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Un pouvoir, un système

par El Yazid Dib

« Si l'homme connaissait bien la haute nature du pouvoir, l'immense responsabilité qu'il impose et le triste penchant qui le porte à en abuser, il serait beaucoup plus effrayé d'être appelé à l'exercer qu'avide de l'obtenir » Alfred Auguste Pilavoine

Depuis son intronisation en 1999, le président avait brillement su se faire offrir le luxe de l'aisance de gestion. Aucune force n'était en mesure de lui obstruer le chemin qu'il comptait faire entreprendre à la destinée nationale. Programme ou pas programme, coalition ou non, il persévérait intransigeant dans le style controversé qui désormais le caractérise : son intime conviction ; son humeur et sa propre vision des choses. Tous les remparts ont été rompus. Du simple à l'infranchissable. Des parti (es) à l'armée ; plus rien ne lui résiste. Pas même la constitution. Comme un rouleau compresseur, sûr et rassuré, il dégrafe nœud par nœud les mailles d'une opposition qu'il prétend n'être pas de l'amplitude pragmatique qui le prédisposait, virtuose dans les arcanes de l'autorité. Même les arouchs n'avaient plus cette vigueur, cette fermeté ou cette rigueur de demander , d'exiger , encore loin de proférer des menaces accrocheuses l'ordre public ou l'unité nationale. Les émeutes qui depuis le début de son mandat s'étaient érigées en mode d'expression populaire et revendicative se voyaient abandonnées tant par les concepteurs installés dans les laboratoires centraux de la déstabilisation que par les acteurs locaux alléchés par l'odeur séduisante des charognes. Le président restait donc imbattable sur le plan politique. Il n'avait pu être tracté dans les cloaques que tissaient à bout portant et à tout bout de champ certains en manque de publicité politique. Les déchets ferreux, les débits de boissons, les grèves sanitaires et d'autres faits rendus proéminents n'arrivaient point à engendrer son intervention ni secouer sa tranquillité. Ni les inondations ou autres catastrophes naturelles ne purent arriver à lui faire douter de sa domination.

Tous les opérateurs agissant dans le champ politique, syndical, patronal ou ceux inscrits dans les ordres, les corporations, le bâtonnât, les fondations, les comités et les associations du culturel au sportif, de l'historique à l'animation juvénile, tous lui furent acquis.

Après une ou deux révisions de la constitution, la façade démocratique exigeait quand bien même une différence dans le son de cloche. Une opposition devait voir le jour. Il ne peut y avoir de pouvoir sans opposition, à peine de tomber en pleine dictature. Une opposition au sens politique est-elle une nécessité pour être un contre-pouvoir ou une simple siccité pour s'aveugler sur les tares du pouvoir ?

Sans contestation aucune, l'actualité allait confirmer crescendo par preuves tangibles que le pouvoir excelle dans la maîtrise du maintien du régime. Ses ennemis, voire ses adversaires ou ses détracteurs n'ont de cure de cette pratique que des jérémiades, des lamentations et de la renonciation fatidique. Selon le menu que nous livrait cette actualité, il est toujours difficile de pouvoir distinguer le moindre brin d'une lutte qu'auraient à exercer les partis dits d'opposition. A l'exception cependant de quelques cas isolés, observés surtout chez des personnalités indépendantes. Aussi étaient-ils mis si vite à l'ombre, ne balbutiant que quelques signes sous forme de signal d'existence de temps à autres ou s'affichant sur les réseaux sociaux.

Parce qu'elle est frappée d'asthénie et bourrée de parasites, l'opposition discréditée est devenue dans ce cas inutile. Le sacrifice de temps, qui équivaut souvent à un recul tactique vaudrait mieux qu'une piètre démonstration vouée assurément à l'autodestruction. Pour la figuration, il n'est pas nécessaire d'ameuter le monde autour de soi. On vient de le constater, cette semaine juste après la convocation du corps électoral. Les habitués, les clients de la représentation se sont tous accourus aux retrait des imprimes de candidatures. Si quelques personnes, présomption d'innocence primant, sont dans leur strict droit de la faire, les autres, ces fantômes quinquennaux n'apparaissent que pour boucher les trous.

D'ailleurs peut-on actuellement parler d'opposition plurielle et multiple ? Alors que nous sommes en présence d'une seule et unique idée. L'appartenance au pouvoir. Quel que soit l'étiquetage ou le label de fabrication le rangement est le même et aux mêmes étalages. C'est d'ailleurs vrai que d'avoir honte à se cantonner encore dans la fibre faible d'une objection politique qui n'entreprend rien pour, au moindre effort assurer ne serait-ce que la survie de son personnel. A ne plus vouloir s'identifier dans cette honte qui perfore l'ultime ténacité encore rattachée à l'ombre d'une incertaine opposition, des unités, entités associées voire d'individus se sont jetés sans coup férir et jusqu'à mourir malheureux sur les remparts du pouvoir. Car, c'est simple ; le pouvoir s'aide aussi à remplir implicitement la mission de l'opposition interne. Encouragée de la sorte, elle ne cesse de se ravitailler par l'aigreur, le rejet et la marginalisation. En somme, elle se revivifie de tout ce que l'on nomme communément des ex-fonctions. Elle est somme toute pernicieuse. Comme la guérilla fausse la clarté d'une guerre, l'opposition interne déprave le jeu de la coalition. Croyez-vous que toute coalition ne sert généralement que l'intérêt de l'axe central des coalisés ? Chaque maillon qui la compose cherche le réconfort pour ses troupes. Lorgne la moindre place laissée vidée sur un banc de prérogatives de puissance publique. Premier ministre, leader d'un parti ou simple coordonnateur d'un brouhaha pris comme parti.

C'est la texture systémique de ce pouvoir qui a fait, pour les uns que le départ volontaire en retraite est une urgence, que le renoncement est un salut personnel, que l'oubli de la politique et la servitude au service du service public ne doivent être qu'un souvenir lointain d'une époque qui ne s'apprête que dans l'incertitude. Pour d'autres, c'est justement cette opportunité idoine que leur offre le système conçu ainsi sur l'exclusivité de vision, qui devait favoriser leur réintégration et leur recyclage. Il leur suffit d'approuver à l'appui de déclaration de subordination et avec beaucoup de calculs le fonctionnement du système, pour qu'ils puissent oser prétendre, croient-ils aux pourboires gratifiant de telles initiatives. Le hic, c'est que parfois, c'est l'effet inverse qui se produit. Le rien, l'indifférence ou le dommage collatéral.

En fait nous vivons une situation qui se caractérise par une perte de toute valeur et de toute auto-évaluation. N'importe qui peut devenir quelqu'un. C'est cette insouciance à l'égard des éléments de la promotion sociale qui a fait que tout le monde pense pouvoir être une sommité, un personnage public ou une entité politique. Il n'y qu'à voir les listes électorales. Du député à l'élu local, chacun prétend en être à la hauteur. Tout ça, n'est-il pas le produit d'un système ? Un leurre et un égalitarisme sans commune mesure.

Voilà que l'on voit venir, avides, le plus souvent insoucieuses plus de 61 personnes pour se porter « candidat » à la présidentielle d'avril prochain. Estimez-vous juste l'exercice de ce droit, à marquer son l'intention à cette candidature par n'importe qui ? J'y reviendrais.