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Aïn-Fouara : foutez-moi la paix !

par El Yazid Dib

Rien de grave cette fois-ci. Pas de coups martelés ni burinés. Juste un effroi qui s'installait sur son piédestal et qu'un autre «démentalisé», dit-on, allait encore lui faire mal. Que dire ? Ça y est, c'est bon, son compte est fait. Avec le temps et le réchauffement neuronique instauré dans certaines têtes à cervelle inféconde, elle ne restera pas longtemps là où elle est depuis sa naissance. Statue de marbre, «Aïn-Fouara» est une femme nue aux formes délicates et harmonieuses. Pas plus. Elle ne parle pas, elle ne voit pas. Elle est insensible aux délires et aux fantasmes que l'on oserait lui appliquer. L'on s'en fout si elle a été sculptée par l'artiste français, Francis de Saint Vidal le 26 février 1898. L'on s'en fout si le maire de la ville, M. Aubrey en ce temps-là, eut à recevoir une lettre du directeur des beaux-arts lui annonçant : «(...) M. de Saint-Vidal pense avoir terminé son œuvre pour le prochain Salon où il désirerait qu'elle figurât ; elle serait dès la clôture du Salon expédiée à Sétif». Tout ça, qu'on le veuille ou non, fait partie de l'histoire de la cité. Ainsi, l'on croit pouvoir refaire la trame historique en la faisant disparaître.

Elle a résisté non seulement contre l'usure des ans, mais cette usure des tenants d'une certaine croyance mal placée, l'a eue finalement. Elle parle maintenant à force d'avoir été violée, battue et vous dit, nous dit à tous : Je ne supporte plus le regard de certains. Ni les burins de vos artistes ou de vos méchants. Cachez-les-moi ou cachez-moi d'eux ! Mes yeux ne font plus rejaillir ma joie d'antan. Crevés, las, ils ne défient plus le temps. N'étais-je pas votre vierge depuis plus de cent ans ? Vos viols sont multiples comparés à ceux des temps. N'étais-je pas une indifférence, une simple roche ? Désaltérant vos gosiers et vos bouches. Pourquoi fait-on de moi, qui une foi, qui un blasphème, qui un système ? Je ne supporte plus vos regards. Vos ministres et leurs égards ! Enterrez-moi telle que je suis sans fard. Laissez-moi faire une banale histoire. D'une ex-petite ville livrée au hasard. Allez ! Rompez vos regards ! Foutez-moi le camp !

Les plus férus pour son maintien ont baissé les bras dans ce bras de fer entre art et folie. Les plus fans pour sa disparition se cachent et susurrent l'acte aux fous, aux frustrés et à ceux qui sont en manque d'un sein maternel ou d'un beau sourire conjugal. Pourtant à Sétif, il y a un maire, des élus, des sénateurs, des députés, des imams, des universitaires. Qu'ils sortent de leur silence et crient en un face-à-face, qui leur désarroi, qui leur acquiescement. Qu'ils se positionnent pour ou contre. Aïn-Fouara est devenue un acte de résistance, une position de courage. Elle les nargue quand elle dérange tous les autres. Le mien, c'est de la privilégier d'un permis de démolir, la pulvériser en millions de morceaux, atomiser ce qu'il en subsistera. Il se peut qu'ainsi ces esprits enténébrés, ténébreux et lugubres fassent leurs joutes orgiaques et extatiques. Et puis, on aura beau édifier en lieu et place n'importe quoi, une chinoiserie, une grosse bougie, un gros palmier, la postérité dira toujours que c'est là, ici que repose la dame aux deux amphores. Car je sais, Wallah, qu'un jour elle disparaîtra. Un ami me dit qu'Aïn-Fouara est comme Bouhadja, elle subit un agenda politique.