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Les Algériens sont-ils fatalistes ?

par Kamal Guerroua

«C'est quoi une psychologie fataliste ?» Pour toute réponse, voilà celle d'un ami que j'ai croisé il y a quelques années à Alger : «c'est lorsque quelqu'un croit qu'en croisant les bras du matin au soir, les autres viendront en masse de partout pour lui construire sa maison, la rénover et la peindre à sa place !». «Et que fera-t-il à ce moment-là ?» lui dis-je, en rigolant, « il se contentera de gaspiller son temps dans le vide et de râler pour rien !». Peut-être est-ce trop « simpliste » comme définition répondraient sans doute certains, mais force est de constater que le fatalisme dépasse même ce stade-là en Algérie à la croyance qu'on ne peut rien y changer quoi qu'on fasse, terrible ! C'est là le nœud du problème dans un pays où les jeunes, pourtant majoritaires, préfèrent parfois le quitter au péril de leur vie sur des boat-people que d'essayer de le changer ! En théorie, sous d'autres cieux, quand un citoyen attend que l'Etat (Houkouma dans le langage populaire algérien) lui verse des aides pour vivre, ça s'appelle de « l'assistanat », mais quand celui-ci attend plus que ça, c'est-à-dire que l'Etat joue le rôle du père-tuteur éternel, qu'il manifeste et sort à sa place dans la rue pour revendiquer ses droits, ça dénote plutôt de l'illogisme, synonyme de démobilisation citoyenne. Or, ni vautré dans le confort des aides de sa « houkouma », ni assisté moralement par lui, ni attendant sa bénédiction, l'Algérien se retire par désespoir de son champ de vision, en se transformant en un non-être, « un cadavre social », si l'on ose dire. C'est pourquoi, en surnombre dans tous les domaines, nos fatalistes s'efforcent avec une incroyable énergie à propager ce sentiment de « l'inutilité de l'effort » dans une société rongée par la hogra, la médiocrité et la corruption. Pire qu'une maladie, le fatalisme devient un poison pour toute société en panne de carburant d'optimisme, d'autant que tous ceux qui en sont touchés en transmettent vite le virus aux autres. Et pour balayer leurs défauts, ils pointent d'un doigt accusateur l'autre, responsable de leur malheur, ou invoquent, phénomène islamiste aidant, « el koudra » ou « el-mektoub » et toutes les bondieuseries du monde pour se convaincre qu'ils ont raison. Le phénomène islamiste qui rampe à pas de géant dans notre société est non seulement caractéristique du repli sur soi, mais aussi d'un fatalisme inhibiteur de toute dynamique de changement. Le pathos victimaire de l'Algérien, résultante « logique » de son passé colonial et des décennies de dictature qu'il a subies, s'est transformé au fil du temps en une rhétorique antisociale et « anti-optimiste» nuisible, laquelle sous-tend le sauve-qui-peut général de notre jeunesse.

Un habitant de la Kabylie s'est inquiété récemment du nombre incroyable d'étudiants qui demandent des visas pour fuir le pays sans que cela ne soulève la moindre inquiétude des autorités. « Nos villages, se plaint-il anxieux, se vident de leurs jeunes et nos filles ne trouvent plus de maris, quelle calamité !» D'ailleurs, le vocable de »Al-harba t'selek» démontre que la société positive le négatif sur fond d'inertie et d'immobilisme. Cadavre sur un fauteuil roulant, la société se pose maintenant la question suivante : est-ce la société qui doit pousser l'individu au changement, ou est-ce le rôle exclusif de celui-ci de la changer ? « Hadj Moussa, Moussa Hadj », répliqueraient certains d'un ton ironique car, en profonde léthargie, et le citoyen et la société se laissent facilement engloutir par le fatalisme, dommage !