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Présidentielle: «Au théâtre ce soir»

par M'hammedi Bouzina Med

Abdelaziz Bouteflika absent, des candidats potentiels de l'opposition boycottent le scrutin, le peuple abandonné à lui même s'interroge.

Que faire?

Ainsi Abdelaziz Bouteflika rempile, selon la lettre-communiqué de la présidence, pour une candidature pour un cinquième mandat présidentiel et l'Algérie, son peuple, ses partis politiques, ses intellectuels et analystes entrent dans une dispute nationale qui dure depuis 20 ans et qui a toujours fini par un grand éclat de rire comme dans une comédie de théâtre de boulevard. C'est donc un nouvel acte auquel va se prêter le pays que les «uns» craignent qu'il ne tourne cette fois-ci en une tragédie et les «autres» en une comédie de plus. Les plus subtiles estiment que ce sera une «tragi- comédie». Le problème est que les arguments des uns et des autres sont à la fois si vrais, si contradictoires qu'il est difficile de les rejeter ou de les déconstruire par la logique, la raison ou même la mathématique du nombre de spectateurs-votants.           

Ceux qui ont peur et voient dans l'acte 5 du feuilleton national une tragédie expriment leur doute sur l'honnêteté du metteur en scène: qui est-il ? Peut-on faire jouer une pièce de théâtre sans le personnage principal dont le nom figure en tête d'affiche? C'est donc une tromperie, une escroquerie du public qui paie cher sa place à chaque séance. Pour les plus dramatiques, le pays risque l'implosion, la violence, l'inconnu.

A ces angoissés de l'extrême, des voix impavides, froides et traumatisées par l'horreur des violences du passé à cause d'une autre élection appellent à éviter une nouvelle fois le piège d'un affrontement du peuple contre lui-même et expliquent que personne ne sait sur quoi une révolte débouchera. Enfin il y a ceux, indifférents, fatigués et pessimistes de nature qui regardent tous les autres puis rentrent chez eux regarder le classico Barca- Réal de Madrid.

Cette marque de fabrique nationale faite d'amour-répulsion du peuple à son pays et ses dirigeants habille le pays, son intelligencia et, bien évidemment, les partis politiques de l'opposition. Parmi ces partis de l'opposition, il y a ceux qui ont compris d'avance que Bouteflika et son équipe n'abandonneront jamais le pouvoir tant qu'ils y sont. Le pouvoir de Bouteflika survivra même après Bouteflika, disent les plus fatalistes. Ils lèvent les bras en signe d'abandon et appellent au boycott de l'élection.

D'autres plus optimistes, affirment qu'une bataille n'est jamais perdue d'avance et pour le savoir il faut s'engager dans le bras-de fer. Ils sont qualifiés de crédules, d'aventuriers, parfois de «lièvres» et de complices consentants de ce pouvoir et son système.    

D'où que l'on prenne ce rendez-vous électoral capital pour le pays, on se retrouve coincé, le cerveau bloqué, les bras ballants. Que faire? Faut dire que cette question est devenue virale, obsédante depuis 2009, l'année où le bail de location de la présidence avait pris fin avant d'être cassé pour un contrat indéterminé qui aboutit aujourd'hui à une option d'achat définitif de la maison Algérie.

Que faire? Rien, comme depuis le début et l'après 2009 et la révision unilatérale du bail de location du pays.

Et c'est ce «Rien» qui sidère et intrigue: comment en sommes-nous arrivés à cet état de paralysie et d'indifférence sur notre propre sort? D'ailleurs sommes nous heureux, malheureux, pauvres, riches, jeunes, vieux?           Que voulons-nous au juste? Personne ne peut convaincre personne sur ce que nous voulons ( et ce que nous sommes à la fin) et c'est la débandade pour tous: des harraga sans grands bagages fuient à la nage, des touristes avec bagages dans la tête deviennent harraga - légaux quand ils le peuvent, des pontes du «régime» installent leurs progénitures loin du pays, les vampires de l'import-import accumulent les poches de sang pour l'éternité, le reste du peuple erre sans orientation à l'intérieur de la grande cour du pays et cherche une hypothétique issue de secours.

La trouvera-t-il enfin après le 18 avril de cette année de grâce? A voir les mines abasourdies depuis l'entrée par derrière le rideau du président sur la scène avec son nom en haut de l'affiche et à entendre les gémissements des autres acteurs de second plan, l'acte 5 ressemble curieusement aux précédents avec, pour bande annonce, un clip trompeur même pas foutu d'user de la technique du «hologramme « pour faire une illusion de présence du président assis sur son trône.

Le public - spectateur- électeur qui se dit trompé sur la qualité et les acteurs du spectacle se suffit du boycott du spectacle comme toujours. Il laisse un espace confortable à l'autre public- spectateur-électeur qui, lui, se transforme en jury du festival électoral est s'attribue le premier prix comme toujours.

Que faire encore une fois ? Il reste peu de temps avant le 18 avril et s'enfoncer dans la déprime n'atténue pas l'angoisse des lendemains pour ceux qui sont déjà angoissés. Après avoir détruit ses propres bateaux, Tarek Ibn Ziad lançait à ses soldats: « L'océan est derrière nous et l'adversaire devant nous» pour les motiver dans la bataille de la conquête de l'Espagne en 711.

Avec un bataillon de soldats décidés, il conquît l'Espagne pour plus de 7 siècles. La conquête de tout pouvoir comme celle d'une contrée n'est pas une villégiature et encore moins une «attente» sur le bord d'une route. Le pouvoir se conquiert par l'audace, l'endurance, la patience, des programmes et bien sûr un long cheminement de proximité avec le peuple. « Suis le menteur jusqu'au pas de sa porte» dit l'adage populaire. Face à ce qui s'apparente à une provocation du quatuor présidentiel au nom d'un président qu'aucun Algérien n'a entendu se prononcer lui-même, comme le stipule la loi électorale pour la circonstance, que faire?

Abandonner la bataille sans aucune autre réaction c'est donner la victoire à cette équipe qui ne craint ni le ridicule, ni de gagner sur tapis-vert comme à son habitude. Que faire? Suivre le 18 avril jusqu'au seuil de « l'urne»? Faire parler l'urne, la faire crier jusqu'à l'extinction de voix ! Ne pas quitter l'urne des yeux, lui coller de la première minute à la dernière minute du 18 avril, noter les résultats bureau de vote par bureau de vote, chaque délégué de chaque candidat transmettant les comptages au QG de son propre candidat, veiller, suivre, noter tout acte suspect. Et si tel ou tel candidat estime le compte pas bon, qu'il exige un recomptage, dépose des recours en cas de besoin, enfin s'impliquer de bout en bout sans laisser aucun espace aux mains invisibles et aux tricheurs. En un mot mouiller la chemise, suer du front et des aisselles.

Et si malgré les efforts un quelconque parti ou personnalité engagée dans la course électorale, ou des électeurs estiment qu'il y a eu tricherie et vol du vote, alors ils seront en droit de dénoncer, de se plaindre, de manifester, de rejeter les résultats et de taper sur tout et tout le temps parce qu'ils auraient fait le « Job», assumer jusqu'au bout leurs droits et devoirs : gagner ou perdre, mais la tête haute pour ne pas abdiquer à vie.

Le chemin vers la justice et la liberté est encore long, ardu et le 18 avril n'est qu'une étape qu'il va falloir franchir d'une manière ou d'une autre. A chacun sa responsabilité et à l'histoire son jugement. Rideau.