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Election présidentielle 2019 : les «herméneutiques majeures» dans l'histoire de l'Algérie

par Medjdoub Hamed*

Dans un éditorial du journal Le Quotidien d'Oran, du 1er avril 2018, intitulé « Sinistrose », on y lit : « A un an ou presque, de la prochaine présidentielle, rien ne transparaît des intentions des partis politiques quant à leur préparation pour cette échéance que d'aucuns présentent déjà comme une simple formalité si le président Bouteflika se porte candidat. Même si les partis d'opposition tardent en fait à s'exprimer sur cette échéance, hormis le PT qui, lui, veut mettre en place une assemblée constituante avant avril 2019, des échos parviennent de certains états-majors selon lesquels il n'y a aucun consensus pour le moment pour que des candidats émergent. Une candidature commune représentant les principales tendances de l'opposition ne serait pas possible pour affronter le candidat du pouvoir, si tant est que le président Bouteflika est partant pour cette présidentielle, car aucun rapprochement extraordinaire n'est visible ou possible, ni maintenant ni à l'horizon.» (1)

L'Editorial du journal ne peut être plus clair, avait-on dit à l'époque, quant à la situation de passivité qui prévaut sur le plan des préparatifs de la présidentielle à venir. Tout le monde s'interrogeait sur ce paradoxe qui au lieu de susciter une dynamique, un engouement sur les défis et enjeux qui attendent l'Algérie, en 2019, c'est plutôt une pause politique, une attente de quelque événement qui laisserait entrevoir les cartes susceptibles d'être jouables pour ceux qui aspirent à présider un jour l'Algérie.

Eh bien, il faut le dire, « l'attente est terminée, le suspense est levé. » Dimanche 10 février, juste après le show du FLN le vendredi, l'APS annonce : « M.Bouteflika prévoit dans son message d'initier « dès cette année », s'il est élu, une conférence nationale inclusive qui aurait pour objectif l'élaboration d'une « plateforme politique, économique et sociale », voire « proposer un enrichissement de la Constitution ». (2)

Que peut-on dire de cette annonce du président sortant ? Et pourquoi le suspense qui a beaucoup duré. Il est évident que toutes les situations possibles ont été analysées pour trouver une solution qui ferait consensus. Et pour cause, le président Abdelaziz Bouteflika est gravement malade. Il est âgé de plus de 80 ans, ne pouvant ni parler, ni marcher, et très affaibli par la maladie, paraissant très peu sur la scène publique, recevant rarement des personnalités étrangères. Par conséquent, il allait de soi qu'il fallait le remplacer. Et, l'idée était certainement partagée par tous les décideurs algériens. Ce n'était ni un secret ni une volonté de le remplacer, mais plutôt une nécessité parce que la maladie invalidante du président affectait sérieusement ses capacités d'exercer ses fonctions. De plus il y a la crédibilité du pouvoir, d'abord vis-à-vis du peuple algérien qui regarde ses dirigeants et qu'on ne peut abuser car chaque algérien a un jugement sur ce que font ses dirigeants. D'autre part, des chancelleries étrangères et dirigeants et peuples des autres nations qui nous regardent, et dont beaucoup s'intéressent au sort de l'Algérie.

Donc l'annonce du président algérien de briguer un autre mandat fait ressortir simplement l'absence de consensus entre les tenants du pouvoir, chaque partie ne veut pas perdre ses prérogatives et privilèges que permet leur position au sein de la machine politique et sociale de l'État. Sur le plan de la logique historique, est-ce que cette annonce du président sortant de briguer un cinquième mandat doit nous étonner ? Cela va de soi vu la maladie avancée du président. Mais le pouvoir étant ce qu'il est, et surtout c'est lui qui détient le pouvoir et qu'il n'y a pas de contre-pouvoir, donc il est ce qu'il est, ceci dit historiquement. Est-ce que c'est négatif ? C'est négatif par rapport à ce qui se fait dans les nations plus évoluées, plus démocratiques. Et, évidemment sur d'autres plans, comme l'économique, le technologique, l'institutionnel, enfin tout ce qui a rapport à leur puissance industrielle, manufacturière, militaire, etc. Par conséquent, les pays qui sont démocratiques ne sont pas seulement démocratiques, ils sont un tout dans tout ce qui les détermine en tant que démocraties modernes.

L'Algérie doit passer obligatoirement par des stades historiques, et c'est ce qui fait son retard et explique aujourd'hui l'absence de consensus politique puisque tous les pôles de décision ne sont pas régis d'un système politique constitutionnel et institutionnel rigide dans l'application des droits de tout un chacun et qu'y sont tous astreints à se soumettre. En clair, ce n'est pas l'homme qui décide mais la loi qui décide. Par exemple, dire « appliquer la constitution » et maintenir une situation d'attente où tous les partis politiques attendent un signal du pouvoir « qui est le fait du prince », ne peut en aucun cas affirmer que le système politique algérien est démocratique. Et l'Algérie n'est pas la seule dans cette situation. D'autres pays, pratiquement tous les pays arabes et d'Afrique, et même dans de grands pays, des grandes puissances particulièrement en Asie sont dans cette situation. Mais que faire ? Le monde, l'humanité est ainsi conçue, mais cette situation n'est pas rigide, le progrès existe, mais il s'opère lentement au gré de l'histoire, au gré des avancées de l'humanité.

1. Algérie 1962-1979. L'édification de la nation sous Boumediène

Rappelons comment l'Algérie s'est édifié en nation. Après une guerre de haute lutte contre l'occupant qui a duré sept ans et demie, l'Algérie obtint enfin son indépendance. En accédant à l'indépendance, l'Algérie est sortie de la nuit coloniale qui a duré 132 ans. Une nuit coloniale faite de brimades, de travaux forcés, d'un statut d'indigènes sans droits où un peuple tout entier était soumis et corvéable à merci par la toute puissance coloniale. Sur le plan démographique, sa population était estimée à 11,21 millions d'Algériens. Comparé à celle de 2017, elle compte 41,32 millions soit près de quatre fois le nombre qu'elle comptait lorsque vint son indépendance. (3) Ce qui est considérable au regard de ses ressources qui sont essentiellement les hydrocarbures et l'agriculture. Par contre l'Algérie possède un grand territoire, environ 2,38 millions de km2. La part importante de la jeunesse sur le plan démographique, malgré le problème du déficit de l'emploi, apparaît un « atout stratégique » au regard des pays vieillissants, frappés par la dénatalité.

