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«Bashing Algérien»

par M'hammedi Bouzina Med

Se moquer de la vie sociale et politique de son pays et critiquer ses gouvernants n'est pas un acte antipatriotique ou de la subversion politique. C'est souvent la manifestation d'un profond amour passionnel et contrarié.

Qui aime bien, châtie bien» dit l'adage populaire. Les Algériens sont souvent impitoyables par le verbe envers leur pays, leurs semblables, leurs responsables politiques, administratifs, enfin envers eux-mêmes. Le «Bashing - Algérien» ou campagne permanente de dénigrement de leur pays est perçu par les responsables politiques, leurs affidés et les nantis du système comme une démission patriotique, une trahison.

Puis, soudain, voilà un prétendu «maréchal» libyen proférant la menace de «porter la guerre en - ou contre - l'Algérie» pour que le peuple si amer envers son pays voue ce prétendu maréchal aux gémonies, le défie d'allier la parole à l'acte avant de le tourner au ridicule et l'oublier aussitôt. La colère contre chez soi n'est-elle que l'expression d'un amour intense, passionnel mais contrarié?         

Les blagues, contes et légendes, insolences discursives et critiques de tout et rien sont si invasives dans notre quotidien dans les cafés, réseaux sociaux , presse, romans... que le pouvoir lorsqu'il ne les sanctionne pas les déclare antinational , antipatriotiques, illégitimes et subversives. C'est dans la nature du pouvoir de vouloir rester « le pouvoir» éternellement.

Et c'est dans la nature des peuples d'aspirer à le changer, le révoquer lorsqu'ils le jugent incompétent, partial, injuste et plus grave, répressif. Or, chez nous il y a comme un énorme malentendu: le pouvoir et ses courtisans croient dur que « ce» peuple est ingrat, inconscient des dangers qui menacent le pays, fainéant même et rebelle par nature et par son Histoire.

Pour tout dire, un «Ghachi» comme l'ont déclaré bien de responsables politiques y compris de l'opposition. « Je me suis trompé de peuple» a dit un responsable politique ayant raté une élection. « C'est pas un peuple, c'est un Ghachi» a déclaré un autre perdant de la même élection. Diantre! pouvoir et opposition en déconfiture provoquent « ce» peuple qui le leur rend bien en s'inventant un pays virtuel submergé de malheurs et de misères: un «Bashing- Algérie». La question est: qui est la cause de cette atmosphère de dénigrement, de ce dépit et cette «haine de soi» ? Il y a un malentendu: le peuple algérien vit et réagi comme tout autre peuple par un instinct d'autodéfense en ridiculisant, à juste titre, la gestion du pays et les pratiques politiques dévoyées, honteuses et sans gêne. Une sorte de défouloir, de thérapie de groupe face aux absurdités et inanités qui le submergent dans sa vie quotidienne.

Lorsque un pouvoir via son gouvernement pousse le ridicule jusqu'à décider des règles et logiques de l'imagination et de la fiction d'artistes et de cinéastes il ne faut pas s'étonner que le peuple dépasse ces barrières et use d'une autre forme de fiction et d'imagination pour fantasmer sur un «pays des miracles». Car, qu'on le veuille ou non, un film y compris consacré à la lutte de libération ou ses héros reste et demeure un film, c'est à dire un œuvre artistique, jamais une réalité. Tout film est sujet au débat, prétexte au débat. Les ministères des moudjahidine et de la culture auraient été bien inspirés de laisser et même de promouvoir le film de Bachir Derrais et le diffuser pour qu'il suscite de débat contradictoire, témoignages etc.

En censurant ( il n'y a pas d'autre mot pour qualifier le blocage du film) les deux ministères alimentent la diatribe non seulement sur ce film, mais sur les multiples interrogations sur l'intimité de la guerre de libération . Ils alimentent le doute qu'ils veulent éviter. Et c'est pareil pour l'autre film-documentaire interdit de projection au festival du cinéma de Bejaïa « Fragments de rêves» de Bahia Bencheïkh sous des prétextes absurdes et allant jusqu'à déclarer que « ce n'est pas une censure». Ainsi interdire de projection un documentaire n'est pas une censure mais un interdit.

C'est différent parait-il et pas aussi répressif que la censure. Par contre interdire une marche pacifique d'opposants politiques ou un rassemblement de médecins, fonctionnaires ou retraités est un...interdit, ferme, vrai et indiscutable. Comment interpréter les interdits des marches pacifiques? La censure ( ou l'interdit) des films, livres ?

Pour le bien du peuple et le pays parait-il. Le plus dramatique est que les gouvernants de ce pays ne se rendent pas compte qu'en multipliant les interdits, en réprimant les marches pacifiques, en censurant à tout va, ils ne suppriment pas les causes de ses manifestations mais les gonflent, les alimentent et les multiplient. En quoi une marche pacifique d'opposants politiques, un rassemblement de médecins ou un film peuvent-ils menacer la sécurité du pays et son avenir? Interdit sur l'espace public, le bon peuple utilise plus d'une «ruse» pour se faire entendre. Comme dans les stades de football, sur les réseaux sociaux ou tout simplement en scandant partout l'Algérie « terre de miracles» pour dire aux gouvernants le surréalisme qui habille leur quotidien et la fiction qui chante leur avenir.

Le peuple s'amuse et amuse ses gouvernants et leur pouvoir comme, jadis, le «fou amusait les rois» pour les divertir. Sauf qu'à ce jeu entre le pouvoir , les gouvernants et le peuple, le fou n'est pas celui que l'on croit. Le «Bashing algérien» n'est rien d'autre que l'envie de dire sa profonde tristesse devant les discours infantilisants et parfois irresponsables ( confer la crise du choléra) de leurs gouvernants.

C'est aussi un appel au secours face aux vicissitudes de la vie et à la surdité et l'aveuglement des gouvernants. Car au fond et lorsqu'il s'agit de vrais périls sur la nation, point de dénigrement de soi mais une soudaine conscience et considération de soi et de son destin dans cette terre d'Algérie qui devient, pour le coup, une terre des miracles. Les siens, ceux de ce peuple si fier et qui se rit de lui même.