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Palestine : l’économie avant la politique ?

par Akram Belkaïd, Paris

Acheter les Palestiniens en leur promettant la somme mirifique de 50 milliards de dollars en contrepartie de leur acceptation du « plan de paix » concocté par Jared Kushner, gendre et conseiller du président américain Donald Trump. C’est le but plus ou moins affiché de la conférence organisée depuis mardi 25 juin dans le royaume de Bahreïn. Intitulée « De la paix à la prospérité », cette rencontre constitue le volet économique d’un plan censé résoudre le conflit israélo-palestinien (rien que ça…). Les dirigeants palestiniens ont boycotté cette réunion et de nombreux pays arabes ne sont représentés que par leurs ministres de l’économie, signe que personne, y compris chez les domestiques habituels de Washington, ne croit vraiment à l’efficacité d’un tel rendez-vous.

L’économie comme solution

Comment, en effet, croire que la question palestinienne sera réglée sans que ne soit abordé le fond du problème, à savoir l’inexistence d’un État palestinien ? Cela sans oublier la question cruciale de la poursuite de la colonisation israélienne de la Cisjordanie et du maintien du blocus de Ghaza. L’approche américaine consiste à croire que l’économie règlera tout. Qu’il suffira d’offrir aux Palestiniens un « mieux-être » - dont on se demande comment il se réalisera quand on connaît la manière dont agit Israël à leur encontre - pour qu’ils acceptent ce que le gendre du président leur proposera.

Ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis et leur allié israélien mettent la charrue avant les bœufs en ce qui concerne la Palestine. Dans les années 1990, Shimon Peres, alors ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Yitzhak Rabin, avait défendu l’idée d’une économie primant sur les questions politiques. On connaît la suite. Les milliards de dollars annoncés lors des multiples conférences n’ont jamais été déboursés tandis que les grands travaux d’infrastructures qui devaient transformer le Proche-Orient en grande zone de prospérité partagée en sont restés à l’état de projets sur papier.

L’idée que l’économie est capable de régler les problèmes politiques ne concerne pas uniquement la Palestine. C’est le cas aussi de l’ensemble du pourtour sud et est de la Méditerranée. Pendant les années 2000, et alors que les régimes autoritaristes refusaient la moindre concession politique en faveur de la démocratie, de nombreuses capitales occidentales et institutions internationales faisaient le pari d’une amélioration de la situation grâce à la prospérité économique. Il est vrai, du moins en théorie, que plus d’emplois et de prospérité pourraient amener une société à accepter des concessions, voire à se faire moins exigeante dans ses revendications en matière de libertés et de droits politiques. L’exemple de la Chine et d’autres régimes forts asiatiques (Singapour, Malaisie) est souvent brandi pour expliquer qu’il suffit d’une bonne croissance pour créer un compromis entre les autocrates et leurs peuples. Or, le « modèle » chinois ou encore le « consensus de Pékin » ne sont pas toujours exportables surtout dans des situations où il n’existe même pas un minimum de droits (ou de dignité).

Dirigeants corrompus

Mais il y a autre chose. Dans le cas palestinien, les Américains et les Israéliens sont persuadés que le peuple est à l’image de ses dirigeants. Ce n’est un secret pour personne que de dire que nombre de membres de l’Autorité palestinienne sont corrompus. Certains, ou du moins leur entourage familial, font même des affaires avec des colons et échappent aux contraintes imposées au reste de la population, notamment en termes de déplacement. Alors qu’une bonne partie des Palestiniens vit en dessous du seuil de pauvreté, ces privilégiés ne craignent pas d’afficher leurs richesses de manière ostentatoire. En clair, ils s’accommodent très bien de l’occupation et de la colonisation. Mais l’attitude de quelques privilégiés ne saurait constituer une règle générale. Et le slogan qui circule actuellement sur les réseaux sociaux palestiniens le dit bien puisqu’il affirme que « les Palestiniens ne sont pas à vendre ».