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Pourquoi la stratégie gazière de l'Algérie est plus diplomatique que contextuelle

par Reghis Rabah*

Le marché gazier européen, considéré comme traditionnellement Algérien est en déprime car de nombreuses rencontres dédiées à ce sujet ont mis en exergue les contraintes qui retarde une politique commune de l'énergie entre autres l'exploitation et le développement de schiste. Bien qu'ils se soient engagés à donner plus de poids dans leur bouquet énergétique aux énergies renouvelables d'ici 2020, des pressions politiques poussent à limiter les coûts notamment de l'énergie éolienne et du charbon.

Revenir à redémarrer les centrales à charbon pour produire de l'électricité reviendrait à obliger le consommateur de payer plus chère sa facture de l'électricité ce qui enflammerait le climat social. En effet, la production d'un Mégawatt/h d'électricité dans une centrale à gaz, dégage 0,38t de CO2 contre 0,99t dans une centrale à charbon. Si l'on estime (01) un prix d'émission de 25 euros/t, on s'approchera à 15 euros le Mégawatt/heure qu'il faudra ajouter dans la facture du citoyen européen. Connaissant les difficultés économiques actuelles, est-ce qu'il pourra la supporter ? Donc la bonne nouvelle pour l'Algérie c'est que le gaz continue d'avoir un avenir en Europe dont de nombreux membres sont sceptiques au gaz russe malgré les investissements consentis. C'est pour cela qu'il faudrait s'accrocher pour aboutir à un accord long terme avec la communauté européenne quitte à faire des concessions sur le prix. Il faut préciser aussi que l'Algérie depuis la nationalisation des hydrocarbures a investi sur 3 gazoducs de sotie du gaz Algérien vers l'Europe le GEM (Gazoduc Enrico Mattei) reliant l'Algérie et l'Italie via la Tunisie, le GPDF (Gazoduc Pedro Duran Farrell) reliant l'Algérie et l'Espagne via le Maroc et le Medgaz reliant directement l'Algérie à l'Espagne à partir de la station de compression au départ de Béni Saf, jusqu'au terminal arrivée à Almeria. Il faut souligner d'emblée que si l'on se réfère aux données du Centre National de l'Informatique et des Statistiques (CNIS) de la douane dans ses récents rapports, on se rendra compte que Sonatrach et à travers elle l'Algérie exporte en volume plus de gaz que de pétrole. Par ces réserves du gaz conventionnel estimées à 2750 milliards de m3 , elle ne pèse pas lourd sur l'échiquier international. En effet, trois pays, la Russie (35%), l'Iran (15%) et le Qatar (10%), totalise à eux seuls 60% des réserves mondiales et prés de 80% des réserves de l'ensemble des membres de FPEG. Ces trois pays ne respectent aucune discipline internationale pour compter sur eux pour une action de régulation du marché gazier. Donc fonder sa stratégie sur une action avec le forum des pays exportateurs de gaz (FPEG), serait une pure perte de temps comme elle le fait avec l'OPEP actuellement. Par ailleurs, le continent asiatique où la croissance semble se maintenir est tout prêt du Qatar qui bradera son gaz pour ne pas laisser l'Algérie pénétrer ce marché et, ceci sans tenir compte du gaz de schiste de bonne qualité qui arrive au Japon et bientôt le charbon de l'Australie en Chine, pays très peu soucieux de l'environnement. La Russie a déjà investi dans les conduites North Stream et le South Stream, dont le premier est déjà opérationnel. Son retard sur de nombreux projet comme le Galsi rétrécit ses champs d'intervention et l'étrangle face à ces contraintes internes. L'Algérie traine aussi une autre contrainte et pas des moindres, il s'agit de la consommation interne de gaz en croissance de prés de 10% par an.

1-L'FPEG a toujours éludés le vrai débat dans ses différentes rencontres

Le marché Européen qui intéresse plus particulièrement l'Algérie se trouve dans une situation duale. Avec d'un côté les prix spot sur le marché Britannique et de l'autre côté les prix influencés par les produits pétroliers dans le continent. Le gazoduc reliant la Belgique à l'Angleterre joue désormais d'arbitre entre les deux prix. La tendance est donc vers des nouveaux délais contractuels sur le marché du gaz ne dépassant pas les dix ans et la clause «take or pay» laissera la place au «take or release» avec la possibilité justement de vendre les excédents sur le marché spot dont le prix de référence dépend de l'équilibre de l'offre et de la demande. La vraie question que le forum aurait pu examiner est : à quand un prix mondial du gaz naturel et sa transformation en prix directeur de l'énergie. N'a-t-on pas reconnu que le gaz est l'énergie du troisième millénaire ? Il aurait pu aussi accentuer sur la problématique de la prééminence du gaz naturel sur le pétrole comme énergie directrice.

