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La surenchère est contreproductive pour les élections

par Reghis Rabah*

Ces derniers temps, les discours du chef d'état-major de l'Armée nationale populaire ainsi que les deux derniers éditoriaux de sa revue El Djeich persistent dans la surenchère politique parfois même ils reviennent à la langue de bois qui se caractérise par une violence verbale envers " les partisans d'une transition ".

Combien même, l'Algérie de part sa position stratégique en Afrique soit visée par certains de ses partenaires étrangers lesquels partenaires pourraient appuyer leur influence sur des lobbys sur place, cela n'a n'a rien à voir avec l'option d'une constituante à travers une transition qui reste désormais une approche d'une frange de la société due à un déficit de confiance de prés de 57 ans de gestion par la fraude électorale et la corruption. L'armée nationale populaire a une part de responsabilité qu'il est inutile de détailler car connue de tous.

C'est une réalité qu'une escalade verbale quelle que soit sa forme novembriste, identitaire, religieuse parfois même idéologique éloigne de l'essentiel pour lequel le mouvement de dissidence populaire a été déclenché légitiment un 22 février 2019.

Le problème n'est pas dans l'élection d'un président même consensuel mais dans son offre de garanties pour entreprendre des réformes à même d'aboutir à un Etat de droit, républicain et citoyen à travers des mécanismes de l'équilibres du pouvoir et surtout le verrouillage de la constitution pour la protéger contre la violation au gré des circonstances et des hommes.

Les tenants de cette approche de " transition " veulent des garanties et une assurance que ce président ainsi élu, muni d'une constitution maintes fois triturée ne s'y accommoderait pour perpétuer le régime ? C'est à ce niveau et uniquement à ce niveau que l'armée garante constitutionnellement de la sauvegarde de l'unité de la nation devra offrir au lieu de perdre sa salive dans une phraséologie pour déclencher la symbolique des années 70 qui est devenue un registre qui ne sensibilise aucun citoyen après ce qu'il a subi toutes ces décennies.

1-les deux approches dans le fond ne sont pas si différentes

Le passage par une transition ou une élection libre et transparente vise le même objectif celui d'aboutir à une deuxième république loin des pratiques de gestions que les citoyens connaissent à ce jour. Seulement chacune de ces deux approches a ses avantages et ses inconvénients. On aurait pu les faire partager par un referendum mais dans la situation de crise actuelle, tout compromis politique dans ce sens créerait un vide constitutionnel menaçant pour la pérennité des institutions de l'Etat.

En même temps ces 24 partis et le nombre impressionnant de rencontres qu'a eu l'instance de dialogue et de médiation avec les personnalités de la société civile et des représentants régionaux du Hirak ne s'arrêtent pas dans ce qu'ils ont consigné dans un rapport de plus de 200 pages à la simple élection d'un président mais exigent des " engagements " des futurs candidats à la magistrature suprême de recourir à des reformes profondes de la société quitte à organiser à un referendum qu'un président élu dispose de toutes les prérogatives pour le faire. Pour les deux options, tout est question de confiance sur laquelle, l'armée devra s'y atteler pour les garantir.

C'est à partir de ces garanties que le rapprochement de ces deux approches serait possible car partir dans une élection sans un consensus des uns et des autres pourrait affecter sérieusement le taux de participation qui exclut une frange importante de la société.

2-l'armée ne veut pas dévier de la voie constitutionnelle

Avant même de lire le rapport de 200 pages, le chef de l'Etat a chargé le coordinateur du panel de mener à sa place les consultations pour former cette instance de préparation, du déroulement, de la surveillance ainsi que le contrôle des présidentielles. Pourtant le texte original, distribué aux partenaires mercredi d'avant, prévoyait tout un paragraphe sur les mesures transitoires qui attribuent au chef de l'Etat la désignation des membres de l'autorité indépendante dont le nombre passe de 20 à 50 " et une large consultation des acteurs politiques et représentants de la société civile". Ceci "pour permettre la tenue des élections présidentielles et une sortie de crise dans les meilleures conditions." Donc en une matinée soit le samedi d'avant, les changements ont été opérés probablement en concertation avec Abdelkader Bensalah qui a exigé qu'on lui réserve un rôle purement formel de signataire mais en aucun cas actif comme il l'a fait avec son ancien secrétaire général Habba El Okbi surnommé " la petite tête du système ". Ce sont donc les membres du panel qui se sont entendus de faire cette proposition, celle de charger leur coordinateur de mener les consultations pour former cette instance au chef de l'Etat qui l'a de suite reconverti en acte dans son communiqué de l'audience qu'il a accordé au 8 membres de l'instance du dialogue et de médiation (INDM). L'article 01 de ce texte a encore une fois fuité des partis au public, il a lui aussi subi un changement "pragmatique " qui porte bien l'empreinte de l'acte 29 du Hirak. En effet, l'autorité ne se conforme plus qu'à la constitution et à la loi", mais "à situation exceptionnelle, solution exceptionnelle " ou en période de crise, reconnaissent ses membres, " la légitimité prime sur la légalité" ce qu'ils appellent " le compromis politique".

