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DANS LA «TÊTE» D'UNE FEMME ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

LA RANCUNE. Roman de Nadjib Stambouli. Casbah Editions, Alger 2019, 222 pages, 700 dinars



Au départ, une très belle histoire d'amour entre deux jeunes gens ayant grandi ensemble et dont les familles sont proches. Proches géographiquement seulement. Car autant la famille de la belle est compréhensive, celle du jeune homme l'est, en face de la réalité, bien moins sous la coupe d'un père autoritaire, dictatorial et même violent.

Mariage, ok... mais la jeune fille, mariée au fils, doit obligatoirement «porter le voile» et se plier à la discipline religieuse... telle que comprise par le patriarche. C'est la rupture annoncée... le garçon étant (encore) terrorisé par l'idée de s'opposer au père et la fille ne voulant en aucun cas (et ce avec l'assentiment de ses parents) renoncer à sa liberté de pensée. Mais c'est aussi, pour la jeune fille, une immense déception, elle qui vouait à son amoureux de l'adoration et du respect. Commence alors une invraisemblable histoire de morceau de «rose des sables» découvert sous le bras du frère de la belle, récemment décédé.

Mais, commence aussi une descente aux enfers pour notre héros qui, après avoir perdu sa promise, va perdre «le pot et le lait»... son travail, sa famille, son meilleur ami... et sa raison.

Mais pourquoi donc... et qui donc ? Et, surtout, à qui la faute ?

L'Auteur : Economiste de formation, journaliste. Il a été directeur de rédaction dans de nombreux journaux (hebdos et quotidiens). Déjà auteur de plusieurs ouvrages dont «Ma piste aux étoiles» et «le fils à maman ou la voix du sang».

Extraits : «Un salaire rémunère une production, matérielle ou intellectuelle, mais aussi le loisir dont on se prive en se rendant à son travail» (p 118), «Contrairement aux couples classiques, les amants non accrédités par la société ne connaissent pas la routine et ils n'y intègrent pas la répétition des mêmes faits et gestes. Passée le tamis de la passion amoureuse, la routine entre amants et maîtresses se dilue pour se transformer en découverte permanente, autant dire en exact contraire de la routine. Les mêmes mots dits au même moment, ou au même endroit, s'habillent de nouveauté sans cesse renouvelée» (pp 132-133), «La magie noire et les histoires de vaudou, ça ne marche pas avec moi pour deux raisons, parce que je ne réponds pas à deux conditions: il faut d'abord y croire pour que ce soit efficace, et de plus, ne pas être buveur, parce que l'alcool dilue l'effet du sortilège» (dixit un personnage, p 199)

Avis : La vengeance est un plat qui se mange... tout chaud !... chez la jeune femme abandonnée. Lecture laborieuse au départ, mais haletante par la suite. Un suspense bien entretenu !

Citations : «La vie produit des évènements qui sont le fruit du hasard ou d'un plan, d'une projection. Entre les deux, aucun élément n'est en mesure de s'immiscer» (p 59), «Quand on a perdu l'habitude de se prélasser, rien n'est plus fatiguant que le repos» (p 120), «Une femme déçue se tait, elle encaisse mais ne pardonne pas» (p 157), «Tout peut changer dans la vie, sauf une tombe, immobile à travers les temps, comme la mort qu'elle enveloppe» (p 218)



UNE VALSE. Roman de Lynda Chouiten. Casbah Editions, Alger 2019, 222 pages, 700 dinars



C'est l'histoire d'une jeune femme, Chahira, encore jeune fille à quarante ans, encore jolie et bien faite... qui a de l'éducation (elle a fait le lycée jusqu'au jour où son père découvrant un extrait de poème glané lors des lectures a décidé de la «garder» à la maison... quelques mois à peine avant la fin du parcours secondaire, elle si brillante et assurée de décrocher son bac)... qui s'est mise à la (presque haute) couture... mais qui se retrouve totalement en déphasage avec sa famille et sa société. Psychotique ! Pourtant, elle adore son village avec son mélange de population et de langues, El Moudja, et ses gens... La quarantaine pour une jeune femme dans une famille et une société conservatrice (pour ne pas dire plus) et enfermée dans on ne sait quelles traditions... une société qui interdit le rêve, qui diabolise l'amour, qui considère la femme comme génitrice et «servante»... pas facile la vie ! Presque impossible pour une femme à l'esprit indépendant. Voilà donc une «héroïne» qui subit une double peine : celle infligée par son état civil de femme célibataire et celle de femme qui «n'en fait qu'à sa tête». De quoi rendre «fou»... et, en fait, elle est envahie, de jour comme de nuit, par les rêves les plus... fous. Des démons, des satyres, des créatures de rêve, des jeunes et des moins jeunes, des mâles et des femelles «aux rires stupides», un artiste, un intellectuel, tous deux ses favoris... des amours folâtres qui se transforment en orgies fracassantes.