Après l'indépendance, et le coup d'Etat opéré par Boumediène qui a déposé le président Ben Bella, l'histoire de l'Algérie va globalement se stabiliser et le pouvoir œuvrer pour la construction de l'Etat national. Le régime politique basé sur le «socialisme» et dicté par la Guerre froide va renforcer tous les secteurs politiques et économiques de la nation. Pays socialiste, l'Algérie procéda à des réalisations considérables dans les domaines de l'éducation, de la formation, de l'industrialisation, des finances, de l'agriculture. Le 24 février 1971, l'Algérie nationalise les hydrocarbures. Cette nationalisation eut des répercussions internationales. Il faut rappeler qu'à cette époque la compagnie française Total détenait 90% des ressources pétrolières (accords algéro-français).

Si la Libye et l'Irak ont emboîté le pas à l'Algérie et nationalisé à leur tour les hydrocarbures, il faut souligner qu'en réalité, « l'impulsion des nationalisations des hydrocarbures venait des États-Unis. » En effet, en pleine crise monétaire avec l'Europe sur le dollar, les États-Unis avaient en sous-main encouragé les pays arabes à nationaliser leur pétrole. Il était vital pour la puissance américaine que le pétrole arabe géré par les compagnies pétrolières européennes revienne aux pays arabes. La puissance du dollar était en jeu, en 1971. Les Européens «refusaient d'absorber les dollars américains qui, de plus en plus, n'étaient pas remboursables en or» par le système bancaire américain aux banques européennes. Les Américains, en pleine guerre avec le Vietnam, émettaient plus de dollars qu'ils n'avaient d'or. D'autre part, ils ne voulaient pas dévaluer le dollar suite à la surémission monétaire. Par conséquent, défaire les compagnies pétrolières européennes du pétrole arabe était une nécessité absolue pour assurer le leadership mondial au dollar américain. Ce qui permettait plus tard aux Américains d'influer sur le cours du pétrole, qui libellés en dollars, obligeait les pays européens d'acheter les dollars qu'ils refusaient pour importer le pétrole des pays arabes.

En août 1971, le président Nixon mit fin à la convertibilité-or du dollar américain. Les États-Unis n'avaient plus assez d'or pour procéder à la convertibilité des dollars dans le monde.

Deux ans après, la guerre israélo-arabe en octobre 1973 fut propice pour faire monter le pétrole d'environ 3 dollars à 12 dollars. Le quadruplement du cours du pétrole par les pays arabes, en réalité, faisait partie de la stratégie des États-Unis, pour les raisons énoncées supra.

Lorsque, en 1974, le président Boumediène, du haut de la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, parla du Nouvel Ordre Economique International (NOEI), il ne sut pas que le NOEI n'était qu'une illusion, les pays arabes ne comprenaient pas le sens de la hausse des prix du pétrole. Le seul ordre en question qui régnait sur le monde était l' « ordre israélo-américain », qui, paradoxalement, dans un sens éminemment économique, eut un impact très positif pour l'économie mondiale. Ce qui, au demeurant, en permettant aux économies arabes de croître, d'éviter aussi au monde, à l'ensemble des nations, grâce à l'augmentation du prix du pétrole, une dépression après les Trente Glorieuses. En effet, si les prix du pétrole n'avaient pas augmenté et tiré le dollar des crises monétaires, le blocage monétaire intra-occidental aurait mené inévitablement à une crise économique mondiale, avec au final une dépression économique du type des années 1930, et l'instauration des zones monétaires en dollar, livre sterling, franc, etc.

Les problèmes dans les relations entre nations n'étaient pas seulement économiques, mais aussi stratégiques. A cette époque, la Guerre froide divisait le monde en deux blocs, américain et soviétique. Les pays arabes progressistes comme l'Algérie, l'Irak, la Syrie... faisaient face à l'impérialisme américain et au sionisme israélien. Depuis la création de l'État d'Israël en 1948 en Palestine, celui-ci, soutenu par les États-Unis, menait une guerre sans merci contre le monde arabe. L'Algérie sous Boumediene, luttant sans relâche, contre l'impérialisme occidental, durant la décennie 1970, est devenue un «phare pour les peuples opprimés». Tous les mouvements de libération d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine trouvaient un soutien en Algérie. Pour cause, le 5 septembre 1973, elle organisait le sommet des non-alignés.Mecque des révolutionnaires du monde, Alger va chercher à concrétiser tous les espoirs des peuples de se libérer de la domination.

Et c'est dans ce contexte de Guerre froide que le président Houari Boumediene décéda suite à une «mystérieuse maladie», le 27 décembre 1978. A-t-il été assassiné ? Cela ne doit pas étonner. Il demeure cependant que, par sa mort, l'Algérie et le tiers monde ont perdu un grand président pour la cause des peuples dans leur lutte contre l'oppression. Que peut-on objecter à cette période cruciale qui a permis d'édifier l'État algérien ? Que l'action du président Boumediène a été déterminante. Elle a permis la stabilité et surtout a posé les bases d'une jeune république qui n'était pas du tout dans les faveurs de l'Occident puisqu'elle faisait partie du bloc de l'Est. Elle était, par son soutien aux peuples en lutte pour leur indépendance, un obstacle à l'Occident qui cherchait à dominer le monde. En 1979, l'Algérie, déjà une grande nation du tiers monde, comptait dans les affaires du monde.

2. Le grand tournant. L'ouverture économique et l'avènement du multipartisme sous Chadli

La disparition du président Boumediène laissa un grand vide. Mais le système institutionnel algérien qui reposait sur le principe du parti unique, hérité de la guerre de libération, le Front de libération nationale (FLN), a vite fait de désigner un successeur, qui devait faire consensus au sommet. C'est Chadli Bendjedid, un militaire de carrière, et le plus ancien dans l'armée, qui accède à la magistrature suprême, le 9 février 1979. L'Algérie, avec la forte hausse du pétrole suite au deuxième choc pétrolier, le prix du pétrole a triplé passant de 12 dollars à 36 dollars, opère un changement de politique. Au nom de la realpolitik, elle procède à une ouverture politique en direction des pays occidentaux, et recherche une diversification dans les échanges. Il est évident que la situation économique a changé, les pétrodollars aidants, sur le plan intérieur, le pouvoir algérien met en place un «programme anti-pénurie» (PAP), pour répondre aux besoins de la population.

