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L'opposition ?

par El Yazid Dib

Si Dieu, le Tout-Puissant s'est fait créer une opposition, alors qu'il est omnipotent et omniscient, s'il veut une chose, elle y soit ; c'est qu'il y a quelque chose de divinement utile et raisonnable. Non seulement il l?a mise en vie, mais encore il l'a dotée de siège, de subventions et de militants. « Coule dans leurs veines et partage avec eux fonds et enfants »

Donc pour n'importe quel pouvoir, s'il n'a pas d'opposition il est dans l'obligation de la fabriquer, sinon il tombe dans la dictature. Chez nous ; elle est là. Mais l'on sait plus où elle est ? L'annonce du cinquième mandat allait la faire sortir de sa longue torpeur ; elle bafouille chez celle collée au pouvoir ; elle hurle sans cri ni écho chez l'autre émiettée, disloquée et éparse.

Personne ne peut affirmer qu'il n'existe pas d'opposition. Elle existe, subsiste, vit mais demeure publiquement et largement invisible à quelques scènes près. L'opposition est dangereuse quand elle niche dans le cœur, car emmaillotée, étouffée et traquée. Elle est terrible quand elle se terre, se tait, s'enferme et se clandestine. Pourtant les textes lui sont tous favorables, le discours officiel également. La pratique et le terrain cependant lui sont une administration et un une procédure.

La véritable opposition est ainsi clairement exprimée dans les réseaux sociaux. Le meilleur et libre parloir du grand parti national. C'est là où tous les avis se déversent, où tous les procès se dressent avec leurs lourdes charges, plaidoyers et réquisitoires. Le facebook est une cour d'assises, un déversoir de doléances. Il y a là plus que de l'opposition ; de la rébellion à défaut d'antenne ou d'écran télévisuel ; les avis contraires et contrariant le régime y sont des plus explicatifs. Allant de personnalités connues et reconnues aux prétendants au fauteuil présidentiel jusqu'aux adeptes et fans des deux camps. A l'exception de ceux qui sont pour le cinquième mandat y sont totalement absents. Ils se préservent en cas de tournures des événements.

La politique peut avoir certaines tangentes avec le sport. On a des joueurs internationaux, mais pas une bonne équipe nationale. On a des ministres, mais pas un bon gouvernement. On a des opposants, mais pas d'opposition. Les causes tiennent à toute une histoire de leadership et de zaimisme depuis la nuit des temps.

L'opposition est-elle, en fait au sein ou en marge du pouvoir ? Est-elle toujours cette minorité qui aspire à la conquête du pouvoir ou bien cette majorité qui s'oppose à un système?

Dans le sens classique et désuet, l'opposition reste définie comme étant une résistance face à un pouvoir. Elle fait l'équilibre dans le rapport de force qui jouxte la pratique de ce pouvoir. Elle ne reflète en général qu'une frange sociétale dans un ensemble organique qui puisse ressembler au moins à un semblant d'Etat. C'est cette portion congrue d'une échelle sociale qui en permanence, par ténacité, constitue une obstination délibérée à l'égard de tout ce qui se réfléchit, s'exécute et tend à s'éterniser de la part d'un pouvoir donné.

La majorité étant celle bien entendu qui détient les rênes du pouvoir. En termes absolus. L'on peut ainsi constater, avec assez de difficultés dans la compréhension ; que les voix exprimées tentent de prouver qu'ils sont l'opposition. C'est cette « majorité » écrasante qui s'assimile en une force d'opposition à l'encontre de l'autre pouvoir ; le système.

Car il est ardu de continuer à croire que c'est celui qui détient le « pouvoir » qui a toute la faculté de changer les choses. On peut être dans la peau apparente d'un détenteur de « pouvoir » sans pour autant avoir la décision et l'autorité qui vous libèrent les mains et l'esprit afin d'agir en conformité des aspirations profondes du peuple. Ainsi le véritable pouvoir ne cherche pas uniquement à se pérenniser mais tend toujours à se sauvegarder. Il suscite à ses dépens et en permanence un désir de révolution dans le mode opératoire de la gouvernance, de basculement du vers un régime plus participatif et une grosse mue dans les références habituelles ; critères de distribution de la richesse nationale et de son partage. En somme, il y a des citoyens qui forment une opposition de régime et d'autres qui l'exercent face à un régime. Ainsi l'on voit bien que tous les militants du FLN, RND et autres organisations alliées ne sont pas tous en faveur du cinquième mandat.

Le dysfonctionnement de l'Etat, sa mauvaise représentativité, la mal-vie, l'angoisse et l'amertume de tous les jours ont réussi à en faire de chaque citoyen sans nul discours enthousiasmant d'opposants, un partisan entêté de l'anti-pouvoir. C'est comme dire que ceux qui nous gouvernent n'ont en face qu'un peuple entièrement opposant. Silencieux, des fois, coléreux d'autres fois mais patient et attentif tout le temps. Ces citoyens disent leur dégoût de ce personnel politique infertile, de cette nouvelle mafia des prêts bancaires et du foncier industriel, cette oligarchie qui n'arrive pas à absorber le chômage malgré l'illusion qu'elle croit faire miroiter.