2-Réadapter sa stratégie européenne par une offensive diplomatique

Le groupe pétrolier vient de publier en grandes pompes l'achèvement d'une opération d'acquisition de 19,10 % des parts de la société espagnole CEPSA Holding dans la société Medgaz (02). Ceci va permettre lit -on dans le communiqué au mastodonte d'augmenter sa participation dans ce gazoduc de 8,04%. De cette façon, la participation de Sonatrach s'élèvera de 42,96 à 51% et devient ainsi majoritaire dans la société internationale Medgaz SA, qui s'occupe de la gestion et l'exploitation de ce gazoduc sous marin qui relie directement l'Algérie à l'Espagne à travers la station de compression située à Béni Saf pour terminer au petit port Espagnol d'Almeria. Cet ouvrage de diamètre 243 , long de 210 km dispose d'une capacité de 8,2 milliards de m3 par an. Maintenant les deux partenaires qui restent dans la société Medgaz SA à savoir Sonatrach (51%) et l'Espagnole Naturgy (49%) vont prendre en charge, projet prévu bien entendu avant la crise sanitaire liée à la pandémie du coronavirus l'augmentation programmée courant premier trimestre 2021 qui fera passer la capacité de 8,2 milliards de m3 à 10,2 milliards de m3 « par le rajout d'un Turbocompresseur au niveau de la station de compression Algérienne de Béni Saf dans la wilaya d'Ain Témouchent. (03). Rappelons juste pour mémoire que ce projet ambitionnait une internationalité multidisciplinaire qui offre la voie «la plus directe et la plus économique d'approvisionnement en gaz naturel dans sud de l'Europe.» Il était considéré comme un «projet d'intérêt commun» bénéficiant d'un appui inconditionnel de l'Union Européenne qui lui a accordé à l'époque une aide financière de 2 millions d'euros durant la phase d'étude et de design ainsi que d'une autre tranche de 1,4 millions d'euros lors de la phase de construction.

3- Maintenant, avec les nouvelles donnes, l'ambition restera t- elle de mise ?

Le journal espagnol «Cinco Dias» a rapporté dans sa livraison du lundi 18 mai 2020 le compte rendu de la réunion de Naturgy Group soit prés de trois semaines après l'annonce faite ,le 29 avril, lors de la présentation des résultats du premier trimestre de l'année, le président de Naturgy, Francisco Reynés, a adressé un avis clair aux navigateurs: la société aurait recours à tout instrument juridique pour adapter ses contrats internationaux de gaz naturel aux circonstances actuelles du marché. Cela est dû à la profonde dépression des prix des matières premières dérivées, d'une part, de l'offre excédentaire enregistrée depuis l'année dernière en raison du ralentissement de l'économie et, d'autre part, de l'effondrement de la demande pour les mesures de confinement pour lutter contre la pandémie de coronavirus. L'analyse de Carmen Monforte, la rédactrice de l'article s'est « focalisée » sur le fournisseur traditionnel Sonatrach pour laquelle « il n'est plus question de continuer à payer Sonatrach et partant l'Algérie du gaz naturel qui viendrait par Medgaz à des prix très élevés par rapport aux prix pratiqués dans les marchés internationaux. » Il estime la chute à 30% depuis le début de la pandémie du COVID-19 (04). Selon, ce que rapporte ce journal, Naturgy qui conteste tous ces contrats avec ses principaux fournisseurs avait entamé des négociations depuis le début de l'amorce de cette chute selon toute vraisssemblance en vain, d'où le recours à l'arbitrage international conformément aux clauses contractuelles .Le premier, rapporte le journal et le plus pertinent de tous, celui qu'il va dénoncer à son principal fournisseur, l'Algérie, via le colosse d'État Sonatrach, est déjà en cours. Il sera suivi d'autres arbitrages similaires contre le Nigeria, les États-Unis ou la Russie, qui s'ajouteraient à celui que la société espagnole maintient actuellement contre le Qatar. Le président de Naturgy et cela se comprend devant ses actionnaires devait exposer sa démarche par étapes. La première consisterait à embaucher un cabinet d'avocat « de poids international et de prestige reconnu »pour lutter pour une révision « extraordinaire des prix »des contrats avec l'Algérie qui représente un volume global entre 8 et 9 milliards de m3 par an. Des sources juridiques ont révélé à «Cinco Dias» les trois cabinets qui vont défendre ce dossier devant le tribunal arbitral de Paris «ou de Genève» surtout «contre le colosse algérien de l'énergie.» Ce sont les sociétés Three Crowns, King & Spalding et Herbert Smith.

