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Qui veut être le prochain président de la République ?

par Cherif Ali*

A quelques encablures de l'élection présidentielle dont la date est plus que jamais maintenue par les décideurs, les dirigeants politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, prennent conscience de la fragilité de leur situation, entre un peuple mécontent et insatisfait, un Occident exportateur du «Printemps arabe» et une animosité affichée aux frontières par les pays dits «frères».

Le Porte-parole du Gouvernement invoquant la tenue des élections, s'est dit convaincu que «le peuple algérien soutient, dans sa majorité, l'organisation d'élections libres et transparentes qui permettent de choisir un président pour diriger les affaires du pays », ajoutant que « ceux qui s'opposent à ces élections font le choix d'une voie qui ne sert pas l'intérêt suprême du pays ni celui du peuple algérien ».

Or, à deux mois de l'échéance, une atmosphère lourde, marquée par des arrestations et des incarcérations compulsives, prend le pas sur quelque sensation de précampagne électorale, le faisait remarquer un chroniqueur.

Ainsi, poursuit-il, les aspirants candidats ne font rien pour contribuer à l'animation de l'avant-campagne, un peu comme s'ils ne voyaient pas leur intérêt à orienter l'attention des électeurs potentiels vers l'événement électoral virtuel et à susciter leur engouement pour cette perspective. La raison de cette retenue est, d'abord, dans le fait qu'ils attendent du pouvoir qu'il leur résolve, seul, le problème de l'opposition populaire au vote ; ils estiment peut-être que leur candidature est déjà une contribution au triomphe de l'option officielle. Ensuite, s'agissant de candidats pour la plupart issus du régime en place, ils savent qu'ils sont loin de constituer en eux-mêmes des arguments de validation du choix électoral.

Pour l'instant, ils sont donc 133 postulants dont 3 femmes à avoir fait acte de candidature

On a un peu l'illusion d'un trop-plein de candidatures. Mais encore une fois, c'est une chose d'annoncer être candidat, c'est totalement autre chose d'être candidat et de pouvoir, sans appareil politique, réunir par exemple les 50.000 parrainages d'électeurs requis.

Ce n'est pas impossible que les réseaux sociaux donnent l'illusion à quelqu'un qu'il est suivi parce qu'il commence à avoir des «followers» sur Facebook ou Instagram ; il peut avoir l'impression que le pays entier l'écoute, alors qu'au fond, il sait très bien qu'il ne s'adresse qu'à lui-même, même si certains l'encourage par leurs commentaires. Cette multitude de candidatures peut aussi donner l'illusion d' « une démocratisation », d'une ouverture ou d'une facilité de la candidature à l'élection présidentielle. On en vient même à parler «d'une réduction de la distance entre le président et le citoyen ».

Au grand dam de certains qui prétendent, au contraire, que c'est la fonction présidentielle qui est dévaluée avec cette pléthore de candidatures du « tout venant »!

C'est cette illusion qui a pu donner le sentiment à certains citoyens ou autres chefs de partis microscopiques de croire qu'eux aussi, ils peuvent, « légitimement », postuler à la magistrature suprême.

Et être élu au second tour, dés lors qu'il est admis maintenant que l'élection présidentielle à venir, ne peut, décemment, se gagner au premier tour, comme jadis !

Il y a, aussi, comme le rappelait opportunément quelqu'un, une génération qui n'a pas su partir à temps, qui a peur du néant et de la fin de l'histoire. Elle est accompagnée d'une classe de hauts fonctionnaires pour la plupart serviles, égoïstes, sans sens de l'État, mais souvent, régionalistes ou peureux et angoissés par la perspective de la disgrâce. Ils ont commencé à y goûter, pour un certain nombre, eux qui étaient, hier, puissants premiers ministres, membres imminents et autres oligarques impitoyables, faiseurs et défaiseurs de carrières : ils sont en prison pour des faits de corruption avérés !

Ceux qui sont encore en poste, doivent-ils abandonner l'attelage ?

Doivent-ils changer de braquet et aller voir, opportunistes qu'ils sont, du côté d'Abdelmadjid Tebboune, candidat à la candidature présidentielle, qui, semble-t-il, tiendrait la corde ? Ils pourront tout perdre à cause de leur manque de courage et de leur opportunisme. Et lui avec si d'aventure il venait à les accueillir dans son staff !