La réalité des faits publics fait percevoir qu'outre le verrouillage du paysage politique c'est grâce à une prestation oppositionnelle faible, malade, mal partie, divisée et non-crédible, que le régime compte encore longtemps perdurer. Sa force était d'avoir réussi à discréditer tout embryon susceptible de constituer un noyau séreux d'opposition. Dès son éclosion, voilà que la machine redoutable de la propagande va en faire un diable. L'outillage de l'Etat et autres organes, presse, chaine, relais, succursales en feront l'achèvement final. L'estocade. Aucun des noms de l'opposition n?est arrivé à se faire un place dans échiquier de la confiance. Ni Sofiane Djilali, ni Madame Assoul, ni Djaballah, ni Ali Ghediri ou Benflis, ni Nekkaz n'en sont capables de transcender le cliché qu'on leur colle. Il est presque indélébile dans le subconscient national. Cette façon d'opérer par la neutralisation et l'intox avait déjà un temps fait ses prouesses. Nombreuses en furent les victimes. Ait Ahmed, BenBella, Said Sadi, Taleb Ibrahimi.

Un gouvernement ne saurait être fort qu'aux termes où il aurait en face une opposition aussi forte. Pensante, agissante et impassible. « L'alternative au pouvoir » un slogan bien emboîté par tous les leaders politiques notamment par ceux qui se rangent docilement dans l'opposition classique. La démocratie commence à sa porte, pour ce qui est des détenteurs du pouvoir pour s'étendre aux autres. Le reste du monde algérien finit bien par se lasser de ce personnel arrivé aux frontières de la stérilité. La ménopause du pouvoir et l'infécondité oppositionnelle.

Alors, quelle alternative pour une réorganisation synoptique du droit d'exercer le droit à l'opposition ? Il faudrait auparavant faire son mea-culpa. Ne pas se cantonner dans une philosophie vide telle que « agir avec le pouvoir n'est pas composer avec lui » proférée par certains opposants en mal de positionnement. L'opposition, comme le pouvoir n'est pas un état d'âme de dirigeant éternisé et immortel.

L'opposition « résiduelle » ou ce qui en reste de 1999 est en meilleure posture maintenant de recompter son parc, réviser ses engins, établir une nouvelle feuille de route. Car elle ne respire qu'à un faible taux.. Elle devra accéder au niveau qu'exige d'elle l'équilibre national comme une force de proposition et une corbeille de menus. Les leçons à tirer sont celles enseignées à leurs adversaires, sur les chapitres de l'alternance au pouvoir, de l'implantation locale, de la clarté politique et de la faisabilité des choses. Pensez-vous que le trotskisme ou l'idéal pagsiste est en mesure de sauver le monde de la mondialisation déferlante ? Que l'islamisme suranné ou le baâthisme culturel puissent avoir le dessus sur le chômage, la mauvaise gouvernance ou la misère de l'intelligence nationale ? Que même le nationalisme restreint, traditionaliste et grégaire, soit apte à faire reculer la pandémie de la harga, de la hogra ou de la contrefaçon morale? L'impératif réside donc dans cet élan rédempteur qui consiste à remodeler ses tableaux de bords, ses agendas et surtout ses sources d'énergie. On a tous besoin d'une aile-refuge à l'égard d'un pouvoir menaçant. Cela est vitalement indispensable pour la survie du combat.

Tous les ex-chefs de gouvernement successifs se sont alignés derrière le silence qui s'éloigne d'une position clairement politique pour contrer le passage de Bouteflika. Qu'ont-ils fait, pour conforter et soutenir en fait et en droit la place de l'opposition lorsqu'ils étaient en charge des affaires publiques ? Ignoraient-ils que les aléas de l'acte politique pouvaient aisément les réduire un jour à néant pour les joindre battus et abattus à la rive gauche du pouvoir ? Quand on s'envole sans péril, l'essentiel sera de penser aux conditions périlleuses de l'atterrissage éventuellement forcé. Si Benflis ou Benbitour se sont démarqués d'un pouvoir les ayant fabriqués puis effacés ; les autres Abdesselam Belaid, Mokdad Sifi, Hamrouche, Belkhadem, Teboune se confinent dans le mi-figue mi-raisin. Une opposition viable, rentable et prospère se devrait d'être, loin des alliances de conjonctures ou des coalitions temporaires et précaires ; une idée, une lumineuse idée. De rassemblement, d'union ou de front positif pour un combat unique et rationnel. L'intérêt commun stratégique dans la durée, l'objectif à atteindre ensemble dans la disparité du moment, seront à même de lui redonner un souffle, voire une longévité combattante.