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Du système politique algérien, basta ! Mille fois basta !

par Kamel Khélifa*

La génération actuelle paraît déterminée à changer le cours du destin de notre pays, en écrivant en ce moment-même une nouvelle page, ayant pour titre «Naissance de la Deuxième République», avec un changement de paradigme fondé sur le nécessaire consensus, concept absent dans la vision politique du système algérien; à mon humble avis il semble se profiler la distribution de nouveaux rôles, attribués à des personnages différents, parfaitement imprégnés de la marche du siècle où nous sommes...

Cependant, il est nécessaire que le scénario soit inspiré du vécu présent et passé de notre nation, en ayant à l'esprit l'indispensable publication d'un livre blanc se rapportant à la gestion du pays post-indépendance, afin de ne pas livrer le pays à l'inconnu une autre fois...

Genèse du mal politique algérien

Dans les pays démocratiques le monarque peut certes régner à vie, mais le personnel politique change, en sollicitant périodiquement le suffrage du souverain éternel: le peuple. Ce principe intangible dans les pays qui se respectent est hélas une simple mise en scène en Algérie, depuis qu'un clan enferma, à l'orée de l'indépendance, l'Algérie dans un système de type totalitaire. Ces assoiffés de pouvoir se servirent du FLN historique, devenu un parti-fonds de commerce, pour en faire un instrument de conquête et de préservation du pouvoir. Notons qu'à force de jouer de mauvais rôles, le FLN a gâté jusqu'au pourrissement l'histoire de Novembre 54...

Toutes les expériences tentées en son nom se sont traduites par des fiascos, à l'exemple de l'option «socialiste spécifique», «révolution agraire», «industrie industrialisante», etc. Autant d'échecs cuisants, parce que ces choix furent imposés aux «masses», notamment lors de l'élaboration de la charte d'Alger de 1964, avec le dessein d'écarter le peuple de la politique, le priver de toute possibilité d'enrichissement honnête, le stériliser culturellement, etc. Depuis, les Algériens sont devenus tributaires de l'Etat-FLN, de l'Etat-patron, de l'Etat-épicier, de l'Etat-policier, etc., en termes d'emploi, de logement, d'initiative, etc.; il ne manquait que le contrôle de l'oxygène... Dans sa ?'mansuétude infinie ?? le gouvernement fera des gestes, le plus souvent vide de sens, comme celui d'offrir un «panier du ramadhan » (soupe populaire) au ?'peuple héros'' (slogan de 1962), devenu finalement mendiant dans un pays riche et aux ressources incomparables que nous envient de nombreux peuples...

Les Algériens attendaient de leur nouvel Etat, libre et indépendant en 1962, de leur créer les conditions propres à gagner leur vie dignement, à la sueur de leur front. Telle n'était pas la volonté politique des régents illégitimes de l'Algérie indépendante qui voulaient empêcher les Algériens de s'émanciper de la tutelle de l'Etat... Nombreux sont les signes de conditionnement ayant conduit des usurpateurs de la souveraineté du peuple à obtenir par toute sorte de sujétion, la reddition quasi-totale des Algériens, pendant 57 ans d'aliénation d'esprit. L'indépendance du pays semble avoir tétanisé notre peuple, jusqu'à lui faire ignorer sa vocation constitutionnelle de souverain et le rendre inconscient de sa responsabilité historique...

L'Algérie est aujourd'hui plombée par un personnel politique immuable, coopté généralement par un système politique clanique, suivant des critères fondés sur: le clientélisme; le népotisme; le régionalisme, etc., en vue du partage de la rente... Beaucoup manquent singulièrement d'étoffe politique, dès lors que le moule professionnel ou bureaucratique d'où ils sortent les ?'dresse'', avec l'idée d'être seulement loyal envers le Prince: la fameuse ?'obligation de réserve'' (motus et bouche cousue) en est l'atavofigure. Certains sont carrément frappés par le principe de Dilbert (célèbre bande dessinée satirique de l'Américain Scott Adams) où l'auteur se joue de gens, aux capacités déjà faibles au départ dans des postes subalternes, en les propulsant à des postes supérieurs; le principe de Peter est évoqué lorsque le sujet, ayant atteint son niveau d'incompétence, n'apporte plus rien...

Le FLN et le sursaut du 5 Octobre 1988

Il y eut certes un bref intermède de trois ans (89-92), suite aux révoltes d'octobre 88, laps de temps pendant lequel l'Algérie crut changer le cours de son histoire en négociant intelligemment le virage du renouveau politique. Rappelons que ces évènements furent encouragés par un discours de rupture prononcé le 20 /09/88 par Chadli Bendjedid, et le ras-le-bol de la rue fit le reste. Bendjedid tenta de faire œuvre utile en débarrassant le pays du carcan du FLN, dès lors que celui-ci s'opposait aux réformes proposées. Mais beaucoup d'Algériens savent que la fonction première de ce parti n'était plus la défense du peuple mais son allégeance et sa soumission inconditionnelles au prince le plus ?'fort'' du moment... Le FLN historique, le FLN de novembre, n'a rien de commun avec son substitut dirigé par les Belkhadem, Saidani, Ould Abbes et consort, ni avec ses rejetons de l'alliance présidentielle (RND, MSP) et les nabots de cours du genre TAJ d'Amar Ghoul, MPA de Benyounes...

