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L'avenir doit être dessiné au crayon, par des architectes, pas par des maçons

par Benlazaar Sid Ahmed*

Il est très facile de mettre en place une conscience citoyenne. Il est très facile de transformer un individu en citoyen, patriote. Se contenter des masses ne peut que produire des « maçons » plus ou moins habiles, mais éternellement différents et incapables d'unifier leurs talents pour en faire émerger une vision globale.

Les institutions de la DGSN sont dotées de multiples corps dédiés à des fonctions complémentaires utiles pour l'ancrage de cette ci-toyenneté. Le combat mené contre le crime est un aspect important, ancrant un premier niveau de perception de la sécurité curative. Mais ce n'est pas suffisant, et le sécuritaire ne saurait se débarrasser du nécessaire volet de la citoyenneté. Il est important de réviser la fonction du policier, réduite ces dernières années à la sécurité dans l'urgence, et à la prévention sous couvert de la sanction des fautes spécifiquement liées aux conducteurs de véhicules.

L'Algérie de demain n'a pas besoin de Commissariats Bunker, encadré par des pierres coloriées en rouge et blanc et bloquant toutes les ruelles permettant au commissariat de se greffer à l'espace citoyen et faisant des ruelles limitrophes des zones interdites aux citoyens.

L'Etat d'urgence est terminé.

L'Algérie de demain n'a pas besoin de policiers protégeant, armés, les environs des structures sécuritaires.

L'Algérie de demain a besoin d'un citoyen qui ressent la présence du policier dans les recoins perdus des ruelles abandonnées, pas forcément dans des véhicules roulant à vive allure, gyrophare en marche, mais à pied, en moto, en bicyclette (dans certains Pays ils exploitent chevaux et chiens policiers), hommes ou/et femmes, prenant leurs temps, se hasardant à proximité des gens, des policiers er policières qui s'intègrent dans l'environnement social pour devenir les «amis», les «voisins» qui procurent ce sentiment de sécurité et de proximité tellement vendu sur des bouts de tissus placardés les journées des portes ouvertes «traditionnelles». Ce sont ces rencontres qui feront du citoyen les oreilles et les yeux du policier en cas de besoin.

L'abandon des ruelles a donné naissance à des artifices laids, honteux : les dos d'âne.

En l'absence d'une institution garante du respect des règles, on embauche des dos d'ânes.

L'Algérie n'a pas besoin de dos d'ânes. Elle a besoin d'Architectes de la Pensée.

La sécurité doit envahir les espaces, et l'agent de sécurité ne doit plus être « l'Autre », celui que nous sommes condamnés à rencontrer en cas de retrait de permis, en cas de perte ou de vol, en cas d'agression, et qui nous recevrait le visage vide devant l'entrée du commissariat.

La sécurité doit venir et s'impliquer dans la population et accompagner les citoyens rassurés par des personnes qu'ils voient passer tous les jours devant chez eux.

Mais la Police, ce n'est pas que ce sécuritaire, même s'il est important.

La Police, c'est aussi la protection de l'espace urbain et l'ancrage d'un civisme nécessaire à la citoyenneté.

La Police ne devrait pas se contenter d'un contact violent, sec et consacré à la récolte d'un budget représenté par les procès verbaux délivrés à des conducteurs ne respectant pas les codes, durant des périodes définies, mais surtout sur des espaces définis, des autoroutes largement fréquentés, de fréquentation de masse.

La Police doit redéfinir les espaces.

Une voiture ne se gare pas sur le trottoir.

Un citoyen ne marche pas sur la route, et il travers sur un passage clouté.

Le feu rouge est un devoir et pour le conducteur et pour le citoyen.

Les routes et ruelles doivent être régies par des signalisations des codes universelles.

Les commerces ne doivent pas obstruer les trottoirs et obliger les passants à marcher avec les voitures.

Les habitants désireux de faire des travaux ne doivent pas jeter sur les trottoirs les produits de construction, sable, gravier, détritus, durant des mois dérangeant les espaces et avilissant la cité.

En Europe, des entreprises existent et se consacrent exclusivement à gérer les espaces cloisonnant les zones en réfection.

Pour les commerces, une législation claire définit ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas.

