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Ford, ou la puissance des FTN

par Akram Belkaïd, Paris

C’est une affaire comme il en arrive souvent depuis plusieurs décennies. Le constructeur automobile Ford a décidé de fermer une usine située à Blanquefort dans le département français de la Gironde. La firme a aussi, et surtout, refusé de prendre en considération la proposition de reprise du site par l’équipementier belge Punch. En clair, Ford veut la fermeture définitive de l’usine et n’accepte pas qu’elle puisse être utilisée par une autre entreprise. Ce genre de situation est très fréquent. De nombreuses sociétés qui arrêtent une activité rechignent à ce qu’elle soit reprise par d’éventuels concurrents.

La dérégulation et ses conséquences

Les autorités françaises ont fait connaître leur courroux. Qu’il s’agisse de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, ou d’Alain Juppé, maire de Bordeaux, le discours dénonce la décision de Ford et promet que tout sera mis en œuvre pour que l’offre du repreneur soit prise en compte. Ce sont 850 emplois directs qui sont en jeu et l’on comprend la position des dirigeants français à l’égard du constructeur américain. Mais, au-delà des paroles, on se demande ce qu’ils peuvent faire de concret pour empêcher une fermeture définitive.

De fait, l’unique solution serait de nationaliser le site. Une option que le gouvernement libéral d’Emmanuel Macron est peu susceptible d’adopter. Pour dire les choses crûment, l’État français est impuissant face à Ford. C’est là le résultat de décennies de dérégulation et d’abrogations de lois qui auraient pu empêcher le constructeur de se retirer ainsi ou, du moins, qui auraient pu lui imposer d’importantes pénalités. Ce cas illustre l’évolution de la mondialisation et la toute-puissance des «FTN», les fameuses firmes transnationales, dénomination désormais répandue pour désigner les multinationales.

Au fil du temps, pour «attirer l’investissement direct étranger», les États, qu’ils soient du Sud ou du Nord, n’ont eu de cesse de se désarmer. Incitations fiscales, garanties de non-nationalisation, création de zones franches avec des prélèvements sociaux et des salaires limités. Voilà autant de cadeaux qui ont été faits à ces entreprises pour qu’elles s’installent dans tel ou tel site. Avec cela, les États ont aussi été généreux en matière de subventions et d’aides à l’installation quand ils n’ont pas restreint l’activité syndicale. Mais les FTN ne font pas de sentiments. Quand un site devient coûteux, ce qui ne veut pas dire qu’il ne gagne pas d’argent mais juste qu’il n’en gagne pas assez pour contenter les actionnaires, elles le ferment et s’en vont voir ailleurs. De délocalisations en délocalisations, la carte mondiale des installations industrielles ne cesse de se modifier avec les dégâts sociaux que cela induit.

L’arbitrage comme preuve de la faiblesse des États

Et les FTN ont souvent un autre atout. De nombreux États ont accepté que la justice de leur pays ne soit pas l’arbitre de dernier recours en cas de litige. Ainsi, les multinationales obtiennent souvent que des cours de pays étrangers soient désignées comme juridictions compétentes. D’autres concluent des accords où c’est l’arbitrage international qui est retenu. Autrement dit, les FTN comme Ford sont dans une position d’égal à égal avec les États et les gouvernements qui ont trop souvent tendance à leur manger dans la main. C’est cette réalité aussi qui explique la montée du sentiment protectionniste et des populismes.