Récupéré dès l'été 62 par le duo Benbella-Boumediene, le FLN fut remodelé par la police politique pour servir de faire valoir au système et les différents régimes enfantés en son nom... A partir de cette période le FLN perdit toute raison démocratique de représenter le peuple et sa légitimité révolutionnaire ne l'autorisait qu'à occuper le musée de l'histoire.

Ainsi, le deuxième mandat de Bendjedid se caractérisa par un vaste programme de réforme politique et socio-économique, élaboré en 1986, par une commission d'experts, sous la houlette de Mouloud Hamrouche, alors S.G de la présidence qui deviendra Chef du gouvernement (89-91). Mais ce programme se heurta à l'opposition farouche des caciques du Parti (alors) Unique qui défendaient bec et ongles les «acquis révolutionnaires»...

Durant ce laps de temps, la société algérienne faisait véritablement sa mue, en apprenant l'usage de mots nouveaux: «citoyen», au lieu de «militant», les «masses populaires» devenaient le Peuple. Il a fallu seulement un an au gouvernement réformateur de Hamrouche pour promulguer un train de mesures en 1989 (encore valides aujourd'hui !!!) consacrant le principe d'ouverture et de mise en œuvre du jeu démocratique; les premières élections libres eurent lieu en 1991 (municipales) et en 1992 (législatives) et la pluralité se manifestait dans la mise en œuvre d'associations partisanes, professionnelles, culturelles, sans oublier un acquis de taille: une presse écrite libre.

Et le rêve de liberté démocratique fut brisé de nouveau

Mais c'était compter sans les ressorts insoupçonnés d'un système constitué de tous les milieux émargeant à la rente qui tuèrent dans l'œuf le processus de mise en œuvre de l'Etat de droit... Finalement, cette engeance reprendra le dessus, en renouant avec les manipulations coutumières des Algériens, comme dans un théâtre de marionnettes. La pièce de théâtre, comique à l'origine avec de simples peurs de l'«hydre islamiste», menaçant de ravir le pouvoir à l'Etat-FLN, tournera à la tragédie. Le bilan varie, selon les estimations, entre 200 à 300 000 morts et disparus, durant la décennie «rouge» (couleur sang) qui deviendra «noire» par un glissement sémantique politico-médiatique voulu, à la faveur de la politique de ?' Concorde civile'' et ?'Réconciliation nationale''... Notre pays perdra l'espoir et les acquis démocratiques d'octobre 88, obtenus au prix de 500 morts, des milliers de blessés et des dégâts matériels se comptant en milliards...

Le système politique, conçu au lendemain de l'indépendance en 1962, réussit toujours à se sortir de situations les plus périlleuses, selon un scenario classique, conforme aux lois du genre: dresser les Algériens les uns contre les autres avec un art consommé. Les braises de la guerre inqualifiable, déclenchée depuis 92, étaient encore fumantes entre 97 et 98, mais le système encore aux abois jouera à fond le prétexte sécuritaire contre le terrorisme dit «résiduel»...

Quatre années plus tard, tout en concoctant une politique évanescente, dite de concorde et de réconciliation, le gouvernement, piloté à cinq reprises par l'inénarrable Ouyahia, mobilise les meutes bureaucratiques, comme dans une chasse à courre, contre les administrés, les contribuables, les justiciables... Ne parlons pas des cadres du pays, ils en paieront le prix fort... Il faut dire que la tâche du système fut grandement facilitée avec la suppression en 1999 des postes de médiateurs de la république, seule institution à avoir un sens dans un pays où les passe-droits sont érigés en mode de gouvernance.

L'emploi de la force comme arme de dissuasion

Un terrorisme chasse l'autre, pourvu que les populations n'aient pas de liberté, comme elles n'en ont jamais eu au temps du duo Benbella-Boumediene en 1962, ni en 1830 avec la colonisation française, ni lors de l'instauration de la Régence d'Alger en 1515, par les frères Aroudj... Apparemment, c'est le legs reçu par le système politique régissant aujourd'hui le pays, de la part de ses devanciers ottomans et français, symbolisé par un principe simple appliqué par les régents des deux anciens empires: «indifférents au sort des populations, pourvu qu'elles paient l'impôt (...) et ne se mêlent surtout pas des affaires de l'État...» Cf. Venture Paradis ?'Alger au XVIIème S''.

Si dans la forme les méthodes diffèrent quelque peu, dans le fond, c.-à-d., sur la manière de tenir en laisse les Algériens, le mode opératoire est le même: l'omniprésence pesante de l'appareil bureaucratique avec des tracasseries interminables, outre l'Etat de siège avec des barrages partout, etc.; phénoménologie ayant existé sous l'occupation ottomane et française. L'encerclement du pays entier constitue davantage des démonstrations de force indiquant au peuple que le pouvoir est là (partout) et gare à celui qui bouge...