L'abandon de la cité, de l'espace publique n'est pas une stratégie.

Combien de routes ne possèdent même plus les lignes continues ou pas séparant les voies et créant ainsi des dépassements incommensurables...

Les passants doivent se réapproprier les trottoirs, et cela ne peut se faire qu'à travers une présence reconnue, la Police.

Les véhicules se doivent de respecter les aires de stationnement, et cela ne peut se faire qu'à travers la présence de cette même Police.

On ne se gare pas sur le trottoir sous prétexte d'habiter là.

Le concept de présence de la sécurité ne peut se suffire d'horaires de bureau, il se doit d'être permanent, ce qui n'est pas l'affaire de nombre et de quantité policière mais de méthodes et d'organisations, de structures et de technologies.

J'insiste sur le rôle policier, car il est le déclencheur majeur de comportements constructifs au niveau des services de la mairie, laissés à l'abandon et résiliés à des fonctions restreintes, presqu'invisibles.

En Jordanie, en Tunisie, au Maroc, peu importe où nous allons, les espaces publiques sont propriété de la ville.

Les Maisons et Bâtiments se doivent de respecter des cahiers des charges.

Les couleurs des façades des habitations sont uniformisées par la mairie et font partie de l'image protégée et symbolique de la ville.

Personne n'a le droit de creuser des tranchées sur des routes fraichement goudronnée et de dégrader les espaces sans en subir les conséquences, y compris lorsque cela est le produit de sociétés publiques. La mauvais prévision, la mauvaise gestion se payent et se corrigent grâce à la mise à l'index des responsabilités.

Personne n'a le droit de peindre sa façade dans une couleur hors norme, ou de construire des murs de briques laissés en l'état pour la simple raison que de l'intérieur de la demeure on ne le voit pas. Il est important que le citoyen se réapproprie l'espace publique et en fasse aussi une priorité.

La Police urbaine est à même de mettre en place des sanctions capables de réfréner l'abandon du rôle citoyen.

Les mairies en partenariat avec la société civile, les historiens, peuvent accélérer cette construction en remplaçant les numéros donnés aux cités par des noms d'Algériens à même de renforcer la mémoire collective, pas forcément un Chahid, pas forcément des personnes mortes, mais aussi des événements, des Algériens qui à un moment de l'Histoire ont servi ou servent encore cette même mémoire dans quel que domaine que ce soit.

Il n'a pas fallu beaucoup de temps pour intégrer le port de la ceinture aux conducteurs, qui en font aujourd'hui un acte complètement accepté et intégré.

Les habitudes s'installent dans la durée.

Le chômage frise des chiffres effarants. Les mairies devraient s'intéresser à des recrutements citoyens, dédiés au civisme et à la citoyenneté. Des jeunes payés par les mairies et qui contrôleraient les sorties des enfants des écoles aux heures de pointe, des jeunes qui surveilleraient les ruelles et le comportement civique au profit d'une police de proximité.

Une ville sûre, propre, belle, un citoyen qui réapprend à s'approprier sa ville, c'est un Patriote de plus sur les rangs de l'Algérie de demain.

L'Avenir doit être dessiné au crayon, par des Architectes, pas par des maçons.

Ces Architectes doivent alors unifier les perceptions de bons maçons et mettre en œuvre le chantier qui alors ne pourra qu'accoucher d'une sculpture remarquable.

On n'a pas le droit d'abandonner l'Architecte sous prétexte que cela réduit les dépenses. Le coût à payer est bien plus terrible, lorsque les enfants, nos enfants, grandissent en marchant au milieu des rues, dans la peur, des ruelles mal éclairées , qu'ils finissent par traverser en courant pour éviter un désastre qu'ils rencontreront au coin de la rue.

Le meilleur ?

Cela coûtera bien moins cher que de peindre les trottoirs à l'infini, refaire les routes à l'infini après les avoir régulièrement et avec méthode réduites en chemins impraticables, cela augmentera le civisme citoyen, réduira les accidents, réduira les vols à la tire et autres méfaits profitant justement de l'absence d'une autorité de régulation et de surveillance, sans parler de ce satisfecit non mesurable de bien être dans son Pays.

*Enseignant chercheur, Université d'Oran 1 Ahmed Benbella