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Révision Constitutionnelle - L'immunité parlementaire : une spécificité algérienne

par Nasr-Eddine Lezzar*

Les textes régissant l'immunité parlementaire en droit algérien établit et prouve l'état de grande décrépitude morale des institutions, des hommes et des femmes qui les forment. Il y'a lieu de s'indigner ,tout d'abord, contre le fait que les parlementaires aient voté leur propre statut indemnitaire. Ce qui a donné lieu, on s'en souvient, aux salaires de la honte. Il se trouve que ces odieuses indemnités n'ont pas seulement ruiné les caisses de l'état mais aussi la crédibilité de l'institution elle-même. Elles ont transformé le statut de député en un eldorado pour affairistes. L'immunité parlementaire est régie par les articles 109 à 111 de la constitution de 2008. Elle est accordée aux députés et aux membres du Conseil de la Nation pendant la durée de leur mandat. Les députés et sénateurs ne peuvent faire l'objet de poursuites, d'arrestation, ou en général, de toute action civile ou pénale ou pression, en raison des opinions qu'ils ont exprimées, des propos qu'ils ont tenus ou des votes qu'ils ont émis dans l'exercice de leur mandat. Sur ce point on ne peut rien dire. Il est normal que ceux qui nous représentent et défendent nos droits soient protégés durant leurs missions. L'extension de cette surprotection au delà de leurs missions et en dehors de l'enceinte parlementaire est autrement problématique et c'est exactement ce que fait l'article 110 de la constitution . Les poursuites ne peuvent être engagées contre un député ou un membre du Conseil de la Nation, pour crime ou délit, que sur renonciation expresse de l'intéressé ou sur autorisation, selon le cas, de l'Assemblée Populaire Nationale ou du Conseil de la Nation, qui décide à la majorité de ses membres la levée de l'immunité. Une exception est toutefois offerte par l'article 111 dans les cas de crime ou de délit flagrant où il peut-être procédé à l'arrestation du député ou du senateur . Le bureau de l'APN ou du Conseil de la Nation en est immédiatement informé. -La situation devient sérieusement gênante , un peu ubuesque, dans l'alinéa 2 qui dispose « Il peut être demandé , par le bureau saisi, la suspension des poursuites et la mise en liberté du député ou du membre du Conseil de la Nation. Il sera alors procédé conformément aux dispositions de l'article 110 ci-dessus ».

En fait si on lit bien, il ne s'agit point d'une demande par le bureau du parlement au juge mais plutôt un ordre auquel ce dernier est appelé à se conformer en procédant selon l'article 110 qui subordonne les poursuites à l'acceptation du député (sans rire) ou à l'autorisation du parlement.

Comment lever l'immunité : La constitution de 2008 ne prévoit aucune disposition sur la procédure de levée. Il faudra pour cela se référer à une autre loi qui règle ce détail. La Loi n° 01-01 31/01/ 2001 (une loi de l'ère Bouteflika ) relative au membre du Parlement .Un unique et laconique article ( art 14) est consacré à cette épineuse question ; il se limite à préciser « Le membre du Parlement jouit de l'immunité parlementaire, conformément aux articles 109, 110 et 111 de la Constitution» . La loi de 1989 relative au statut de député, aujourd'hui abrogée sans un véritable texte de substitution, était autrement explicite .Voici l'essentiel de ses dispositions. Elle commence par préciser les protections dont jouissait le députe et, ensuite, détermine la procédure de renonciation ainsi que les organes et structures compétentes. La compétence pour l'instruction de la demande de levée de l'immunité est dévolue à la commission de la législation et des affaires juridiques et administratives. La demande peut être proposée, selon l'article, par le Gouvernement ou par le Président de la l'APN, agissant au nom du bureau, à la requête du procureur général. L'Article 12 du texte fixe le déroulement de la procédure intra muros (débats et prise de décision).Ce texte au contenu critiquable avait au moins le mérite d'exister. Il y'a lieu de signaler un élément cocasse : il revient à la justice qui veut engager des poursuites de demander l'accord du parlement. Dans d'autres pays les poursuites sont engagées, sans autorisation préalable, il appartiendra au parlement d'en demander la suspension dans certains cas. En Algérie l'autorisation des poursuites, question éminemment juridique, est soumise à des personnes qui, parfois, n'ont aucune connaissance du droit (ou aucune connaissance tout court) qui trancheront en fonction de paramètres, plutôt, politiques conjoncturels opportunistes, soumises à un jeu d'alliances parfois puéril. La politique suspend la marche du droit. Enfin en omettant de prévoir les règles et, la procédure de levée de l'immunité parlementaire le législateur a laissé une question substantielle dans un vide complet. Nous soutenons que nous sommes dans un vide juridique quant à la procédure de levée de l'immunité car la loi de 1989 est afférente à une constitution abrogée et se trouve, donc, automatiquement caduque .Les nouvelles constitutions qui ont suivi requièrent des textes conformes à leur esprit. En Mai 2017 devant le scandale de candidats à la députation trainant des casseroles judicaires Le ministre de la justice (Tayeb Louh à l'époque) avait déclaré «Il y a des procédures qui sont définies par la loi au sujet de la question de la levée ou non de l'immunité parlementaire d'un élu, mais la complication de la démarche rend cette action très lente, voire impossible». Non Mr L'ex ministre il n' y' a aucun texte qui régit la levée de l'immunité parlementaire, cependant le dernier point me semble véridique «la levée est impossible «. En fait l'ex ministre brouillait les cartes ; il transformait en une question de levée de l'immunité un problème de candidature viciée et nulle .Ne voulant pas annuler des candidatures viciées il a dévié le problème en levée d'une immunité comme si les faits avaient été commis durant le mandat. L'ex ministre avait alors promis une reforme de l'immunité parlementaire. On attend toujours !