Doivent-ils rester, s'assumer et accepter la défaite, leur retrait du pouvoir et la fin de leurs privilèges dans le cas ou ce dernier bien inspiré, ne voudrait en aucun cas s'encombrer des résidus de l'ancien système honni ?

Que dire aussi de ces responsables du FLN, RND, TAJ et consorts orphelins de leur « lider maximo », tantôt redresseurs, tantôt légalistes, ennemis d'hier, amis d'aujourd'hui mais qui ne peuvent exister en dehors du pouvoir et du système qui les a enfantés. Ils sont pour le puissant du moment; pour cela ils marcheront, si leurs intérêts sont menacés, sur les corps de leurs frères d'hier pour survivre !

Restons dans l'ambiance de la présidentielle pour citer ceux qui pensent, dur comme fer, qu'Abdelmadjid Tebboune, serait « l'homme du consensus et de la continuité et qu'il a sa chance parce qu'il n'est l'ennemi de personne, pas même l'ennemi de lui-même» !

Ce dernier s'en défend, mais, semble-t-il, beaucoup commencent à parier sur lui. Il a eu, au moins, à clarifier sa position: «Il se présente en indépendant, devant le petit peuple et la classe moyenne qui sont ses cibles prioritaires ». Le candidat Tebboune assure qu' « il saura trouver l'argent pour redresser le pays sans recourir à la planche à billets » !

En définitive, les réseaux ne savent plus sur quel pied danser. À trop temporiser, à s'entêter à garder un pied dans chaque camp et la tête à l'étranger pour un certain nombre, ils risquent de tout perdre.

Tous ces opportunistes s'accrochent aux basques des «présidentiables» comme Ali Benflis ou le plus «banquable » d'entre eux, l'ex ministre de l'habitat.

Gageons que nos «Eric Besson» locaux attendront le dernier moment pour se positionner derrière l'un ou l'autre pour prendre le train en marche !

Rappelons pour ceux qui ne connaissent pas encore ce personnage politique français, qu'il est l'incarnation de «la traîtrise en politique» ; Il est passé, le temps d'une campagne électorale, entre les deux tours de la présidentielle française, de soutien de la candidate socialiste Ségolène Royal à soutien zélé de Nicolas Sarkozy candidat de la droite.

Une fois élu, ce dernier l'a nommé ministre, responsable du «pôle de gauche»! Qu'en déduire si ce n'est que notre monde politique, qui a perdu depuis longtemps crédibilité et confiance est bien confus et que la loyauté en politique, tout comme les programmes et les idées sont absents.

Revenons à ces politiciens prêts à se nourrir dans n'importe quelle auge, pourvu qu'ils aient le poste convoité avec émoluments et limousine avec gyrophare ! Dans une certaine mesure la vague qui va les transporter pourrait s'avérer fort utile même aux tenants du pouvoir, car elle fait du ou des partis les embrigadant, le plus grand ramassis d'opportunistes, permettant ainsi de mieux identifier ceux qui n'en ont que pour leurs intérêts personnels.

Il y a plus de chance de trouver des gens aux idéaux élevées dans les autres formations politiques auxquelles on donne peu de crédit de remporter le prochain scrutin. C'est peut-être de ce côté que les électeurs devraient, à l'avenir, tourner leur regard pour se débarrasser des profiteurs politiques.

On connait la réponse d'Edgar Faure, moult fois ministres sous la IVème République, amateur de bons mots, et raillé pour sa «souplesse » politique, à celui qui le taxait d'opportuniste politique, en utilisant le terme irrévérencieux de «girouette». Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent, lui a-t-il répondu. Que faut-il faire des opportunistes s'interrogeait un homme politique français? A part les brûler disait-il, je ne vois pas très bien ce que l'on pourrait en faire! Certes, ils ont perdu la considération des leurs et ont dû subir la tiédeur de leurs nouveaux amis (qui n'aiment pas non plus les opportunistes). Tout ce que l'on peut espérer pour eux, c'est qu'ils puissent se regarder dans la glace! En vérité, les uns et les autres sont, presque, les mêmes, tantôt au pouvoir et dans l'opposition en même temps !

Aux commandes du pays, l'ivresse du pouvoir les rend, en effet, sourds et aveugles. Dans l'opposition, ils sont animés des plus belles intentions du monde et apparaissent comme les plus grands humanistes de la planète. A chaque rendez-vous électoral, ils nous font prendre, à nouveau, conscience de la singularité de la vie politique de notre pays et du danger qui la guette, « printemps arabe», oblige. Pendant la campagne, chacun des candidats ira de sa stratégie, de ses propositions réalistes, superflues, utopiques. Bref ! C'est de bonne guerre, surtout que pour Georges Clémenceau : «on ne ment jamais autant avant les élections, pendant la guerre et après la chasse »!

