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Pétrole, Riyad joue les durs

par Akram Belkaïd, Paris

Est-ce l’affaire Khashoggi et les tensions qu’elle provoque avec les Etats-Unis ou est-ce la volonté de ne pas perdre des ressources financières indispensables aux réformes et au lancement de ses nouveaux projets ? Toujours est-il que l’Arabie saoudite vient d’adopter un discours assez ferme quant à la nécessité de baisser la production d’or noir afin de doper les prix. En effet, le prix du baril de brut est passé sous la barre des 70 dollars et a enregistré de 20 à 25% de repli au cours des derniers mois.
 
Iran, Chine et stocks
 
Khaled El-Faleh, le ministre saoudien de l’Energie, a d’ores et déjà averti que son pays va réduire ses pompages de 500.000 barils quotidiens. Pour mémoire, le Royaume produit 10,52 millions de barils par jour (mbj), soit l’équivalent du dixième de la consommation mondiale. Riyad veut aussi que les autres producteurs, qu’ils soient membres ou non de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), fassent un geste afin que la baisse globale soit d’au moins 1 mbj. Il existe actuellement un consensus au sein de l’Opep pour qu’une telle ponction soit entérinée. D’autres pays n’appartenant pas au Cartel, comme la Russie, y sont aussi favorables. En tout état de cause, une telle décision pourrait être prise le 5 décembre prochain lors d’un sommet formel réunissant les producteurs.
 
Quelles sont les motivations saoudiennes ? Il y a bien sûr les prix. Traditionnellement, un baril qui passe sous la barre des 70 dollars est une mauvaise nouvelle pour l’évolution des cours. C’est ce qu’affirment en tous les cas les spécialistes de l’analyse chartiste qui discernent les tendances grâce à une étude fine des courbes d’évolution des cours. Les Saoudiens sont aussi convaincus que le marché a digéré les sanctions américaines à l’encontre de l’Iran. Des sanctions avec leurs exceptions, ce qui fait que le robinet iranien n’a pas totalement été coupé alors que d’autres producteurs se sont engagés à suppléer l’offre iranienne. Autrement dit, les rétorsions « incomplètes » des Etats-Unis ont aussi poussé le baril vers la baisse car il y a plus de pétrole que prévu en offre.
 
A cela s’ajoute le fait que les stocks d’hydrocarbures sont très élevés en Occident tandis que la Chine réduit ses achats de brut du fait d’un (léger) tassement de son économie. Tout cela plaide donc pour une baisse de l’offre. C’est le schéma classique que l’on connaît : trop de pétrole sur le marché, des stocks élevés chez les clients, une Chine qui toussote et l’Opep, forte de son tiers de production mondiale, envisage de fermer les vannes. Les pays consommateurs le savent. Ils protesteront pour la forme mais ne peuvent ignorer que les producteurs veulent un baril à 80 dollars.
 
Arme politique
 
La nouveauté dans l’affaire, c’est que l’Arabie saoudite s’est toujours gardée d’agiter explicitement l’arme du pétrole pour régler ses problèmes politiques. C’est peu dire que le prince héritier, Mohammed Ben Salman, n’apprécie pas que les Etats-Unis lui fassent la leçon à propos de l’affaire Khashoggi et qu’ils l’incitent à mettre un terme à la guerre au Yémen. Il faut donc suivre cette affaire de près. La mauvaise humeur saoudienne heurte directement les demandes (exigences ?) du président Donald Trump qui tient à un pétrole bon marché pour son économie et le réservoir de ses électeurs. On ne parle pas encore de crise entre Washington et Riyad mais rien n’est à exclure.