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Bouteflika vise-t-il une constitution à l'américaine pour sa succession ?

par Reghis Rabah*

La lettre ne change rien au cours des événements. Il s'agit d'une situation de fait qui s'écarte quelque peu des règles constitutionnelles, certes mais imposée par les circonstances particulières en Algérie.

Le champ politique manque de maturité dans toutes ses composantes : peuple, intermédiaires politiques, élite politique. L'anti-constitutionalité est déclarée ouvertement « je n'ai plus les mêmes forces physiques qu'avant, chose que je n'ai jamais occultée à notre peuple. La vérité saute aux yeux, il n'y a pas de successeur au régime et même en dehors de son cercle. Bouteflika n'est au courant de rien, il est malade et devra se reposer et alors ! Pourquoi ne pas opter pour un report de quelques mois pour permettre à l'opposition de s'entendre sur un candidat de consensus qui pourrait assurer une transition vers un changement sans douleur ? En tout cas, d'autres semblent l'avoir compris et se serait une caricature grossière que de comprendre l'engagement citoyen avec le candidat Ali Ghediri des personnalités publiques comme Mokrane Ait Larbi, Madame Assoul rejoint récemment par le docteur Mourad Goumiri, Ferhat Ait Ali, Saâd Lounes et bien d'autres comme un opportunisme pour une continuité du système à leur manière. Elle est salutaire et pourrait être inscrite dans les anales de l'histoire de l'Algérie indépendante .Pourquoi ? Parce qu'elle une aubaine de faire sortir définitivement le pays du règne par légitimité révolutionnaire qui s'éloigne progressivement de l'esprit du 1er novembre. Ils ont confirmé avec la sortie récente du premier ministre dans sa conférence de presse qu'il s'agit là d'un artifice diabolique qui prend en otage un moudjahid malade uniquement par défaut de succession. Ce groupe s'approprie la tutelle du peuple pour uniquement continuer de profiter de la démarche rentière.

Il faut dire d'emblée que la coalition qui soutient le 5éme mandat entretient le mystère lorsque l'opinion publique aborde la question de la validité de la candidature d'Abdelaaziz Bouteflika pour la succession à lui-même le 18 avril prochain. D'abord les quatre formations politiques FLN, RND, TAJ et MPA déclarent leur adhésion mais laissent la responsabilité au président de l'exécutif, secrétaire général du RND et premier ministre en place de répondre aux préoccupations citoyennes autour de la question, selon toute vraisssemblance qui constitue une gêne qui pourrait s'apparenter un manque d'information ou carrément une panique. S'il est vrai que « certains » reconnaissent à Monsieur Ouyahia une « certaine » cohérence dans ses discours de ces plus de 2 décennies de sa carrière politique depuis la fameuse ponction sur les salaires jusqu'à la taxe sur les passeports. Après tout disaient-ils c'est l'homme des « salles besognes » mais qui sait éteindre le feu lorsqu'il ya péril en la demeure. Les entreprises algériennes du bâtiment étaient en faillite, des centaines de milliers de travailleurs sont sans salaires qu'il ait une « Touiza » sous forme de contribution par ceux qui sont en activité est certes impopulaire mais justifiable étant donné les circonstances. L'esprit de taxer ceux qui voyagent servait aussi à alléger la planche à billet par ceux qui peuvent sacrifier une toute partie de leurs loisirs, elle est aussi impopulaire mais passable. Cette fois-ci, lors de sa conférence de presse du samedi 02 janvier 2019 (01), il s'est montré en déphasage total entre ce qu'il avance et certainement ce qu'il pense. Il n'est pas nécessaire d'être un fin psychologue pour constater cela mais juste en l'observant.

Lorsque les questions sont simples et d'ordre général, comme sur sa démarche économique, ses relations avec les ministres de son exécutif, ses alertes au parlement, les reserves de change, l'amazighité etc., il remercie la personne qui l'a interrogée et s'étale sur la réponse mais lorsque la question revient à Bouteflika, il devient agressif, parfois même insultant et d'autres fois carrément direct du tac au tac. Rappelons justement pour preuve sa réponse menaçante contre le recours à la rue de l'opposition contre le cinquième mandat, l'insulte du quotidien El watan le qualifiant « d'obsession maladive depuis 2004 », sa réponse brute « Bouteflika ne fait pas de compagne électorale », les harragas qui ramassent les oranges et les tomates etc.