Si la politique économique populiste (achats d'usines clefs en mains ou produits en main) sous Boumediene dans le cadre de la stratégie des «industries industrialisantes » a permis de créer une industrie nationale, et a cherché à opérer un «transfert de technologie», ce qui était en soi une bonne chose pour une jeune république d'autant plus que la démographie était en croissance, et cette stratégie permettait la création d'emplois, le problème qui s'est posé est que la compétitivité était quasi nulle, donc très peu de gain, et surtout ces entreprises publiques qui sont la propriété de l'Etat devaient être en permanence maintenues sous « sérum monétaire », constituant donc un gouffre financier pour le budget de l'État.

Il était évident que cela ne pouvait continuer. Il y avait une nécessité absolue de mettre un frein à cette politique d'industries industrialisantes. Constituant une hémorragie pour les réserves de change, sans grande valeur ajoutée, certes si cette politique a été définitivement arrêtée, il demeurait cependant que l'État devait trier les entreprises publiques viables des entreprises non viables et d'en diminuer celles qui ne sont pasrentables. Mais le problème est très complexe. Combien même les entreprises publiques accumulaient déficits sur déficits, donc ne survivaient qu'aux aides financières de l'Etat, « toucher à ces entreprises revenaient à mettre au chômage des milliers d'Algériens, et donc la subsistance des familles mise en danger. » D'autant plus que sur le plan démographique, la population augmentait. Au début des années 1980, la population a pratiquement « doublé » par rapport à l'année d'indépendance en 1962. Et l'Algérie doit créer toujours de l'emploi. Par conséquent, sur cette donne économique, il y a péril sur le plan politique et social.

Sur le plan extérieur, la situation géostratégique dans le monde arabe a beaucoup changé depuis la défection de l'Egypte du front arabe suite aux « accords de Camp David avec Israël, en septembre 1978 », et le traité de paix entre Israël et l'Egypte, le 26 mars 1979, prévoyant la restitution du Sinaï et la normalisation entre les deux États. Le « Front du refus» groupant la Syrie, l'Irak, l'Algérie, la Libye, l'OLP, hostile à toute solution négociée avec Israël, ne changera rien à la situation géostratégique du monde arabe. Bien plus, les années 1980 seront extrêmement néfastes, destructrices et meurtrières par une série de guerres entre plusieurs États. De plus, un mouvement tirant son idéologie de l'Islam fait son apparition et prend beaucoup d'essor dans le monde musulman.

C'est ainsi que le Proche et Moyen-Orient se trouvent bouleversés par plusieurs guerres, d'abord une guerre qui éclate au Liban, en 1975, elle durera 15 années jusqu'en 1990. Une guerre entre l'Irak et l'Iran 1980, jusqu'en 1988, et une guerre entre l'Union soviétique et l'Afghanistan en 1979 jusqu'en 1989. Entre l'Irak et l'Iran, tous les types d'armements ont été utilisés, de la guerre des villes par des missiles (Skud...), l'usage des gaz de combat, les batailles de chars... En Afghanistan, par les bombardements massifs de l'armée soviétique, des villes entières ont été détruites. Ces guerres ont fait plus de deux millions de morts.

L'Algérie, loin de ces zones de guerre, et aidée par la forte hausse des prix du pétrole et du fort taux de change du dollar américain, une politique économique volontariste a été menée dans les infrastructures et l'habitat. Des constructions de logements tout azimut, de l'infrastructure routière, ferroviaire, portuaire, et des structures d'Etat, d'hôpitaux, d'écoles et universités, modernisation de ses armées, etc., tous ces secteurs grand pourvoyeur d'emplois ont permis une forte croissance à l'économie et une stabilité politique.

Compte tenu des guerres au Proche et au Moyen-Orient, des conflits qui n'augurent rien de bon,l'Algérie, par des contacts avec le Maroc, a cherché à ouvrir une nouvelle page avec son voisin. Le 26 février 1983, le président Chadli Bendjedid rencontre le roi Hassan II à la frontière algéro-marocaine. Première du genre depuis la rupture des relations au début du conflit sur le Sahara occidental. Cette rencontre est consacrée à trouver des solutions aux problèmes qui divisent les deux pays. Promouvant une détente politiqueet des échanges économiques avec les pays avoisinants, sous la houlette de l'Algérie, et après plusieurs années de tractations, l'Union du Maghreb arabe (UMA), unissant l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Lybie et la Mauritanie, est scellée, le 17 février 1989, à Marrakech.

Cependant toutes ces années de croissance économique en Algérie vont trouver une limite. Peut-on dire une « limite historique », appelant d'autres événements. Le prix du pétrole, le 3 février 1986, a atteint son plus bas niveau à 9,85 dollars le baril, depuis 1973.(4) C'est le contrechoc pétrolier de 1986. Cette crise qui commence sera sans commune mesure avec le passé, elle constituera un tournant dans l'histoire de l'Algérie.

Pour simplifier, eu égard aux conséquences qu'il a provoquées, le contrechoc pétrolier apparaît comme une« herméneutique majeure » dans l'histoire de l'Algérie. Elle vient en droite ligne des deux « herméneutiques majeures précédentes, les deux chocs pétroliers ». Quelles sont les conséquences ?

Toute richesse depuis le premier choc pétrolier en 1973, puisqu'ils ont fortement influé positivement sur la croissance économique de l'Algérie, ont eu aussi des influences très négatives sur le plan économique. Par exemple, la gabegie économique et politique s'est installée. Personne ne contrôlait personne, les détournements, la corruption à grande échelle, etc. Des sommes faramineuses en milliards de dollars sont détournées à l'intérieur et à l'étranger.

Donc que va-t-il se passer avec un prix du baril de pétrole à 10, 12 ou 15 dollars, alors que la population a doublé, et les besoins de première nécessité sont considérables, une crise politique au plus haut sommet de l'État. Et cette crise est répercutée vers le bas. La « crise de la semoule » comme elle était qualifiée, les restrictions des importations de biens de première nécessité (café, huile, et d'autres produits), leur rationnement, souvent donnés en-dessous des tables, dans les magasins d'Etat, vont forcément créer des troubles au sein de la société. Et donc pousser à une révolte et c'est ce qui est arrivé le 5 octobre 1988.

Les événements qui ont résulté, à partir des émeutes qui ont éclaté à Alger et dans toute l'Algérie, le 5 octobre 1988 et les jours suivants, vont changer le cours de l'histoire algérienne. Ils seront une « herméneutique majeure », conséquente au contrechoc pétrolier de 1986.

