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Akli Tadjer, un écrivain franco-algérien, interdit de séjour... dans un lycée

par Sid Lakhdar Boumédiene*

Par son œuvre, un écrivain a normalement sa place dans la rubrique culture, favorablement ou non accueillie par une critique impartiale. Mais ce malheureux écrivain se retrouve, malgré lui, à la une des journaux pour un fait des plus détestables et surprenants, la fronde d'une classe d'un lycée de la Somme qui refuse la venue d'un auteur....algérien.

Tout démarre lorsque cet écrivain publie récemment sur sa page Facebook la lettre de l'enseignante qui lui fait part du refus des élèves de l'accueillir suivi de propos racistes à son égard, particulièrement d'un petit groupe d'entre eux. Cette affaire est déplorable et, je le crois, assez inédite. L'enseignant que je suis, juriste de formation, prendra une rigoureuse précaution préliminaire dans cet article. Le directeur des services académiques lui-même a publié un communiqué précisant que, bien que la situation soit intolérable, il ne s'agirait à priori que d'un petit nombre et que les élèves en question seront interrogés à leur retour des vacances de la Toussaint puisqu'ils sont actuellement en voyage scolaire.

Cette précaution d'usage ayant été prise, il est tout à fait choquant de constater une attitude aussi inadmissible, d'ailleurs passible de poursuites pénales pour au moins un élève qui semblerait avoir été au-delà de la limite en prononçant des propos condamnables par la loi. Pour un démocrate, amoureux des livres, de surcroît enseignant depuis trente cinq ans en France, cette histoire me dévaste car rien ne saurait justifier une telle attitude dans un lycée de la république, classique ou professionnel.

Bien entendu qu'il peut y avoir une réticence à rencontrer tel ou tel écrivain de la part d'un groupe d'élèves. C'est même un signe de maturité et de prise de conscience que d'avoir des goûts et des attirances littéraires. Cette liberté de penser est tout à fait à placer aux côtés du choix pédagogique libre de l'enseignant, à moins d'en avoir une prescription par les programmes officiels.

D'autre part, la saine confrontation entre l'offre du professeur et la réception par les élèves est acceptable mais sans jamais remettre la base du système scolaire qui, tout de même, place l'enseignant dans une situation de prendre des décisions que les élèves ne peuvent remettre en cause. Il peut vérifier la bonne adhésion de ses élèves mais ne peut en aucun cas être l'otage de leur choix, aussi légitimes soient-ils.

Et dans ce cas précis de l'affaire du lycée de la Somme, le refus des élèves ne porte pas sur leur préférence ou leur non adhésion aux écrits de l'auteur mais sur son origine de naissance, ce qui est purement intolérable et ne peut en aucun cas trouver justification.

Dans son message à l'écrivain, l'enseignante lui confie « J'aurais aimé qu'ils aient votre niveau d'écriture ». Akli Tadjer est en effet non seulement un enseignant francophone parfait mais n'en est pas à son premier roman puisqu'il en a publié une dizaine selon les informations que j'ai pu recueillir dans la presse.

L'un d'entre eux, « Le porteur de cartable », celui justement qui lui a valu l'invitation, fut rédigé en 2002 aux prestigieuses Éditions Lattes. Le sujet est en droite ligne de ceux dont l'éducation nationale a la mission de promouvoir. Le roman raconte l'histoire d'une rencontre de deux enfants au lendemain de 1962, à Paris. L'un, Raphaël, est pied-noir. L'autre est Omar, fils d'un immigré de longue date qui n'a vraiment pas connu l'Algérie mais qui est un soutien au FLN.

Au delà du sujet, parfaitement en phase avec la construction de l'esprit critique des lycées, il semble que l'écriture de Akli Tadjer soit d'une qualité qui lui vaut sa place dans un enseignement de lettres.

Akli Tadjer est d'ailleurs lauréat du prix « Baie des Anges 2016 », ce qui lui a valu un vibrant hommage du maire de Nice, Christian Estrosi, qui exprime son plus grand désarroi face à un tel comportement des lycéens.

Nous pourrions rajouter aux faits deux points d'analyse. Le premier est de concevoir la légitimité d'un débat sur la qualité d'un auteur, reposant sur des critères qui sont naturellement subjectifs et donc susceptibles de susciter des ressentis différents, voire radicalement opposés. On peut également, sans que cela me choque, préférer attribuer la priorité aux oeuvres classiques du catalogue patrimonial francophone.

Ce sont des attitudes tout à fait habituelles du débat dans l'éducation nationale et les exprimer ne constitue donc pas une faute en soi, à condition de respecter le droit du professeur d'imposer un choix, nous l'avons déjà dit. Amoureux de la lecture et des livres, sans être professeur en lettres (ils n'en ont surtout pas l'exclusivité), j'ai toujours été triste, depuis mon arrivée en France, que les œuvres classiques perdent du terrain dans l'apprentissage des élèves et des étudiants.

Mais, d'une part, les œuvres plus contemporaines, voire même surprenantes comme les textes de chansons, ont toujours été présentes dans les classes de lycée. Les anciennes générations furent surprises lorsqu'en 1968 (s'il faut prendre une date caricaturale sans grande signification), des textes de Brel, d'auteurs policiers ou écrivains contemporains, rentrèrent dans les classes, voire jusqu'aux sujets de Brevet ou de Baccalauréat. C'est très vite oublier que bien des incursions du contemporain furent présents dans les décennies passées et que, par définition, un classique de la littérature fut forcément une œuvre contemporaine à son époque.

Mais arrêtons là les justifications car l'attitude de certains élèves de ce lycée est tout simplement inadmissible sans qu'il soit nécessaire de justifier la faute et sa lourdeur, tant elle est évidente. Alors, je me suis promis de faire quelque chose qui, normalement, ne devrait pas se passer de cette manière. Les amoureux des livres doivent toujours être animés par un choix volontaire, le hasard ou l'appel d'une offre qui attise leur envie et leur curiosité de lire. Je vais déroger à cette règle et rendre hommage, à ma façon et très modestement, à Akli Tadjer en allant aujourd'hui même me procurer son livre et le lire. J'en ferai certainement un compte rendu dans une place qui est la sienne, la rubrique culture d'un quotidien, et dont il n'a rien demandé pour en sortir.

La condition est que je lise ce livre avec la plus grande des indépendances intellectuelles et laisser mon sentiment libre de l'opinion finale, sans interférence de l'objectif de lui rendre hommage. J'ai hâte de le lire car un écrivain, même s'il ne s'avère pas être dans la fibre des ressentis littéraires personnels, reste un homme de culture admirable.

Quel que soit mon verdict, il est une chose que je m'interdirais, soit d'exprimer la fierté de savoir que des citoyens qui ont la même origine culturelle que moi sont dans un rapport à l'humanité des plus honorables, l'écriture. Cela ne m'empêchera donc pas d'être un critique impartial du roman en question.

Pour le moment, il a ma solidarité, à travers ma révulsion de ce qui s'est passé. Hélas, je ne suis pas un professeur de lettres et je n'ai pas de raison de l'inviter dans mes cours. Il est vrai que j'aurais eu une plus grande facilité car mes étudiants sont en cycle supérieur et, surtout, en études d'arts appliqués. La culture sans frontières que représente l'art, c'est leur quotidien lorsqu'ils abordent les œuvres.

Et ne l'oublions jamais, car le développement de cet article pourrait l'occulter, Akli Tadjer est également et pleinement un auteur Français. Cela n'a pas d'importance véritable mais face aux arguments des imbéciles, il est nécessaire de le rappeler.

*Enseignant