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Les risques majeurs

par El Yazid Dib

Encore l'illusion dans un événement. Les caprices de la nature, ses retournements, ses passions et ses débordements font maintenant des haltes dans des symposiums dits de haut niveau. Pourtant la météo n'est pas destinée à des bureaux situés dans l'altitude des cerveaux. Elle est là, chez le cantonnier que l'on devait former par le comment faire le curage, l'élagage et autres tâches de désencombrement de l'hygiène urbaine. Les technologies nouvelles de l'administration des cités ne doivent pas rester dans des data-shows à présenter en cercle fermé pour en tirer une autosatisfaction, croyant de la sorte avoir déjà en main la maîtrise des catastrophes. Tiens, mais ou est donc passée la phase pratique de cette intelligence que l'on voudrait copier pour la faire coller dans le cœur de la ville ? Demain nous passerons à la ville écolométrique, après la commune électronique, le guichet informatique, les documents biométriques et la démocratie spécifique. Voyez-vous, les mots emphatiques et les slogans déclamatoires sont si simples que l'on oublie vite l'acte matériel et son taux de réalisation. On ira peut-être crescendo dans la capacité de placer un robinet d'arrêt dans le ciel, un autre dans le rivage et un goulot d'étranglement dans tout lit d'oued. Le tout, nous dira-t-on un jour, sera dirigé distantiellement. D'un clic on l'ouvre, d'un autre clic on le ferme. A l'humeur du chef. Ce n'est plus « le jour qui a peur du soleil », mais le wali qui a peur de la pluie.

Le climat a dépassé sa définition de phénomène naturel pour s'ériger en un épouvantail effrayant chez les gouverneurs. Il leur fait peur, en faisant grossir la crainte et la boule au ventre. Alors l'on se concerte de surcroît à l'orée d'un hiver déjà entamé pour circonscrire tous ses périls majeurs.

A vrai dire, tous les risques dits majeurs ne sont pas dans les inondations ou dans les veines des caniveaux qui ne peuvent plus les absorber. Ils sont tout aussi loin d'être majeurs dans les échelles sismiques ou dans les affaissements de terrain. C'est dire que ça ne sert à rien d'agrandir le diamètre des buses destinées à avaler les torrents pluviaux alors qu'il suffit de faire apprendre ce petit geste de ne rien jeter au hasard et de faire tout en bonne et due forme. En étude et en prévision. Il suffit aussi de faire savoir aux déposants de déchets solides, aux acquéreurs de nouveaux logements à refaire, aux marchands, passants, épiciers, manufacturiers, promoteurs, enfin à la société citoyenne que n'importe quelle circonférence d'égout ne peut admettre une carcasse de cuisinière, un vieux matelas ou des tonnes de bouteilles et bidons plastiques. Cette mission est plus difficile que de faire une sécurisation de périmètre de zone inondable ou de détournement de l'aval ou de l'amont d'un flux naturel. Cette mission qui n'est nullement l'exclusivité du ministère de l'Intérieur et personne n'a le droit de s'en attribuer les supériorités, est aussi celle des médias, de l'école, de la mosquée et de la famille.

C'est à la délégation créée à ce propos donc qu'échoit la responsabilité non pas de gérer intuitu-personae mais de mobiliser, sensibiliser, superviser, piloter tous les acteurs et facteurs induits dans le circuit des risques majeurs. Rien n'empêche d'instituer des piquets d'alerte et de surveillance, des modules réducteurs de vulnérabilité à mettre en œuvre là où la catastrophe ou le désastre présente des menaces de survenance. La commune. La nature a horreur du bricolage. Elle n'aime pas le précaire ou le ravalement du parterre. Malléable et flexible, elle s'apprivoise doucereusement et avec ses propres moyens. Avec une connaissance parfaite des événements fâcheux qu'elle ne cache pas et qui sont susceptibles de se produire ; la nature montre clairement ses aléas. Provoquée, elle se défend comme un animal et s'en fout éperdument des réunions du ministre ou des walis pour décrocher sinistrement ses droits au sol.

Alors, il faut bien prendre soi-même le risque d'être un responsable entier, de dire non à un permis de construire contre nature, de ne pas se complaire dans un marché impudique, d'apprécier la bruine et d'accepter la critique. Et ce sont ceux-ci les gros risques majeurs qu'il faudrait savoir prendre.