4- C'était une situation sans surprise étant donné les circonstances actuelles.

L'analyse, le dit elle-même, les contrats de cette stature en général prévoient une clause de révision des prix: la conventionnelle, tous les trois ans, qui permet de les adapter quand il n'y a pas beaucoup de variation, et les extraordinaires, quand, comme actuellement, des changements se produisent profondément dans le marché. Des indices comme le Henry Hub ont enregistré cette année le niveau le plus bas de son histoire et comparé à un prix habituel de sept dollars par million de BTU, il a atteint parfois un maximum de 14 dollars au moment où il se situe à peine à moins de 2 dollars. Les pires présages indiquent également qu'il pourrait tomber à zéro dollar s'il les activités ne reprennent pas pour éponger le surplus d'offre dans les stocks. Cette société semble, selon toute vraisssemblance pousser le bouchon trop loin pour exiger un retour au prix du marché qui rendrait le gazoduc non rentable, soit moins de 2 dollars comme l'exige le contexte conjoncturel. Ensuite, l'union européenne est une entité toute puissante, elle est dotée d'un pouvoir supérieur à celui des Etats membres et donc celui d'imposer les règles quand bien même ceux-ci s'y opposeraient. C'est certainement sur cette fibre que le président de Naturgy « pompe sa poitrine » car la directive européenne donne raison systématiquement à ses membres lorsque les prix d'achat du gaz est jugé plus cher que celui du marché. C'est une difficulté de plus que rencontrerait Sonatrach et qui s'ajoute aux contraintes internes fortement perturbatrices

5- Sonatrach a pris beaucoup de retard pour concrétiser cette ambition européenne

Sonatrach traine un déclin de ses gisements que l'instabilité de ses dirigeants n'a fait qu'accentuer depuis pratiquement le 2éme semestre 2017 Pourquoi ? Elle dope les chiffres de l'exportation, et afin de compenser en partie le déclin provoqué par la déstructuration de l'organisation, la marginalisation des compétences et des cadres intègres qui refusent d'abdiquer contre les intérêts de l'entreprise, dénonçant l'équipe d'Ould Kaddour notamment les principaux responsables de la chaine Amont dont l'ex Vice-président et d'autres actuellement en postes alléchants juste pour bénéficier des avantages de cadres dirigeants ou conseillers au ministre de l'énergie. En effet, en violation de la loi sur la conservation des gisements, ils ont pris la décision de détourner les gaz associés destinés à la réinjection afin de les comptabiliser comme production additionnelle «jamais comptabilisés auparavant, et les mettre dans le pipe pour l'exportation »pour masquer donc le déclin aux autorités, et donner une illusion d'une production additionnelle. Les conséquences de ces violations, ont un impact direct sur la réduction des réserves d'hydrocarbures Algériennes mobilisées à prix fort, et sur l'extinction prématurée des gisements. Ces volumes de gaz étaient destinés à la réinjection, pour maintenir la pression et les conditions optimales pour maximiser les réserves, la production à long terme. Il s'agit l 10 milliards de m3 qui ont été soustraits et vidés de Hassi Messaoud 4 milliards de m3 du gisement de Rourde baguel, l 15 milliards de m3 ont été soustraits du cyclage de Rhourde Nouss et qui, étaient destinés pour optimiser le condensat. Des cadres se demandent si ALNAFT et la tutelle avait donné l'accord règlementaire pour tout changement de mode d'exploitation, pour ces violations graves.

6- Les dirigeants du mastodonte gèrent par effet d'annonce mais oublient l'essentiel.

Avec la réduction de son budget de prés de 50% qui leur est imposée par les pouvoirs publics suite aux effets économiques de la pandémie, les premières mesures prises pour le deuxième semestre 2020 sont de ne retenir que 26 puits d'exploration et 30 puits de développement pour ne maintenir que 18 appareils de forage en activité d'ici la fin de l'année contre 68 qui étaient debout fin mars 2020 sans compter la suppression de plusieurs projets faute de moyens financiers. La situation actuelle semble selon des informations crédibles toucher directement la production des hydrocarbures. Le report du boosting dans sa troisième phase dans la région sud de Hassi R'mel ne sera opérationnel qu'en octobre 2020 et celui de la zone nord ne sera possible que le début du 2éme semestre 2021 soit un retard global du programme de cette opération vitale pour ce champ de prés de 18 mois. En effet, elle était prévue être finalisée en décembre 2019. Le préjudice n'est pas des moindres selon des informations recueillies par les opérationnels : plus de 7 milliard de m3 par an de perte directes et indirectes â partir de 2020 de plus 10 milliards par an liées aux magouilles et certainement une mauvaise gestion de la maintenance du plus grand gisement de gaz de l'Algérie.