Tous les moyens seront mis en œuvre par les candidats et leurs soutiens pour attirer les sympathisants ou les retourner, c'est selon. Et la presse et de manière générale les médias lourds ne seront pas en reste dans cette course, pour forger l'opinion et l'inciter, pour le moins, à aller voter le 12 décembre prochain, car il s'agit, ne l'oublions pas, d'un devoir civique et d'élections majeures.

Il s'agit, surtout, de choisir le président de la République.

Les élections n'en sont pas moins des processus compétitifs pouvant provoquer des conflits qui, s'ils ne sont pas gérés de manière constructive, peuvent, potentiellement, déstabiliser la société et l'Etat (qu'on se souvienne du malheureux jeu de mot utilisé par Abdelmalek Sellal en 2014 et qui a irrité toutes les régions des Aurès).

La violence politique et électoral survient aussi, dans une certaine mesure, à cause des réactions de groupes et / ou de candidats qui estiment qu'ils ont été désavantagés et tentent, par tous les moyens, de remettre en cause la légitimité des élections. Le compte à rebours a commencé, le 12 décembre approche à grands pas et le monde nous observe. Il est grand temps que les élites de ce pays arrêtent de pointer un doigt accusateur ; qu'ils arrêtent de manipuler et, à leur tour, se faire manipuler. L'intérêt du pays doit être hissé au-dessus des préoccupations partisanes d'individus, souvent en rupture de ban avec le vrai peuple pour qui, ils prétendent agir.

Pour changer les choses, il faut s'engager dans la présidentielle ; le refus des « majors » de l'opposition, si l'on exclut le RND, à ce rendez-vous électoral, procède d' « une fuite en avant » des principales formations politiques coincées entre le boycott et l'attentisme. Si le pouvoir a réussi à fédérer des partis autour de son candidat, rien n'interdit à ceux qui ne sont pas d'accord d'en faire autant !

Les urnes rendront leur verdict au soir du 2éme tour, dictant la voie légitime et souveraine du peuple algérien.

La tradition républicaine et le respect de la volonté du peuple commanderont de féliciter celui qui a su emporter sa décision et la rue devra être laissée à sa vocation originelle.

Est-il besoin de rappeler, enfin, qu'une élection politique est un pacte entre le corps électoral et le candidat qui, s'il est élu, deviendra son représentant; pacte, dit-on, originaire du latin «pactum » qui veut dire accord entre les partis, scellé dans des conditions de confiance et de respect ; à savoir, l'exact contraire d'un compromis immoral ou dangereux par lequel on cherche à parvenir à ses fins.

Et le président de la République qui sera élu devra remobiliser et le pays et les Algériens avec ! Il lui faudrait oser de vraies politiques sociales et industrielles. En un mot, replacer l'homme, la femme au cœur d'une économie qui favoriserait enfin l'intérêt général plus que la cupidité d'une caste étriquée.

Le programme de Tebboune-candidat repose sur « la transparence absolue dans toutes les décisions qu'il aurait à prendre une fois élu » et également « la liberté d'expression qui sous son règne serait sacralisée », a-t-il ajouté lors de l'entretien accordé à la chaine de télévision Echourouk News.

Il sera à coup sûr imité par ses concurrents qui vont même surenchérir en faisant de la thématique de la jeunesse « leur martingale » !

Pour l'heure, les tenants de la légalité constitutionnelle estiment que la tenue de l'élection présidentielle, le 12 décembre prochain, est possible et raisonnable après la mise sur pied d'une instance indépendante d'organisation des élections et la révision d'un certain nombre de textes juridiques en relation, comme le code électoral par exemple.

Faut-il pour autant boycotter comme le préconisent certains et s'abstenir de voter, cela ne fera que pérenniser le système et le pouvoir de fait ?

En Algérie, les gardiens d'une chose en deviennent propriétaires au bout d'un certain temps. Le bien-vacant est une vision du monde en Algérie et ce qui n'appartient à personne ou appartenait aux anciens maîtres, finit par appartenir à celui qui le garde.*

*Kamel Daoud «Louisa ou les escaliers qui montent en descendant», le Quotidien d'Oran