Un point cependant, les événements d'octobre 1988 auraient pu évoluer autrement dans le sens que si FLN avait eu un ascendant très fort sur le système politique, toute opposition étouffée, les revendications populaires seraient restées lettres mortes. Évidemment, le verrouillage conservant le système et le champ politique inchangé, que serait-il passé ? La réponse sera traitée dans la deuxième partie parce que ce cas de figure hypothétique et intéressant à analyser sort du contexte de la mandature du président Chadli Bendjedid. Aussi, à ce qui s'est passé après les émeutes d'octobre 1988, tout va s'accélérer et,rapidement, en quelques années, d'autres événements graves vont apparaitre :

- Le premier sera l'adoption de la nouvelle Constitution, en 1989. Elle instaura le « multipartisme ». C'est la fin de l'ère du parti unique. La toute-puissance du FLN est terminée, et il doit désormais compter avec de nouveaux partis politiques. Ce qui dans un sens est positif pour l'Algérie puisqu'elle s'inscrit dans le concert des nations démocratiques qui sont essentiellement occidentales. De plus la « liberté de presse, liberté religieuse, d'expression, d'opinion et d'association » est votée dans la nouvelle institution. Des journaux indépendants commenceront à paraître dès 1990. El Watan paraît pour la première fois en octobre 1990.

- Le second, c'est l'islamisme. La crise économique de 1986 va donner du grain à moudre au mouvement islamiste. « Le nouveau parti islamiste, le Front islamique du Salut (FIS) remportera les élections communales en 1990, et les élections législatives en 1991. »

- Le troisième, c'est l'« intervention de l'armée dans l'interruption du processus électoral en janvier 1992. » Le président Chali Bendjedid démissionne, il est remplacé par un Haut comité d'Etat (HCE)

- Le quatrième, c'est le début de la « guerre civile ». Une guerre qui fera plus d'une centaine de milliers de morts, une tragédie qui marquera à jamais l'histoire de l'Algérie.

- Le cinquième. L'Algérie, « qui était très endettée et le ratio d'endettement de plus de 90 %, et pratiquement en cessation de paiement » a signé avec le FMI un programme d'ajustement structurel (P.A.S.), en 1994.

Ces événements eurent des conséquences considérables sur le plan politique, économique et social. La guerre que les forces armées algériennes toutes catégories confondues et les milices populaires ont mené contre le terrorisme islamique pour sortir l'Algérie de la plus grave crise politique et économique de son histoire, avec plus de 100 000 morts et un nombre très élevé de disparus et de déplacés, ont laissé un traumatisme profond au sein de la population. Qui restera gravé dans la mémoire nationale.

Quant à l'économie nationale, cela a été une catastrophe. Pour percevoir une aide financière du FMI, et rééchelonner sa dette, l'Algérie a dû appliquer des conditionnalités extrêmement éprouvantes imposées par le FMI. C'est ainsi que tout un ensemble de mesures comme la dissolution des entreprises étatiques productives ou commerciales déficitaires ou leur privatisation, la fin du monopole de l'import-export, la dévaluation du dinar algérien 40,17%, le 10 avril 1994 à 00h00, celui-ci est passé de 4,85 DA/US$ en 1985 à 22 DA/US$ fin 1991, fut mené sous la supervision du FMI.

Des milliers d'entreprises économiques étatiques dans le cadre du P.AS./FMIqui étaient soit fermées, dissoutes, soit privatisées par des repreneurs souvent pour un dinar symbolique ont mis plus de 400 000 salariés au chômage. Des milliers de ventes de mobiliers, d'équipements des patrimoines d'usines de l'Etat ou de structures de distribution d'État mis aux enchères par les commissaires-priseurs et les études notariales. Une situation de guerre civile a conduit à une forte paupérisation du peuple et un gonflement du chômage. Face au double choc, économique et terroriste, cette situation catastrophique,qui va durer une décennie.

3. La compréhension des « herméneutiques » dans l'histoire d'Algérie

Tout d'abord posons-nous la question. « Est-ce que l'histoire est positive ? » Prenons l'indépendance de l'Algérie en 1962. Comment l'Algérie l'a-t-elle acquise ? Par la lutte armée, par la guerre aux forces d'occupation françaises. Cette guerre a duré sept ans et demi, de novembre 1954 à juillet 1962. La guerre est un « mal », mais le peuple algérien pour « gagner son indépendance » a été obligé de recourir à la guerre, donc aussi un « mal », mais un « mal légitime » pour arracher son indépendance.

Mais initialement, lorsqu'en 1830, l'expédition de la France en Algérie a fini par la coloniser, l'Algérie, en réalité, a de tout temps été convoitée. Par la Reconquista espagnole au XVème siècle et les Musulmans d'Andalousie fuyant la Reconquista venus en masse en Algérie, puis des relations difficiles avec les pays occidentaux jusqu'à la colonisation,au XIXème siècle, par la France. Nous ne considérons pas l'empire Ottoman comme une puissance occupante, mais comme un rempart musulman aux velléités expansionnistes européennes.

Ceci étant, la colonisation de la France entra dans un contexte d'affaiblissement du monde musulman alors que l'Europe, malgré les crises internes, était rayonnante sur le plan extérieur. Ce n'était pas seulement l'Algérie qui était colonisée par la France, mais des continents entiers étaient colonisés par les pays d'Europe. Pratiquement toute l'Afrique, les deux Amériques bien que l'Amérique du Nord s'est libérée de la tutelle européenne en 1776 et ont donné les États-Unis et l'Amérique du Sud a suivi au début des années 1800 et ont donné plusieurs États latino-américains (Brésil, Argentine, Bolivie, Chili, Équateur, Guatemala, Honduras...) dont les indépendances se sont situées entre 1800 et 1825.

Dès lors, la colonisation de l'Algérie devait aussi être suivie de son indépendance. Si l'Algérie a un peuple et ce peuple a opposé plusieurs insurrections contre la France occupante, au XIXème siècle, et que celles-ci n'ont pu libérer son peuple et son territoire d'autant plus que le rempart que fut l'empire ottoman lui aussi s'affaissait sous les coups de boutoir des puissances européennes. D'où va venir l'« herméneutique » qui libérera l'Algérie, et pas seulement l'Algérie, tous les pays colonisés, c'est-à-dire des continents entiers comme l'Afrique et une partie de l'Asie ?

