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Ubuesque

par Mahdi Boukhalfa

Tous ceux qui avaient salivé après les déclarations irresponsables contre l'Algérie de l'homme fort en Cyrénaïque dans l'Est libyen, le maréchal Khalifa Haftar, s'attendant à une crise ouverte entre l'Algérie et une des forces militaires en Libye, ont déchanté. Cet épisode malheureux, fugace et insignifiant dans les relations entre les deux pays, c'est-à-dire un non-événement diplomatique et un «bluff» ubuesque, n'a pas provoqué de réactions à Alger.

Officiellement, l'incident n'a jamais existé et s'il aurait eu lieu, Alger n'en aurait pas parlé, en tout cas. Mais, les propos inconsidérés de Haftar, un ancien officier libyen devenu opposant après avoir été retourné par la CIA à N'Djamena dans les années 1990, ont fatalement fait bouger quelques partis politiques qui ont appelé les autorités à réagir à cette attaque frontale, alors que sur le plan discret qu'affectionne particulièrement la diplomatie algérienne, l'incident d'une «incursion» de forces militaires algériennes en territoire libyen, selon le maréchal Haftar, est «derrière nous» et clos. D'autant que les propos belliqueux de ce dernier ont également et en Libye même provoqué une gêne et une réaction rapide de l'autre camp, celui du gouvernement de Fayez Esseraj, reconnu par la communauté internationale, qui a tenté de dédramatiser la situation après un entretien entre son ministre des Affaires étrangères et le chef de la diplomatie algérienne, Abdelkader Messahel. Le ministre libyen a même qualifié les propos de Haftar d»'irresponsables», avant de réaffirmer que les autorités libyennes sont attachées au renforcement des relations avec l'Algérie.

Officiellement donc, la crise est derrière nous. Mais, l'amplitude des propos du maréchal Haftar, avec une grande désinvolture, a provoqué une certaine colère et une levée de boucliers au sein de l'opposition interne qui estime que les déclarations du chef militaire libyen sont «une insulte» pour le pays, alors que d'autres milieux politiques régionaux ont vite fait d'y voir le début d'une crise entre Alger et l'un des protagonistes majeurs dans le conflit libyen. Mais, pour les autorités algériennes, qui maintiennent cependant inexplicablement le black-out sur ce qu'il s'est vraiment passé pour provoquer l'ire, diplomatique ou réelle, de Haftar, rien ne s'est passé et l'incident ne mérite pas qu'on s'y attarde. D'autant plus que la tension a vite baissé avec le silence diplomatique d'Alger.

Dans ces conditions, beaucoup imputent plutôt la réaction de Haftar, qui se voit déjà comme le futur chef d'Etat en Libye, plus comme une volonté de gagner le soutien des chefs de tribus et des clans influents de la Cyrénaïque qu'une quelconque velléité guerrière d'un homme qui veut se placer en rassembleur des Libyens en prévision des prochaines échéances électorales, dont l'élection présidentielle, que doit superviser l'ONU. L'Algérie n'est pas tombée du reste dans ce scénario, ne donnant aucune importance politique ou médiatique à une surenchère guerrière de l'homme fort de l'Est libyen où se concentrent les principaux terminaux pétroliers.