Pour échapper à sa famille et à un environnement qui ne la «comprend» pas, elle part s'installer, seule, dans la grande ville voisine, Tizi N'Telli, «ville de fleurs et d'épines, comme l'ajonc qui la symbolisait», exerçant toujours son métier de couturière... se préparant à concourir, avec une de ses créations, à un défilé de mode... à Vienne. Quatrième..., elle, «l'obscure couturière d'El Moudja, un coin perdu du Tiers-Monde», face à des monstres de la mode. De quoi se réjouir et continuer sa «harga» légale ? Non, car ses démons ne la quittent toujours pas. Va-t-elle se suicider - le Danube est si tentant - pour mettre fin à sa «psychose» ? Va-t-elle repartir au pays retrouver ses racines... et être, enfin, débarrassée de ses démons ? A lire !

L'Auteure : Enseignante à l'Université de Boumerdès. Auteur de plusieurs articles et de deux livres à caractère académique : une étude de l'œuvre d'Isabelle Eberhardt et un ouvrage collectif sur l'autorité. Premier roman en 2017 («Le Romam des Pôv' Cheveux», ed. El Kalima), finaliste des prix littéraires Mohammed Dib et l'Escale d'Alger. «Une Valse» a obtenu le prix Assia Djebar 2019

Extraits : «Cela l'avait agacée, au départ, cette condition qui exigeait «que toutes les tenues en compétition s'inspiraient impérativement des traditions vestimentaires des pays respectifs des participants». Pff ! Phrase solennelle et grotesque, comme l'est le mot «Tradition» lui-même. Un mot que, dans son pays à elle, on servait à toutes les heures de la journée et qu'elle avait fini par haïr» (p 32), «C'est la nuit que les fantômes s'enhardissent, c'est bien connu. C'est la nuit qu'ils s'affranchissent du diktat de la conscience... Ils ouvrent sans façon les portes de l'Imagination, hèlent les souvenirs, les angoisses et les mauvais instincts et convient tout ce beau monde à leur fête» (p 48), «Elle pensait que c'était toujours vide, une salle d'attente de psychiatre ;mais les gens avaient visiblement peur pour leurs têtes où régnait le chaos, à l'image de tout le pays» (p 60), «Elle savait que ce qu'on nommait folie n'était que l'appel altier de la liberté célébrant le triomphe du Moi...» (p 79), «Non, les femmes ne portaient pas d' «auréoles» sur le front ; juste des rides précoces et des fronts burinés par des années de soumission souffrances tues» (p 141), «Chez elle, c'étaient toujours des haines et des rancunes à n'en plus finir. Et puis surtout, chez elle, au vingt et unième siècle, l'amitié entre les deux sexes restait encore une chose étrange et suspecte. Le seul endroit où des amitiés mixtes fleurissaient sans trop de peur et d'entraves était les réseaux sociaux. Des amitiés aussi superficielles que virtuelles...» (p 168).

Avis : Le drame de la femme bridée, brimée... à qui on interdit brutalement et sans explications le droit de «réussir» ou même de rêver. Elle n'a pas tort d'affirmer que son écriture est «surtout émotionnelle et plus énergique», bien plus que «cérébrale». «Je travaille par épiphanies, des sortes de révélations», confie-t-elle. Que Dieu la comble de révélations !

Citations : «Dans ce pays maudit, un homme délicat est forcément une tapette» (p 21), «Oui, des mots laids, des mots vulgaires, on en entendait partout. Ça, c'était permis. Mais la musique, que Dieu nous en préserve ! L'Appel à la prière n'était-il pas suffisant ?» (p 38), «Les jeunes filles de seize ans resteront, même dans les pires des prisons, des jeunes filles de seize ans» (p 45), «Dans ce pays -et peut-être ailleurs aussi - la vie d'une femme se limitait à trois choix possibles : être une catin, une esclave ou une nonne. A tort ou à raison, le dernier mot lui avait semblé être le moins insultant» (p 47)