Un événement en Europe va changer le cours de l'histoire du monde. C'est la guerre franco-allemande en 1870 qui finit par la défaite de la France en janvier 1871. En effet, en déclarant la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870, la France ne savait pas qu'elle ne faisait qu'accélérer le processus de l'Histoire. Six mois plus tard après le début des hostilités, une partie de la France est occupée, et Paris est partiellement occupé. Ironie de l'histoire, l'unification de l'Allemagne est proclamé le 18 janvier 1871, dans la galerie des Glaces du château de Versailles (région parisienne). Les conséquences de cette unification font que l'unification de l'Italie se fera aussi la même année, en 1870. L'Allemagne, 43 ans plus tard, provoque la Première Guerre mondiale. Elle se termine en novembre 1918. Mais, au cours de la guerre, en 1917, l'absolutisme des tsars tombe, la révolution russe change les rapports de force en Europe.

On peut considérer, entre 1871 et 1914, l'avènement de« deux herméneutiques » qui auront à changer la face du monde. Le premier c'est la guerre franco-allemande 1870-1871 et l'avènement de l'« Allemagne » qui va rebattre les cartes géopolitiques mondiales. La seconde « herméneutique » est la « révolution russe en 1917 », elle va aussi rebattre les cartes mondiales.

De même, 11 ans plus tard, éclate le krach boursier de 1929. La Grande Dépression des années 1930. Une autre « herméneutique » qui apparaît dans « la crise 1929 et la Grande Dépression des années 1930 » suit juste après. Le chômage qui explose en Allemagne avec ses 6 millions de chômeurs à temps pleins et 8 millions de chômeurs à temps partiel font appel à « Hitler », pour redresser la situation économique de l'Allemagne. Il sera aidé par les pays occidentaux qui redoutent la poussée communiste de l'URSS. De nouveau, l'Allemagne provoque la guerre, par la politique nazie animée par « Hitler ». En 1939, c'est le début de la Deuxième Guerre mondiale. En 1945, l'Europe est anéantie. Plus de monnaies internationales, affaiblie par la guerre, un plan Marshall pour la secourir. Et débute la libération des pays colonisés. Toute l'Afrique se libère de la tutelle coloniale. L'Inde et le Pakistan sont indépendants en 1947. L'Algérie lance sa lutte armée en novembre 1954. Elle est indépendante en 1962, après sept ans et demi de guerre.

Ici aussi, nous avons « deux herméneutiques » liées entre elles, les « Deux Guerres mondiales 1914-1918 et 1939-1945 », séparées par une « herméneutique intermédiaire », « la crise 1929 et la Grande Dépression des années 1930 »

Que constate-t-on dans la succession des événements ? Que l'histoire de l'humanité est « ordonnée ». Et que tout est fait pour que soit ainsi. Cela ne signifie pas qu'une situation humaine existe et dure sans raison. Il y a des herméneutiques qui font avancer l'histoire du monde. Et tout événement majeur qui marque un tournant dans l'histoire relève de l'herméneutique si on peut qualifier « globale » ou l'« Herméneutique-monde ». Ici nous ne cherchons pas à puiser dans la « philosophie de l'histoire » qui elle ne parlerait pas du sens concrets des événements qui ont existé, et qui ont fait avancer l'humanité. Les « herméneutiques » dans le sens large sont ce qui se produit à la fois en dehors de la volonté de l'homme et à l'intérieur de sa volonté parce ce sont deux aspects par leur vision, par leur exécution ordonnatrice qui vont tracer la marche de l'histoire de l'humanité. Il y a donc dans cette double volonté de l'homme une « immanence-transcendance ».

Et comme on l'a écrit précédemment : « Et c'est la raison pour laquelle, au nom de facteurs extrêmement vitaux pour l'humanité,l'histoire s'oriente selon ses forces vitales, immanentes en elle-même, et transcendante au-delà d'elle-même, vers le progrès qui marque son devenir qui est le devenir du monde.

Et cette remise à l'ordre du monde est innée, perpétuelle et tout le temps en transformation. Telle est la destinée du monde humain. Et c'est pourquoi l'histoire du monde ne l'a pas entendu ainsi, comme ont voulu l'entendre certains peuples qui, dans leur ignorance des forces de l'histoire, ont cherché à prolonger le statu quo alors que le monde est en perpétuel devenir. Et un statu quo est toujours éphémère le temps qu'il remplisse son rôle dans l'histoire. » (5)

Évidemment, cela peut ne pas être compréhensible par ce qu'on appelle sur le plan de la phénoménologie les « herméneutiques ». En philosophie de l'histoire d'Hegel, de Paul Ricœur ou de H. G. Gadamer, on ne peut rester que dans le discours philosophique abstrait sans prise sur la réalité. Pour Husserl, dans tout ce qui dépasse un fait, un événement qui arrive, sur le plan phénoménologique, est mis hors circuit. La mise hors-circuit de ce dépassement du fait historique montre qu'en fait ce n'est pas le phénomène qui réalise ce qui est ou ce qui est parvenu à être mais ce qui l'a généré à être. En clair, il y a l'essence qui n'est visible dans cet « étant en tant qu'étant ». Une constitution en fait transcendantale du monde conçue par l'essence générant de ce qui devait être dans la vie de l'Ego absolu. Husserl, en fait, en faisant ressortir l'être et l'étant, cherche à aller vers l'origine des choses.

De même pour Heidegger. Toute l'essence de la réalité relève du lien entre les événements comme faits historiques et la trajectoire qui résultent de ces faits qui conçoivent la marche du monde dans son sens absolu. Heidegger définit l'herméneutique de l'existant, comme cet être-là qui comprend l'être.

Pour avoir une vision moins philosophique mais tout en la corroborant, prenons Hitler. Qui peut penser qu'un homme inconnu qui vendaient des peintures à Vienne, a souvent trouvé refuge dans des foyers pour sans-abris, puis, pendant la Première Guerre mondiale, blessé et sorti avec le grade de caporal dans l'armée allemande, ait pu mener un putsch à Munich, cinq années après la fin de la guerre, en novembre 1923. Et emprisonné, puis libéré 9 mois plus tard. Et 10 ans après, alors qu'il n'a eu la nationalité allemande qu'en février 1932, Hitler devient chancelier de l'Allemagne, le 30 janvier 1933. Plus encore, il a le pouvoir absolu. Des six millions de chômeurs allemands totaux et 8 millions de chômeurs à temps partiel, il n'en reste que 400 000 chômeurs en 1938, selon les données occidentales.