Il pourrait ainsi compromettre tous les programmes de l'offre de gaz et les responsables directs sont encore sur place sauf Ould Kaddour qui a été limogé. Il s'agit de la majorité de l'équipe en poste actuellement. Cette situation n'est pas que pour le champ de Hassi R'mel mais Rhourde Nous n'a pas été non plus épargné car la production serait descendu à 14 milliards de m3 soir une diminution de prés 10 milliards de m3 à cause de la déplétion accélérée et les pertes de réserves de condensats. De cette manière signale ces cadres « la production prévisionnelle de gaz est sérieusement compromise car la baisse est continuelle. Quant à Rhourde Ennous la baisse de pression est due principalement dit -on à la réduction de 60 % du cyclage.

7- C'est à Augusta qu'il faut récupérer de l'argent et non en amont pétrolier

Normalement en février dernier, une délégation de la Sonatrach comptait entreprendre dés le mois mars une mission, pour lit-on s'assurer de la réalisation des objectifs attendus sur le site de la raffinerie d'Augusta. On apprend aussi que le conseil d'administration composé de plusieurs responsables algériens et d'un PDG italien du nom de Rosario Pistorio s'est réuni pour la première fois pour enfin reconnaitre la nécessité d'améliorer la rentabilité de ces actifs acquis en 2018 en traçant les axes «d'une stratégie commerciales et d'une gestion appropriée» (05). Quant au site italien «siracusaoggi » (06), il confirme qu'ExxonMobil avait trouvé d'énormes difficultés pour la vendre voilà plus de 3 ans à cause de la vétusté des installations. Il a été prouvé aussi que le propriétaire de cette raffinerie de 70 ans d'âge subissait une perte en consentant des sommes importantes pour la mettre en conformité avec les normes environnementales. Sur l'avenir de ce projet après l'annonce faite par le magazine Français dirigé par Pierre Terzian connu par ses interventions dans les medias Algériens sur certaines vérités, lesquelles vérités ont été dénoncées par des experts algériens dés son acquisition très controversée. Cette raffinerie a été acquise sans un examen minutieux du dossier par le conseil d'administration de Sonatrach et avec un accord du premier ministre de l'époque Ahmed Ouyahia, la transaction devait aboutir par un forcing sans livrer ses secrets. Le montant de l'acquisition, relève petrostrategie, semble être proche de 725 millions de dollars ce qui s'écarte du montant avancé. En plus il y a eu engagements de Sonatrach pour « casquer » immédiatement le montant pour décontamination des sols et la prise en charge des stocks de produits qui n'appartenaient plus à la raffinerie. Uniquement à ce niveau et sans prendre en compte les rumeurs d'un financement occulte à partir de filiale de Sonatrach dans les Iles vierges Britanniques, ce montant pourrait revenir à un milliard de dollars non compris les pertes d'exploitation et les investissements futurs dans la conformité environnementale. De nombreux experts, repris par la revue petrostrategie de janvier 2020 soutiennent que « l'usine achetée est structurellement déficitaire, c'est pourquoi Augusta n'a été maintenue à flot, depuis son acquisition, que par des fonds qui lui ont été injectés par Sonatrach, sans perspective de rentabilité.»

*Consultant, économiste pétrolier

Renvois

(01)-Réglements européens

(02)-https://sonatrach.com/presse/sonatrach-actionnaire-majeur- dans-le-medgaz

(03)-https://sonatrach.com/actualites/hydrocarbures-sonatrach-devient-actionnaire-majoritaire-du-gazoduc-medgaz (04)-https://cincodias.elpais.com/cincodias/2020/05/16/companias/1589648423_919328.html

(05)-https://www.algerie-eco.com/2020/02/04/les-responsables- de-la-sonatrach-visiteront-la-raffinerie-daugusta-en-mars/ (06)-https://www.siracusaoggi.it/rumors-dallalgeria-sonatrach-ci-ripensa-su-augusta-migliorare-la-profittabilita/