Normalement, les embrassades qu'on a remarquées à l'issue de la remise de ce rapport au chef de l'Etat, marquaient la fin de leur mission sauf si certains de part leur expertise resteront comme conseillers au sein de l'autorité qui vient d' être formée après des consultations que menées par Karim Younes. Ce dernier est en effet entraîné pour la deuxième fois consécutive par ses collègues dans cette aventure dont il est difficile au stade actuel de prévoir son issue. Rappelons qu'après le " niet " d'Ahmed Gaïd Salah aux préalables de l'instance de dialogue, Karim Younes devait jeter l'éponge mais ses collègues l'ont convaincu d'y renoncer en "laissant l'ego de côté au nom du patriotisme". Depuis l'intéressé semble nerveux, visiblement fatigué et irrité par les attaques contre lui sur les réseaux sociaux qui sont allées jusqu'à le menacer de mort.

3-Ce qui a changé dans les deux textes

Le premier texte relatif à la création de l'autorité national indépendante des élections ne contient plus désormais que 53 articles dont leur insistance sur " son indépendance, sa permanence et surtout son impartialité " a condition bien entendu que les collectivités centrales et locales " lui fournissent toute information ou document ". Connaissant les rouages du système, il n'est pas dit qui ferait l'arbitrage en cas de défaillance rencontrées sur le terrain. L'objectif qu'on lui assigne n'a pas toujours selon l'APS changé. "Cette autorité veille à la concrétisation et à l'approfondissement de la démocratie constitutionnelle et à la promotion du régime électoral conduisant à l'alternance pacifique et démocratique au pouvoir ". Et surtout " elle recourt également au principe de la souveraineté populaire à travers des élections libres, transparentes, plurielles et régulières répondant à la véritable volonté populaire et à son libre choix", est-il précisé. Elle dispose en outre d'une force de loi pour faire appel à tout moment à la force publique pour faire accepter ces décisions surtout "lorsqu'il s'agit de questions rentrant dans le domaine de sa compétence". Elle est autonome financièrement et elle évalue elle même son budget et celui du scrutin qu'elle compte entreprendre.

Quant au deuxième texte qui est un avant-projet de loi organique portant régime électoral, il comporte 196 articles moins que celui actuel formé de 225 articles, il prévoit la création d'un fichier national du corps électoral sous les auspices de l'autorité nationale indépendante des élections "constituée de l'ensemble des listes électorales des communes et des centres diplomatiques et consulaires à l'étranger".

Elle veillera périodiquement à sa révision le long de son mandat qui dure six ans. Les membres du l'INDM après consultation avec leurs partenaires ont introduit de nouvelles disposition pour limiter les prérogatives du conseil constitutionnel à des recours seulement. En termes simple, le candidat à la présidentielle dépose son dossier auprès de cette instance qui lui délivre un accusé de réception et se prononce sur sa candidature dans les 10 jours qui suivent. Enfin, dans le cadre des conditions que devra remplir le candidat, d'abord qu'il soit diplômé universitaire et un peu allégé du nombre de signatures qu'il doit recueillir à travers les 25 wilayas du territoire national par rapport à la loi organique portant régime électoral 16-10 du 25 août 2016. En effet, pour l'individuel 50 000 signatures au lieu de 60 000 et le minimum par wilaya passe de 1500 à 1200 signatures.