Plus grave et sachant qu'il est filmé et pourrait être vu par le monde entier, il transgresse ouvertement la constitution algérienne alors qu'il devrait lui être garant pour sa protection en tant premier responsable de l'exécutif. Il justifie la candidature d'Abdelaaziz Bouteflika par le précédent crée en 2014. Il était bien malade n'a pas fait de compagne électorale mais « a été élu avec un score écrasant de 81,53% ». Cette fois ci toujours selon lui, il déroge même aux critères constitutionnels pour déclarer sa candidature par lettre supposé par là qu'il ne se présentera même au conseil constitutionnel. Il s'adressera au peuple par procuration. A la question, au demeurant très générique et incommodante de la certitude de son intention de se porter candidat, il avance une probabilité de 99% et invite la journaliste à une analyse seulement alors qu'il s'agit là d'une inquiétude centrale du corps électoral à moins d'un mois de l'expiration des délais de dépôt des candidatures.

Il se contredit de suite « il n'y a aucun doute ni plan « B » c'est Bouteflika », alors que tout était ficelé depuis longtemps et il aurait pu être l'un des artisans de cette démarche.

1-L'opposition doit drainer une adhésion populaire pour sa crédibilité.

On se rappelle qu'en 2014, un groupe de 14 partis élargi à des personnalités politiques entre autre Bentitour et Rahabi ont fondé une alliance pour garantir une élection présidentielle «libre et ouverte». Deux revendications semblent sortir du lot: le rejet de toute révision de la Constitution donc indirectement, ils s'opposent à la prolongation du mandat présidentiel ensuite la mise en place d'une commission électorale indépendante. En partant de l'hypothèse qu'aucun parti ni personnalité n'est capable de changer la donne, seul le peuple en a le pouvoir. Ces partis et personnalités avaient-ils d'abord consulté leur base puis comment pouvaient-ils concrétiser leur propositions pour éviter qu'on impose un choix au peuple Algérien et surtout dans leur ensemble que représentent-ils ? Pour bien comprendre la portée de cette initiative politique avortée, un bref retour en arrière est plus que nécessaire. Lorsque le 08 mai 2012, Bouteflika avait déclaré vouloir se retirer de la vie politique et recommandait à sa classe de faire de même avec sa fameuse phrase « Tab Ejnana », de nombreux partis et pas des moindres s'étaient vivement souciés de sa succession. Maintenant que la coalition le confirme, les mêmes corporations qui ont seulement changé de têtes s'opposent non seulement à un cinquième mandat mais aussi à la révision constitutionnelle, pourtant promises avec leur accord en pleine effervescence du printemps arabe. Rappelons qu'à partir de décembre 2010, la Coordination Nationale pour le Changement et la démocratie (CNCD) avait appelé à manifester comme dans tous les pays arabes chaque samedi pour occuper voire « camper » dans la place du premier mai, mais les quelques centaines de participants ont été vite dispersés par les forces de l'ordre et une dizaine de baltaguias.

De nombreuses manifestations à partir du 19 février 2011 ont obligé le gouvernement de l'époque, cinq jours après à lever l'état d'urgence en vigueur depuis 1992.Cela n'a pas empêché les gardes communaux de camper sur la place des martyrs à partir du 6 avril de la même année. Face donc à des auto- immolations de plus en plus fréquentes et la grève de plus de 80% des fonctionnaires, Bouteflika devait sortir de sa réserve le 15 avril 2011 pour promettre carrément une réforme constitutionnelle qui semble agréer tout le monde. Il faut cependant préciser que cette contestation a été menée par les responsables du CNCD dont Boumala, Said Sâadi et son équipe, avec la présence d'Ali Yahia Abdenour et la dernière semaine, Ali Belhadj, s'est fait remarqué. Aucun des partis de l'hémicycle et qui crie aujourd'hui au scandale d'un cinquième mandat de Bouteflika n'a pris position ni a participé. Alors pourquoi devra t- on aujourd'hui équationner Bouteflika ?