La bureaucratie comme moyen d'aliénation mentale des Algériens

Les Algériens sont affolés par la redondance des papiers à fournir pour justifier: origines, filiation, nationalité, identité, résidence, lieu de naissance, statut familial; il ne manque plus que les certificats d'innocence et de virginité... Pourtant il existe des textes de simplification des procédures et du nombre de pièces à fournir, à travers l'identifiant national unique, instauré vers le tard en 2009, par rapport à nos voisins maghrébins qui l'avaient institué et appliqué dans les années 90... Ces textes constitueront des lettres mortes couchées dans des recueils officiels, tant que persistera l'impunité et l'opacité totales, en l'absence de contrepouvoirs forts, susceptible de contrôler la bureaucratie; un pouvoir des plus néfastes! A l'ère d'Internet et de l'option ?'zéro papier'', les Algériens courent dans tous les sens pour la satisfaction de besoins récursifs des bureaux qui excellent dans les blocages, avec des dossiers mis sous le coude, des procédures tatillonnes, sans recours aucun, à moins de recourir à la formule des 3 P (Piston, Pognon, Potes).

Ces tracasseries paperassières s'apparentent à une torture sadique, exercée sur les citoyens, au lieu de laisser: les porteurs de projets investir sans contrainte; les commerçants travailler honnêtement; les ouvriers suer toute l'eau de leur corps; les universitaires et chercheurs donner libre cours à leur savoir et génie, comme ils savent si bien le faire sous d'autres cieux... A en croire la presse, ils seraient 500 000 ?'cerveaux'' algériens à avoir fui l'Algérie, dont la moitié a obtenu la nationalité des pays d'accueil, sans indigner nos tuteurs désinvoltes; signe que notre pays va mal, totalement incapable de régler de menus problèmes d'eau, d'électricité, de gaz, Internet, approvisionnement en médicaments, etc.... Ignorants les contraintes des citoyens, des dirigeants narcissiques considèrent leur gouvernance sans reproche. Toute honte bue ils nous vantent leurs réussites holographiques, leurs réalisations à la Potemkine, avec des discours euphorisants et des chiffres souvent mensongers...

Résurgence de Memlakat Dzair du néant de l'histoire

Celui qui ne vit pas en Algérie la condition d'Algérien ordinaire ne pourra jamais mesurer l'étendue du désastre de ce pays. Le rêve d'un «ailleurs» où vivre est devenu un abcès de fixation commun à toutes les catégories sociales algériennes. Cela explique cette envie de fuite éperdue à l'étranger, partagée par la multitude. Dans ce contexte, les cris de: «visa, visa, visa», lancés, par une foule hystérique à Bab El Oued, à l'adresse du Président français Jacques Chirac, en visite officielle en 2003 à Alger, en disent long sur les seules aspirations qui restent aux Algériens... Ce jour-là le peuple de Bab El Oued a donné symboliquement une gifle à celui qui préside aux destinées vagues et incertaines de ce pays. Le message politique délivré par la jeunesse algérienne semblait on ne peut plus clair: outre de crier à la face du monde le désarroi et la colère des Algériens, il signifiait déjà à cette époque l'incapacité rédhibitoire de Bouteflika à diriger ce pays... Rien qu'à penser que cette clique a fait perdre 14 précieuses années à l'Algérie et ôter aux Algériens le goût de: vivre; rêver; entreprendre; etc.

Conclusion

Dans les pays où existent consensus et transparence, où les textes sont écrits pour protéger le citoyen contre le pouvoir (et non l'inverse, comme c'est le cas en Algérie où immunité des gouvernants se confond avec leur impunité), l'homme d'Etat véritable aurait tiré les conclusions qui s'imposent en la circonstance: soit se démettre; soit faire appel à l'art du possible qu'offre la politique, en l'espèce trouver les remèdes nécessaires au malaise profond connu par le pays... Au lieu de répondre positivement au désir légitime de changement revendiqué par les manifestants de Bab El Oued (il y a déjà 14 ans!) le système Etat-FLN et ses rejetons, conscient de leur force orwellienne et de l'apparente soumission du peuple, n'hésita pas à faire une entorse grave à la Constitution. Il changea les dispositions énoncées dans l'Art 74, relatives à la limitation du mandat présidentiel à deux successivement... Ainsi, permit-il au prince du moment, Abdelaziz Bouteflika, de briguer un troisième mandat, puis un 4eme mandat en 2014, comme il s'est employé à en briguer un 5ème, empêché par la rue...

Enfin ! Cet écrit est adressé aux usurpateurs de Memlaket Dzair (Royaume d'Alger) leur rappelant que le peuple a dit: BASTA!

*Auteur-essayiste, expert et Consultant en relations internationales