La question se pose comment Hitler a subjugué le peuple allemand ? En 1939, la population de l'Allemagne comptait 68,5 millions d'Allemands. Sur le plan de son essence humaine qu'a Hitler, comment un homme comme tous les hommes est arrivé à subjuguer le peuple allemand. Il a un corps humain, une voix humaine ben qu'elle a fait vibrer le peuple allemand par le magnétisme vocal que Hitler possède. Il a des yeux humains, un esprit humain, une pensée humaine, donc il a tout ce qu'ont les hommes et femmes qui constituent le peuple allemand. Et pourtant, il était autrichien, et n'est devenu allemand qu'en 1932, et moins d'un an, il est devenu le maître de l'Allemagne.

Précisément, c'est là où entre l'Herméneutique du monde. Toutes les « herméneutiques » dérivent de cette « Herméneutique-monde ». Hitler, tant son langage, son visage osseux, ses yeux brillants et hypnotisant, ses pensées et idées délirantes, cette force de caractère et tant de force de subjugation, d'envoûtement, « ne sont en fait pas à lui », mais à l'Essence. Quel homme au monde, aujourd'hui, , peut dire que je suis « moi dans l'absolu » ? Que j'existe sur terre par moi et pour moi dans l'absolu ? Il est évident que personne si l'homme est normal et se comprend qu'il n'est lui que parce qu'il est lui et il n'a rien fait pour être lui. S'il dit que je suis moi en absolu, cela signifie qu'il ne se sait pas, ou qu'il s'aliène sans qu'il le sache, ou ce qu'on peut dire qu'il se trouve une « conscience inconsciente ».

Donc Hitler, ce n'est pas le peintre qui n'a pas réussi, ou le caporal de l'armée allemande, c'est ce corps, ses yeux subjuguant, ses idées revanchardes et délirantes, qui ont trouvé écho auprès du peuple allemand « envoûté malgré lui » parce que c'était la nécessité de l'« Etant dans l'Etant ». Le nazisme a été un délire d'un homme étendu à une grande partie d'un peuple, lui-même pris dans les vicissitudes et de l'histoire qui devait avancer. Un monde devait muter parce que cela relevait des « Nécessités Absolues » qui dépassaient les hommes. Et le plus malheureux est qu'il a nécessité la mort de dizaines de millions d'êtres humains, pour aussi que des centaines de millions d'êtres humains viennent à se libérer, viennent à « aspirer à vivre ». C'est dire l'ironie de l'histoire et l'extrême faiblesse de la destinée de l'homme dans son histoire. Il est né pour vivre mais il est né aussi pour souffrir et pour mourir.

Ainsi, on comprend par cet exemple réel, vécu, que le monde n'est pas un monde figé, le progrès, il est immanent. Et que le monde, mû par l'Essence, et doté d'un libre-arbitre, fait ce qu'il doit être mais en étant dans l'Ego absolu. Et c'est ce que veulent dire indirectement Husserl et Heidegger. Ils veulent aller à l'origine des choses, une origine qui leur est inaccessible, tout au plus, il leur est donné de penser l'origine des choses. Et, même, en fait ce ne sont pas eux qui pensent l'origine des choses mais la pensée qui est en eux et dont ils ne connaissent rien qui les invite à aller au fond des choses. Voilà le dilemme du philosophe, penser qu'il pense, alors qu'il sent que c'est la pensée qui pense en lui.

L'homme croit faire mais, en réalité il ne fait que ce qui doit être. Il peut mentir, il peut dire la vérité, il peut voler, il peut être moral, il peut être immoral, toute posture qu'il fait n'engage que lui mais cet engagement relève de lui parce qu'il doit être libre sinon son existence serait sans sens. Donc il est dans une liberté et dans une non-liberté qui se chevauche mutuellement, et cette situation de lui est inconsciente. Parce que c'est ainsi, il est régi par l'essence. Que tout ce qu'il fait bon ou mauvais, il le fait par l'Essence, par tout ce qui lui est donné, et dont rien ne lui appartient dans l'Absolu. Cependant, l'homme du bien a cette sensation très élevée du bien, contrairement à l'homme qui discerne difficilement le mal du bien.

4. Conclusion de la première partie sur l'histoire de l'Algérie et les enjeux dans l'élection et l'après-élection présidentielle d'avril 2019

Nous allons brièvement résumer les forces en présence actuellement en Algérie, et les enjeux qui se jouent sur le pan extérieur. Nous laisserons dans la deuxième partie une analyse substantielle de la dynamique qui prévaut sur la scène algérienne. Cependant, on peut déjà dire que ce qui se passe aujourd'hui est très positif pour la nation. Un pays où tout bouge est un pays qui a de l'avenir. Tous les pays qui ont des difficultés ou souffrent donc en crise ou en guerre ou toute calamité qui les frappent ont de l'avenir parce qu'ils œuvrent pour être, pour dépasser leur mal-être.

Par contre ceux qui ne sont pas dans cette situation difficile, et évidemment là il ressort des pays avancés, ils ont cependant autre chose. Bien qu'ils soient suffisants par les droits qu'ils ont acquis au cours de l'histoire, eux aussi ils ne sont pas à l'abri des vicissitudes de l'histoire. A voir ce qui s'est passé aux États-Unis lors de la double crise immobilière et financière en 2007 et 2008 et les millions de ménages américains qui ont perdu leur maison, leurs économies et leur travail. Et ils se sont retrouvés à vivre dans des foyers pour sans-abri et de bons de pensions alimentaires. A voir le Brexit, la crise de la Catalogne en Espagne, les Gilets jaunes en France, etc. Donc les peuples cherchent tous leurs avenirs, cherchent à vivre leurs existences dans la dignité. « C'est une nouvelle humanité qui est en gestation en ce début de troisième millénaire. » Et l'Algérie ne fait pas exception.

Ceci étant, si le pouvoir algérien qui a tenu longtemps la question de l'élection présidentielle en suspens, et si au dernier moment, il a opté pour reconduire le président Abdelaziz Bouteflika sortant pour un cinquième mandat, c'est qu'il a des raisons internes et externes. Et ce ne sont toujours pas ce que l'on croit. Certes, le plus visible et parlant aucun système politique au pouvoir n'accepterait d'être supplanté dans sa position. Tout être humain ou tout système politique penserait ainsi « J'y suis, j'y reste », et ce en regard des droits et privilèges que leur octroie le pouvoir.

