria, Marhoum et Belhadji Boucif. C'est uniquement de cette façon et progressivement que la valorisation des diverses potentialités naturelles de la steppe pourra amener la population à acquérir de nouveaux réflexes concernant leur modèle de production et d'assurer une rupture avec la vision réductrice de la steppe « pays du mouton », héritée de la période coloniale.

Au titre du développement des espèces fourragères, le programme initié par le HCDS pour le développement de l'opuntia communément appelé figuier de Barbarie, a connu un « grand hectares ont été plantés au profit de 10.644 bénéficiaires. Le programme de 50.000 hectares, à l'échelle nationale est à la fois écologique en tant que mode très efficace de lutte contre la désertification et économique en tant que générateur de revenus avec la production fruitière succès » à la faveur de la création d'exploitations individuelles. Dans la région Est, 27.504 d'huile essentielle et d'aliments de bétail.

Avec la redynamisation du projet « barrage vert » telle que projetée, la plantation très peu couteuse de l'opuntia peut devenir une filière agricole à part entière comme cela se fait chez nos voisins. Comme il convient également de réserver une plus grande place aux espèces fourragères déjà introduites dans les programmes (Atriplex, l'ailante Ailantus glandulosa, zizyphus) ou celles à introduire et à développer comme : le Médicago sativa luzerne compte tenu de la qualité exceptionnelle de son fourrage, de sa capacité de production et des facilités de son utilisation (fourrage vert, foin déshydraté), mais aussi, le caroubier ... En donnant la primauté aux arbustes et arbres fourragers, l'on s'inscrit de fait, dans un contrat « gagnant-gagnant » qui concilie plusieurs intérêts écologiques, économiques et sociaux : remontée biologique du couvert végétal, nécessité d'assurer une meilleure alimentation du cheptel, développement d'activités génératrices de revenus, emploi féminin, éco-tourisme, amélioration des conditions de vie.

En conclusion, nous pouvons dire que malgré toutes les difficultés rencontrées, le projet du « barrage vert » a été une véritable école pour les jeunes ingénieurs et techniciens du Service national qui par milliers ont eu à vivre, malgré des conditions de vie très difficiles, des moments exaltants et intenses, tant ils étaient conscients d'accomplir un vrai travail d'utilité publique très riche en expériences et dont il faudra bien tenir compte et reproduire à grande échelle, tout en le consolidant dans sa continuité comme par transmission du flambeau de génération à génération.

Il appartient donc à l'organe de coordination de la relance du « barrage vert » et de la lutte contre la désertification qui sera mis en place, de procéder à un bilan exhaustif et objectif à faire établir par des experts indépendants des administrations centrales en mettant à contribution les universités. Il s'agira aussi, d'exploiter toutes les études et d'établir de nouveaux et ambitieux programmes intégrés dans le respect des vocations des terres et avec des modes opératoires privilégiant la mobilisation de la jeunesse, des éleveurs et pasteurs concernés. Comme il convient aussi, de songer à une nouvelle approche plus efficace et plus consensuelle capable de mobiliser des moyens d'ingénierie, de réalisation et de suivi qui ne sauraient être, ceux des actuelles institutions comme les conservations des forêts ...

Il y a lieu de façon impérative de « tourner le dos » et de rompre avec toutes les politiques sectorielles « d'en haut », caractérisées par la non ouverture, l'inadaptation et la non-conformité avec les exigences de l'aménagement du territoire, de la nécessaire et indispensable lutte contre la précarité économique et sociale des éleveurs et pasteurs , sans intégration et synergie avec les autres secteurs impliqués dans le développement de cette vaste partie de notre pays-continent, bref, de réhabiliter l'Algérie « d'en bas » qui doit donner son point de vue et construire son avenir de façon consciente et libre.

*Professeur

1. Possibilités de culture et délimitation des zones à vocation du pistachier en Algérie. Fruits d'Outre-mer, vol. 35-1980.