2- L'équipe au pouvoir, profite de l'atomisation de l'opposition

L'assurance avec laquelle se montre la coalition, les préparatifs pour mener la compagne de Abdelaziz Bouteflika avant même qu'il déclare officiellement sa candidature et autant d'autres actions montrent incontestablement que l'équipe au pouvoir mène le jeu en toute sérénité et reste intraitable envers tout désordre car les menaces proférées par Ouyahia contre le recours à la rue ont été selon toute vraisssemblance reçues 5 sur 5 par les concernés. L'expérience du quatrième mandat est encore dans l'esprit des uns et des autres. Rappelons que lui ou son tuteur a surpris ceux qui le croyaient mourant incapable de lever une main pour signer. Les autres qui pensaient qu'en écartant ses proches, juste avant son évacuation à l'hôpital Val de Grâce, il préparait ses bagages pour quitter le palais d'El Mouradia. D'autres disaient qu'il était incapable de gouverner sans s'entourer du clan d'Oujda, et ceux de Tlemcen Etc.

Il a montré que clan ou pas, il pouvait renvoyer et ramener : qui il veut et quand il le veut. Auparavant, il a fait valoir ses prérogatives constitutionnelles, de chef suprême des forces armées pour restructurer les services de la redoutable DRS en l'amputant du service de la communication, de la direction de la sécurité de l'armée et de la police judiciaire. Les enquêtes judiciaires et les fameux dossiers sur les uns et sur les autres sont entre les mains d'un homme de confiance, devenu vice ministre de la défense. Ce réaménagement s'est effectué avec une telle souplesse que même les principaux concernés reconnaissent l'avoir appris comme tous les Algériens par la presse. En d'autres termes, il n'y a eu aucune résistance de la part de l'armée et ceci discrédite la thèse de la lutte de deux clans au pouvoir que développaient certains analystes. Que Bouteflika ait une brouille avec le Général Toufik ne serait en fait qu'un fantasme médiatique. Il n'y a ni gagnant ni perdant, c'est le pouvoir de 1962 qui continue de régner en Algérie. Ceux qui s'accroche à la thèse polémologique et conflictualiste de clans au pouvoir et se demandent si la défaite de la DRS serait réelle ou conjoncturelle peuvent attendre car les événements qui se déroulent risquent de les dépasser. Si un cinquième mandat est jugé de trop pour les Algériens, ce n'est pas en demandant l'autorisation au wali de Tataouine pour s'y opposer mais en mesurant l'ampleur de sa démarche au sein de la population. Les leaders politiques ont habitué les citoyens Algériens à se distancer de leur base dès qu'ils arrivent au sommet. Ils développent un discours virulent contre le pouvoir en place mais dès qu'ils le rejoignent ils s'en accommodent en prenant sa teinte. Les pays voisins semblent donner des leçons à l'Algérie dans ce domaine. La Tunisie par exemple a réussi de trouver une entente entre huit partis politiques pour discuter une feuille de route avec des échéances précises de démocratisation de la vie politique.

En dépit du blocage des négociations, la voie de la sagesse semble l'emporter. En Egypte, malgré la décapitation de la tête de la confrérie des frères musulmans, sa base ne quitte pas le terrain pour réclamer le retour de la légitimité constitutionnelle etc. L'équipe au pouvoir qui compte contrôler les prochaines élections présidentielles dispose de tous les atouts: une coalition extrêmement disciplinée surtout après les sanctions des récalcitrants qui se sont opposés et qui dérivent parfois dans le langage. Ceci, constitue un avertissement à ceux qui entravent toute démarche commune. D'ailleurs depuis, on les entend plus. Belaiz après avoir fait valoir sa retraite, reviendra en consultant pour certainement jouer un rôle clé. Taleb Louh, ancien magistrat syndicaliste, tiendra la voûte de toute consultation populaire si besoins est. Pour la crédibilité extérieure et l'adhésion internationale à sa démarche, il a placeront quelqu'un dont la compétence est indiscutable et si clan il y a, c'est le seul de toute l'équipe gouvernementale dont la neutralité est notoirement connue.