Si, par exemple, l'opposition serait montée au pouvoir, et démocratie ou non, elle opterait pour la même politique. Elle tenterait par tous les moyens y compris ou plutôt surtout illégaux pour conserver le pouvoir. Et c'est ce que fait le pouvoir algérien aujourd'hui. Et l'opposition a beau appeler à l'illégalité dans la reconduction de Bouteflika, ou dénoncer la fraude lors de la tenue de l'élection présidentielle, sa voix ne portera pas. Elle ne portera pas non pas parce qu'elle est impuissante, cela est certain qu'elle est impuissante, mais il se produit un phénomène « c'est parce qu'elle ne portera pas qu'elle portera », « c'est parce qu'elle est impuissante qu'elle est puissante ». Et c'est cela qui est complexe. Qu'il est difficile à saisir même et surtout pour le pouvoir.

Parce que le pouvoir sait, et conscient que ce n'est pas une bonne solution de reconduire un président malade. Pourquoi ? Pour la simple raison que tout le monde, et là « c'est l'opposition, le peuple, sa jeunesse qui est très importante qui vont savoir qu'il y a problème dans la désignation d'un président très affaibli et qui n'a pas les capacités pour présider à temps plein un pays, surtout une nation d'envergure qu'est l'Algérie. Un pays connu du monde entier par sa révolution, par sa place en Afrique, c'est le deuxième ou troisième pays après l'Afrique du Sud et le Nigéria, il est le premier pays d'Afrique en termes de superficie du territoire. »

Évidemment, tout ce que fait ou fera le pouvoir algérien est décortiqué, analysé par l'opposition, et par le peuple qui suit de très près les événements. On croit que le peuple sommeille, et c'est une appréciation simpliste du pouvoir de croire que le peuple algérien n'est rien et qu'on peut tout lui faire avaler. Et ceci est faux. Le peuple en fait est sage, il regarde et juge, comme il a toujours jugé. Sans rien dire. Comme il a montré durant la tragédie, il a été soudé. Et c'est une richesse que cette sagesse du peuple algérien. De même c'est une richesse que cette opposition qui s'oppose pacifiquement. Ou cette presse qui dénonce est aussi une richesse qui émane du peuple algérien. Et le pouvoir est conscient de cette richesse. Et elle restera aujourd'hui et demain, cette richesse.

Dès lors, on comprend pourquoi la confrontation est constructive entre le pouvoir et l'opposition et à laquelle vient renforcer cette dernière par une presse nationale de grande envergure pour un pays jeune qui n'a que 57 ans d'existence. Et qui n'a pas la langue dans sa poche et n'a pas peur parce qu'elle est avant tout pacifique et constructive et objective.

Et bien que le pouvoir algérien menace, il est obligé, il est astreint de tolérer. Il n'a pas le choix, la situation dont il s'est mis le pouvoir est difficilement viable sur le plan de l'herméneutique. Et il faut encore dire que « l'équilibre est très raide pour le pouvoir ». Il doit durer et peu importe l'équilibre, tout en nonobstant maintenir l'équilibre.

Par conséquent, l'Algérie avec un cinquième mandat ou non est condamné à avancer non comment les décideurs algériens chercheront à décider pour l'Algérie, mais ce que décidera l'Algérie elle-même dans toute son histoire, dans toute son essence, depuis la nuit des temps. En clair, tous les pouvoirs qui se sont succédé ne sont qu'éphémères et qu'ils seront inévitablement remplacés. C'est « une loi de l'histoire ». « Tout être humain n'a qu'un temps pour vivre, il ne vivra pas continuellement. Et cela vaut pour une république ou une monarchie. Les pouvoirs changent, les rois disparaissent de la scène de l'histoire, les peuples restent. »

L'Algérie est à un rendez-vous politique crucial, en avril 2019. « Si le pouvoir fait bien, tout ce qui arrivera arrivera bien, dans le sens que l'après-rendez-vous présidentiel sera plus facile pour le peuple, pour le pouvoir, pour la nation algérienne. Et surtout ne pas croire que l'Algérie est immunisée contre de graves crises voire des guerres comme ce qui s'est passé et se passe encore en Syrie, ou au Venezuela. Et si le pouvoir fait mal, ou croit que tout va pour le mieux alors que cela ne va pour le mieux, tout ce qui arrivera arrivera mal. »

L'impérialisme occidental, s'il perd dans une région cherchera à rebondir dans une autre région. Et même l'impérialisme a un sens, il ne rebondit pas pour rebondir. Il a des objectifs géostratégiques. Du Vietnam, il s'est trouvé à ce qui lui est encore possible, le Moyen-Orient. Mais s'il va reculer du Moyen-Orient, et l'Égypte qui est déjà dans le camp américain, et qui a normalisé ses relations avec Israël, restera alors l'Afrique du Nord. Et l'Algérie, si elle s'affaiblit économiquement compte tenu de la baisse ininterrompue des réserves de change, risque de se trouver dans l'œil du cyclone.

Et c'est cela qui est important dans la prise en compte dans l'après-élection présidentielle. Il demeure cependant qu'une Algérie démocratique constitue un danger mortel pour les systèmes monarchiques arabes. La peur que la démocratie réussisse en Algérie pousse les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à suivre de très près les événements qui se jouent aujourd'hui, et après les élections présidentielles d'avril 2019. Pourquoi les événements en Lybie, en Tunisie, en Syrie, en Irak en Égypte, en Iran, au Yémen, en Somalie, au Mali, au Tchad, au Liban, le problème israélo-palestinien, enfin tous les conflits dans les pays musulmans ne trouvent pas encore de solution ? Et ces pays restent très instables ? C'est que cette instabilité a un sens très important. De plus, cette instabilité arrange les affaires des pétromonarchies arabes qui ne pensent qu'à préserver leur système monarchique absolutiste.

Il est évident que, depuis les révolutions du Printemps arabe, les pays arabes du Conseil de coopération du Golfe sont sur le qui-vive. Pour eux, il est inconcevable que l'Iran étende son influence sur les pays au Proche et au Moyen-Orient, et construit un axe Iran-Irak-Syrie-Hezbollah (Liban)-houties du Yémen. Ce qui explique la coalition arabe menée par l'Arabie saoudite contre les houties du Yémen.