4. La mission du panel de dialogue et de médiation est bien achevée

De nombreux membres du panel disent " ouf ! Le travail dans une telle ambiance est assurément difficile " et d'ajouter " tout le monde est à plaindre." Le général major a su sonner le glas pour précipiter les choses en annonçant même si formellement il l'a fait sous forme d'une proposition au chef de l'Etat pour convoquer le corps électoral pour le 15 septembre, tout le monde sait qu'il s'agit bien d'un " ordre à exécuter " pour que la date des présidentielles ne dépasse pas la fin de l'année en cours. Le coordinateur de l'instance du dialogue et de médiation Karim Younes a saisi cette occasion pour accélérer le travail des membres sous sa coordination à la vitesse exponentielle. Ainsi le lundi 2 septembre, il annonce les deux propositions, l'une concerne les amendements de la loi électorale et l'autre relatif à la création d'une autorité indépendante qui aura pour mission d'organiser les élections à travers toutes ses étapes. Deux jours après il distribue le rapport de synthèses de ses rencontres avec plus 23 partis politiques et 6075 personnalités et associations de la société civile. Le jeudi et vendredi, il reçoit les feedbacks que la commission technique a pu traiter samedi matin. Quelques heures après, le coordinateur lui-même de l'Instance nationale de dialogue et de médiation (INDM) annonce avoir finalisé son rapport de synthèse pour être transmis le dimanche suivant au chef de l'Etat pour éventuellement signer le décret de la convocation du corps électoral dans les délais.

Ceux qui ont assisté aux marches de protestations de vendredi passé et qui ont pris connaissance de la demande fortement populaire à travers plusieurs grandes villes du pays disent qu'il s'agit bien d'une manœuvre grossière qui se termine par un passage en force dont les conséquences ne seront pas sans dommage pour l'intérêt de la nation qui partira dans une élection sans " consensus ". Un membre de la commission juridique de l'INDM pris en aparté par la presse avait souligné que les " partenaires " avec lesquels le dialogue s'est déroulé sont très contents du rapport final et surtout les amendements proposés aux deux projets de lois organiques portant création et organisation de l'autorité nationale des élections et celui de la loi organique relative aux élections. Il minimise le rejet de ceux " qui rejettent les propositions de l'INDM pour l'organisation des élections présidentielles, ils étaient à l'origine opposés au processus de dialogue dans son ensemble et depuis le début. Il s'agit des partis qui réclament une période de transition et sur lesquels il ne faut pas trop s'appuyer car ils ne sont pas prêts à changer d'idée parce qu'ils y adhèrent. Ce qui nous intéresse, c'est le consensus que nous obtenons du reste de la sphère politique que nous avons rencontré.

5-Les détails des amendements commencent à apparaître

Ils ont été portés à l'opinion publique à l'issue de la rencontre du président du comité juridique du conseil consultatif de l'INDM, le professeur Lazhari Bouzid (le constitutionaliste qui a participé à l'élaboration de la constitution de 2016, proposée par l'équipe de Bouteflika) avec des experts et spécialistes du Droit comme Fatiha Benabou, Rachid Lourrari pour ne citer que ceux là.

Ce spécialiste qui a été à l'origine du texte distribué aux partis et aux personnalités qui ont pris part au dialogue, insiste d'abord sur l'autonomie administrative et financière de l'instance avec une exclusion (supposée formelle) de l'administration de son organisation, il cite en particulier les ministères de l'Intérieur, de la Justice et celui des Affaires étrangères. Il évoque les garde-fous contre la fraude par la composition même de cette autorité composé de magistrats, d'avocats et de représentants de la société civile. "Elle se charge dit-il des missions de préparation et de supervision de toutes les étapes des élections", très loin des institutions classiques au " regard de l'accointance et leur rôle dans la fraude ". Elle fixe son budget et celui du scrutin présidentiel en toute autonomie. Ce vieux constitutionnaliste qualifie de " révolutionnaire " les propositions relatives à l'amendement de la loi électorale qui limite le conseil constitutionnel à une simple voie de recours des candidats qui contestent les décisions de cette autorité. Il a en outre fait part que l'article 142 de la loi électorale devra subir un lifting pour alléger les candidats du nombre de signatures à recueillir et surtout, cette fois- ci, ce n'est pas n'importe qui, pourrait postuler à la cette candidature suprême. Elle sera désormais réservée aux diplômés universitaires âgés de 40 ans et plus.

*Consultant ,économiste pétrolier