3- Les spécificités de l'Algérie par rapport aux pays du printemps arabes

Il faut peut être préciser au passage que tous les soulèvements dans les pays dans le cadre de ce qu'on pourrait appeler communément le printemps arabe, ont commencé pour des raisons économiques. L'idée de liberté et de démocratie est venue un peu plus tard à travers un processus communicatif d'échange par le net à travers le monde. l'Algérie ne peut pas faire exception à quelques nuances près. En octobre1988, la crise économique due à l'effondrement des prix du pétrole et des cours du dollar ont fortement affecté le pouvoir d'achat des Algériens. La grève de Sonacom de Rouiba, l'affaire de l'escroquerie des banques par des fils de hauts responsables ont été les ingrédients suffisants pour un ras ?le- bol de la population. En Tunisie, Bouazizi s'est immolé parce que l'extraversion à outrance de l'économie sous le régime Ben Ali a crée une misère qui a fortement humilié la population tunisienne. L'étalement de la fortune des Trabelsis à travers tout le territoire Tunisien devait accélérer les choses. En Libye, la tribu de Maâmar faisait la loi et transférait une part importante de la rente vers l'étranger et à son propre profit. Le déclic de la révolution devait apparaître à partir d'un cas de Hogra au tribunal de Benghazi. L'Egypte de 2010 était au bord de la faillite économique. Les caisses de l'Etat étaient chroniquement vides. Selon un journaliste libre Abdellah Houssam Skandar, vivant actuellement aux Etats-Unis, Moubarak et son équipe réfléchissait sur une possibilité de plantation et de commercialisation de la drogue pour renflouer les recettes publiques. Heureusement qu'il y a eu la révolution de 25 janvier 2011 sinon avec ses 85 millions d'habitants, ce pays aurait pu devenir la plaque tournante du trafique de drogue dans le monde.

Avec tout cela, le président se permettait de lancer ses enfants dans la politique pour l'hérédité du pouvoir. En Syrie, les mesures libérales adoptées en 2005 ont eu trois effets négatifs : une augmentation des inégalités sociales ; l'exclusion sociale de plus en plus diffuse dans les banlieues de Damas ; la dégradation des conditions de vie de la population. Au même titre que les autres pays sus- cités, l'étalement des richesses de la famille Assad ont précipité la révolution. La nuance évoquée plus haut est le fait qu'à la différence de l'Algérie, ces pays ont un champ politique rempli. Il y existe une élite politique. Ils se débattent maintenant dans la recherche de compromis pour relancer leurs économies. Cala peut prendre du temps mais ils y arriveront tôt ou tard. Ce n'est pas du tout le cas de l'Algérie, la scène politique, est amorphe, dominée par le système rentier qui s'agrippe au pouvoir.

Ce système est formé d'opportunistes du parti unique et de ses excroissances qui en voulant perpétuer l'ordre établi, refusent, voire même résistent aux changements. Cette configuration contrairement aux autres pays du printemps arabe est largement entretenue dans le cas de l'Algérie par la rente. Le secteur privé ancre ses ventouses pour puiser sur la manne financière en profitant d'un marché tout acquis sans aucun effort de marketing encore moins de créativité. Pendant que les citoyens consomment et s'endettent sans penser au lendemain, ces privés préparent leur avenir outre mer à travers des transferts illicites en faisant fondre cette manne. Les millions de fonctionnaires se sont repliés sur eux-mêmes pour faire « tout » afin récupérer la part qui leur revient de la rente. Les jeunes se confondent dans l'informel, seule voie pour un gain facile. L'effort d'aide des pouvoirs publics aux couches défavorisées à travers le processus de subvention va au bénéfice des habitants des frontières avec les pays voisins dans la contrebande opérée par des Algériens eux-mêmes etc. Personne ne produit et tout le monde est content de son sort d'aujourd'hui sans penser aux générations d'après. Dans cet ordre établi, chacun en définitif trouve son compte.

Donc il ne peut y avoir de changement tant que la rente est là pour faire fonctionner le système. C'est pour cela que jusqu'à présent et à moins de 3 mois de l'échéance électorale, il n'y pas eu un engouement populaire pour la`simple raison que personne n'aspire ou œuvre pour le changement. Très peu de personnalités charismatiques ont émergé du champ politique avec un programme pour assurer une autre alternative. Les efforts méritoires de Ali Ghediri n'ont apparemment pas convaincu grand monde et son sociogramme n'est toujours pas bouclé pour des raisons diverses entre autre son appartenance au système par avoir été militaire, mal entouré, manque d'expérience politique etc. un nombre important de l'élite politique ont déjà jeté l'éponge dont Hamrouche, pourtant fortement apprécié. Les autres ne feront que perpétuer le système existant. Pendant que les analystes ici et ailleurs se noient dans les scénarios conflictualistes en ennuyant les citoyens avec leurs clans au pouvoir, l'équipe qui a compris tout cela, s'accommode en agissant à sa guise en toute tranquillité.

Renvoi :

(01) https://www.youtube.com/watch?v=g5qBmfhuVG4

*Consultant, économiste pétrolier