Donc, non seulement les monarchies du Golfe luttent contre l'influence iranienne sur le monde arabe mais s'opposent à tout mouvement démocratique qui prend naissance dans ce monde. Ils préfèrent l'instabilité, la subversion ou la guerre civile à la place de tout mouvement démocratique réel qui réussisse dans un pays arabe. Et c'est cela le dilemme dans les pays arabo-musulmans. « Ils sont divisés déjà par eux-mêmes avant de l'être par les grandes puissances occidentales. » Et tant que ce dualisme « monarchies-républiques » dans le monde arabo-musulman existe, la situation politique et économique dans ces pays ne pourra pas évoluer positivement. Et on comprend d'ailleurs pourquoi Israël trouve un terrain propice dans ces conflits internes. Et les monarchies arabes ne sont pas intéressées par une république palestinienne et préfèrent que ce chaos proche et moyen-oriental continue, comme elles préfèrent une autorité en Cisjordanie, et une autre à Gaza, mais toujours en une autonomie provisoire qui dure et dépendante d'Israël.

Ainsi on comprend l'extrême complexité du monde arabo-musulman dont fait partie l'Algérie. Et les risques de déstabilisation de l'Algérie dans un avenir proche existent réellement. L'Algérie a aujourd'hui moins de 80 milliards de dollars de réserves de change. Et ces réserves de change peuvent tenir trois à quatre années et il est certain que le prix du baril de pétrole ne pourrait rebondir que si les États-Unis livrent de nouveau une guerre destructrice et qui fera exploser les déficits de leurs balances commerciales et courantes comme ce qui s'est passé après le 11 septembre 2001, et les guerres qui ont suivi en Irak et en Afghanistan et les quantitative easing menés entre 2008 et 2014 par la Banque centrale américaine (Fed).

Ce scénario de déficits courants américains de 5%, 6%, 7 % du PIB alors qu'aujourd'hui, il évolue autour de 2%, ne risque plus de se reproduire puisque les États-Unis sont en recul au Moyen-Orient et annoncent le retrait de leurs forces armées. De plus, le risque d'une guerre nucléaire avec la Corée du Nord vient d'être écarté depuis la rencontre historique entre Donald Trump et Kim Jong-un, à Singapour, en juin 2018, et une rencontre est prévue ce mois-ci, en février 2019. Donc les déficits extérieurs américains ne vont pas exploser ni les émissions en dollars par la Fed. Le prix du baril de pétrole restera compris entre 40 et 60 dollars. De temps en temps, il franchira les 60 dollars mais très rarement et les pays d'OPEP ne peuvent rien faire puisque d'une part les États-Unis sont devenus exportateurs de pétrole net comme l'a annoncé récemment le président américain Donald Trump, à l'occasion de son discours sur l'état de Union, le 5 février 2019, et d'autre part, les prix sont fixés dans les Bourses occidentales, à Londres et à New York et les transactions pétrolières des pays OPEP effectuées en dollars que seule la Fed peut émettre.

Dès lors, l'Algérie n'a le choix que d'être solidaire avec elle-même, c'est-à-dire entre le pouvoir et son peuple. Et il faut encore répéter qu'elle ne doit pas se croire en sécurité avec ce qui se passe dans le monde arabo-musulman, et les pays limitrophes qui l'entourent. Et surtout, une crise économique qui surgit, « une nouvelle herméneutique peut surgir », et l'Occident va alors s'engouffrer dans cette fenêtre. Il ne faut pas croire que l'Algérie est aimée par l'Occident, surtout par l'impérialisme américain qui est prêt à déstabiliser toute l'Afrique pour la couper de la Chine. Une Chine qui lui dispute le leadership mondial.

Précisément, l'Algérie par sa révolution armée, par son système socialiste passé, par sa mutation en un début de démocratisation de son système politique, devient à la fois un obstacle pour les monarchies arabes si son système politique se démocratise pleinement, donc met en danger leurs systèmes monarchiques, ceci d'une part, et pour l'impérialisme occidental en tant que l'Algérie, historiquement parlant, sous influence russe et chinoise, d'autre part.

On ne peut oublier la tragédie que l'Algérie a vécue est très récente et ne peut être oubliée. « Par conséquent, les grandes puissances qui tissent l'avenir du monde et qui savent où frapper n'hésiteront pas frapper là où ils peuvent créer l'instabilité, ou la guerre pour précisément ralentir les grandes puissances adverses, en l'occurrence la Russie et la Chine. »

Et l'on doit souligner aussi l'Algérie n'a ni l'Iran derrière soi, un pays proche pour l'aider ni le Hezbollah ni la Russie comme ce fut pour la Syrie. Et la Russie a des bases militaires en Syrie pour les défendre et défendre en même temps le régime ami syrien. « L'Algérie ne doit pas se leurrer en se croyant suffisamment forte pour répondre aux menaces extérieures. Certes, elle n'est forte et ne peut être forte que si tout le peuple dans toutes ses composantes est uni. »

Jusqu'à aujourd'hui, le peuple algérien l'a prouvé. Mais, compte tenu des menaces latentes dans les années à venir, la situation exige, et qui n'est pas perceptible aujourd'hui, croyant que l'impérialisme est en recul, il est certes rn recul mais est prêt à frapper à tout moment pour défendre toujours ses intérêts géostratégiques à l'échelle planétaire, « que le peuple algérien soit encore plus uni ». Et cela relève des prérogatives du pouvoir algérien de prémunir la nation et le peuple de ces périls diffus qui peuvent être extrêmement destructeur. Et si l'Algérie a jusqu'à présent pu rester à l'écart des grands bouleversements qui ont frappé le monde arabo-musulman, le danger est toujours là.

Et c'est à cela que l'Algérie doit à tout prix se prémunir et cela passe par un combat contre elle-même, contre les forces de négation, et contre les forces hors d'elle-même, qui cherchent à l'assujettir, à la vassaliser, sans égard pour son peuple. Qu'elle reste dans un système politique instable qui ne nuit ni aux intérêts occidentaux ni à ceux des pays monarchiques arabes.

*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective.

Notes :

1. « Sinistrose », par Le Quotidien d'Oran. Le 1er avril 2018

http://www.lequotidien-oran.com/

2. « M. Bouteflika annonce sa candidature à la Présidentielle », par l'APS Algérie. Le 10 février 2019

http://www.aps.dz/algerie/85303-bouteflika

3. Population/Algérie

https://www.google.com/search?client=firefox

4. Le cours du prix du pétrole en dollar

https://prixdubaril.com/

5. « La vérité sur l'histoire de la Guerre israélo-arabe en 1973. Les non-dits du jeu des puissances et les « Nécessités de l'histoire » », par Medjdoub Hamed. Le 10 février 2019

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-verite-sur-l-histoire-de-la-212531