Afin de mettre au clair l'iniquité et l'aberration de notre système, soumettons-le à la comparaison d'autres statuts des députés dans le monde.

En France : La constitution française (1995) restreint l'immunité à l'arrestation et la peine privative de liberté elle ne s'étend pas à la protection contre les poursuites, les inculpations et les mises en cause. La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d'un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l'assemblée dont il fait partie le requiert. La suspension des peines et des mesures privatives de liberté se limitent à la durée de la session et non à celle du mandat .En outre cette suspension n'est pas automatique mais doit être requise par l'assemblée et non par l?intéressé. Le mécanisme français est l'inverse de l'algérien : La soumission au droit commun de la procédure pénale est la règle, la suspension des mesures privatives de liberté est l'exception. Autrement dit le député est soumis au droit commun sauf si l'assemblée le requiert et non l'inverse. En droit algérien le député est dans un statut dérogatoire sauf si l'assemblée autorise la levée de ce statut . Pratiquement et conformément à la suprématie du pouvoir judicaire, c'est l'assemblée qui demande à la justice de suspendre les mesures privatives de liberté et non la justice qui demande au parlement l'accord de mise en détention. En tout état de cause les poursuites peuvent être engagées sans mesure préalable.

La hiérarchie des pouvoirs et la suprématie du droit sont clairement affirmées.

Tunisie : Dans le pays de Bourguiba et celui de Ben Ali et durant leur règne, aucun membre de la Chambre des députés ou de la Chambre des conseillers ne peut, pendant la durée de son mandat, être poursuivi ou arrêté pour crime ou délit, tant que la Chambre concernée n'aura pas levé l'immunité qui le couvre. Toutefois, en cas de flagrant délit, il peut être procédé à son arrestation. La Chambre concernée en est informée sans délai. La détention est suspendue si la Chambre concernée le requiert.

Au Maroc : L'article 39 de la constitution marocaine instaure un système juridique nettement plus nuancé. Deux régimes sont applicables :

1-Pour Les agissements liés à la fonction, l'immunité du parlementaire, même, durant et à l'occasion l'exercice des fonctions, s'arrête devant la monarchie, l'islam et le roi.

2-Pour les agissements extérieurs à la fonction : Durant les sessions parlementaires ; Cette immunité protège tant contre les poursuites que contre les arrestations mais elle n'est applicable que durant les sessions. L'autorisation de la chambre est préalable à l'engagement des poursuites et/ou l'arrestation .Cette autorisation est sollicitée par la justice qui se trouve dans un statut de subordination à l'assemblée.

B- En dehors de sessions parlementaires : Les poursuites sont déclenchées et menées sans aucune autorisation préalable. Les arrestations par contre sont subordonnées à l'autorisation de la chambre .Exception d'arrestation sans autorisation de l'assemblée : le flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive

Commentaires : En dehors de sessions de l'assemblée l'immunité du député marocain ne le protège que contre l'arrestation et non contre les poursuites .Le député ne peut être arrêté en préventive dans les cas de poursuites non autorisées par le parlement mais il peut l'être si la condamnation est définitive même si la poursuite n'a pas été autorisée par le parlement. La constitution marocaine ajoute : « La détention ou la poursuite d'un membre du Parlement est suspendue si la Chambre à laquelle il appartient le requiert, sauf dans le cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive ». L'intervention de la chambre du parlement ne peut être opérante et mettre fin à la détention que si les poursuites n'ont pas été autorisées par elle et aussi si la mise en détention n'est que préventive et aussi en dehors des cas de flagrance. D'abord c'est à la requête de la chambre que la détention ou la poursuite sont suspendues, la justice n'est pas obligée de requérir l'accord du parlement pour poursuivre, c'est le parlement qui sollicite la justice pour mettre fin à la détention .La hiérarchie est encore affirmée entre la justice sollicitée et le parlement est en position de demandeur, encore que le texte ne précise pas que la justice doit obtempérer. Ce droit de requête du parlement est exclu en cas de flagrance de poursuites autorisées ou de condamnation définitive. Il est intéressant de rappeler que les poursuites n'ont pas besoin d'être autorisées durant les intersessions et si une condamnation définitive est prononcée suite à une poursuite, même non autorisée, l'immunité parlementaire devient totalement inopérante. Des brèches sont, quand même, ouvertes où la justice marocaine agit avec un député comme un commun des mortels.

Belgique : Les parlementaires bénéficient d'un régime de protection renforcée qui tend à assurer le libre et entier exercice de leurs attributions. Cette protection réside principalement dans deux garanties distinctes que leur reconnaît la Constitution. L'une est prévue par l'article 58 de la Constitution. On l'appelle communément « l'irresponsabilité parlementaire ». Elle offre une immunité absolue mais limitée. Les parlementaires ne peuvent en aucun cas, même après la fin de la session parlementaire ou après la fin de leur mandat, être poursuivis du fait d'opinions ou de votes qu'ils ont émis dans l'exercice de leurs fonctions. L'autre est prévue par l'article 59 de la Constitution. On la désigne par l'expression d' « inviolabilité parlementaire ». Elle offre une immunité relative mais illimitée: elle vise toutes les infractions possibles mais peut être levée.

Elle protège les parlementaires lorsqu'ils font l'objet de poursuites en raison d'actes délictueux autres que ceux que peuvent constituer les opinions et votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions. Le régime de l'inviolabilité ne joue que pendant la durée de la session. En dehors de celle-ci, le droit commun de la procédure est intégralement applicable. Un parlementaire ne peut faire valoir son inviolabilité parlementaire lorsqu'il est pris en flagrant délit. La détention d'un parlementaire ou sa poursuite devant une cour ou un tribunal est suspendue pendant la session si la Chambre dont il fait partie le requiert.

Conclusion générale : Chaque président algérien a eu sa constitution. Ben Bella en 1963 Boumediene en 1976 Chadli en 1989 Zeroual en 1996 ?Bouteflika en 2008 , il en aura probablement une deuxième et d'autres modifications. Dans toutes ces constitutions ,que nous avons consultées, le régime de l'immunité parlementaire est demeuré inchangé avec quelques nuances de rédaction sans incidence sur le fond. Le régime de l'immunité parlementaire, dans ces textes fondamentaux, est une spécificité algérienne. Elle a une portée absolue et protège pendant toute la mandature. Toutes les constitutions s'accordent pour octroyer une immunité totale pour le député dans le cadre de ses fonctions et en dehors de celles-ci. Elle couvre les agissements parlementaires et non parlementaires au parlement et à l'extérieur. Partout au dessus des lois sous toutes les latitudes. Elle ne peut pratiquement pas être levée et ce en raison de l'absence d'un texte qui régit la procédure applicable à cette fin. Autant dire qu'elle ne le sera jamais. Le texte, aujourd'hui abrogé qui prévoyait la procédure de levée plaçait la justice dans une situation de subordination au pouvoir législatif. Les députés sont des supers citoyens qui échappent aux lois qu'ils élaborent. Le régime algérien de l'immunité parlementaire applicable en 2013 ressemble comme un frère jumeau à celui de la Tunisie de Bourguiba et Ben Ali .La nouvelle constitution tunisienne semble introduire des nuances. La tendance universelle de l'immunité parlementaire pivote autour des axes suivants: -Une immunité parlementaire totale pour les faits accomplis dans le cadre du mandat. -Une immunité contre les mises en détention pour les délits et le crimes -et non contre les poursuites -Pendant les sessions parlementaires : -Un régime de droit commun comme le commun de citoyens en dehors des sessions parlementaires.

-La justice, engage les poursuites sans demander au préalable une quelconque autorisation. La possibilité est donnée au parlement de solliciter la justice pour la mise en jeu de l'immunité.

La commission de révision constitutionnelle est attendue pour élaborer un statut de député répondant aux normes universelles. Une précision doit être apportée. Elle doit prévoir tous les détails et éviter la maladresse de laisser aux lois ou au règlement intérieur, établis par les députés eux mêmes, le soin de régler la procédure de levée. Ils en feront un mécanisme de blocage qui videra la constitution de sa substance.

*Avocat