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Les politiques, contrairement aux experts, ont eu trop de gain de parole !

par Cherif Ali

Plusieurs observateurs l'ont relevé ; à quelques mois des élections présidentielles, aucun engouement n'est perceptible au sein de l'opinion, et l'intrusion de la crise n'explique pas tout !

En principe, a tenu à le rappeler l'un d'eux, l'élection est ce moment privilégié des bilans, des offres publiques et de renouvellement de la représentation de la classe publique ; elle devrait, à ce titre, susciter de l'intérêt et à forte raison, en situation de grandes difficultés, comme c'est le cas du pays.

Malheureusement, les querelles ont pris le dessus sur les questions de fond ; elles brouillent les quelques tentatives d'amorcer des débats sérieux à même de secouer cette précampagne électorale sans teint. Les électeurs apprécieront, eux qui espéraient que, cette fois-ci, les élections allaient se transformer en «espaces de dialogue sérieux sur les grandes questions de la nation et les dossiers prioritaires, plutôt que des moments de surenchère, de manœuvre et de désinformation».

Ceci étant dit, la crise pétrolière a ceci de particulier, c'est qu'elle a mis à nu la superstructure politique de l'Algérie qui est, complètement, gangrenée. A l'approche des élections, c'est le règne de la mangeoire: tous s'y précipitent, les partis islamistes en tête !

La majorité présidentielle composée par le FLN, le RND, TADJ et le MPA, quant à elle, a mis en place une stratégie à adopter à l'occasion des élections présidentielles: soutenir une virtuelle candidature de l'actuel président de la République pour un 5e mandat. Un deal qui, certainement, profitera largement au FLN, puis au RND, mais, aussi, à ceux nombreux qui viendraient à les rejoindre, à en croire Ahmed Ouyahia !

Aujourd'hui, on ne le répétera jamais assez, ceux d'en haut, faute de ne pas avoir trouvé des solutions au pays, notamment économiques, sont disqualifiés. Ils se sont mis eux-mêmes hors jeu ! Pour le vérifier, il faut aller voir du côté des réseaux sociaux, Facebook, notamment, qui est en passe de devenir le plus grand média du pays ! Ceux d'en haut qui pensent qu'ils peuvent conserver leur puissance et surtout leur avidité insatiable et leur voracité destructrice ont, désormais, du souci à se faire. Les peuples reprennent conscience, c'est un mouvement mondial qui a pris naissance aux Etats-Unis avec l'élection de Donald Trump et qui s'est poursuivi en France, à l'occasion des élections présidentielles, où les électeurs ont décidé d'administrer une leçon aux «sachants» du pouvoir:

1- ils ont déjoué tous leurs pronostics !

2- le tout politico-médiatique s'est trompé !

Mais force aussi est d'admettre, qu'à ce jour, seuls les décideurs politiques ont eu trop de gain de parole ; on oublie qu'il y a d'autres énergies que l'on n'a pas assez écoutées, à l'image des producteurs de richesses et de savoir.

De par le monde, pourtant, c'est la règle: les économistes sont appelés, et aussi payés, pour faire des analyses, et les gouvernants, notamment les exécutifs, se chargent de l'habillage politique des mesures qui sont préconisées par ces détenteurs de savoir, nonobstant leur idéologie, car il n'y a pas d'économie de gauche ou de droite, de la majorité au pouvoir ou de l'opposition ; la stratégie économique ne peut être que bonne ou mauvaise !

Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, sera obligé de changer de braquet, après avoir pris tout de même toutes les mesures pour atténuer les tensions budgétaires subies par le pays. Il a admis que la crise est sérieuse et que la baisse du pétrole s'inscrit dans la durée. Le langage de vérité, se sont dit certains.

A priori, cela ne suffit pas ! Il est contraint de regarder aussi du côté des experts et des universitaires, et pourquoi pas à travers une «veille stratégique» qui servirait à étudier toutes les contributions qui se publient, spontanément, dans la presse nationale.

Toutes les contributions ? Peut-être pas car beaucoup parmi les gens du savoir font plus dans la rhétorique et la sémantique que dans l'analyse objective, sereine et sans complaisance du tableau de bord de l'économie du pays et de ses perspectives.

En effet, presque toutes leurs expertises se rejoignent, en ce sens qu'elles gravitent essentiellement autour de la révision des subventions et des transferts sociaux, de sorte qu'ils soient ciblés pour profiter aux catégories les plus démunies, la révision de la règle du 51/49 pour favoriser les investissements étrangers, la consécration effective de la liberté d'entreprendre, en supprimant notamment l'autorisation préalable du CNI pour tout projet supérieur à 15 milliards de dinars, la débureaucratisassion, la révision de la fiscalité, la libération des prix, l'arrêt du processus d'adhésion à l'OMC, la sortie de la Zale et l'abolition de l'Accord d'association avec l'Union européenne.

En l'état, Ahmed Ouyahia va-t-il faire cause commune avec toutes ces thèses libérales et les potions amères de leurs auteurs, ou s'en tenir à sa politique de «financement non conventionnel» ?

Est-il capable, également, d'affronter le peuple, dialoguer avec lui, le consulter en recourant, par exemple, au référendum pour cette histoire de gaz de schiste qui a failli diviser l'Algérie en deux ?

D'admettre aussi l'idée qu'il n'y a pas dans le pays:

- D'un côté, un peuple paisible, qui va aux urnes, qui applaudit car content de son sort, semble-t-il.

- Et de l'autre, un peuple frondeur, abstentionniste, qui rejette tout en bloc au motif qu'il déteste les élites qui ne lui accordent pas toute la considération voulue.

En ces temps de crise, le gouvernement ne pense qu'à réduire les dépenses de l'importation: de combien de temps dispose-t-il pour, raisonnablement, «rationner» celles-ci, sans détruire en même temps des activités économiques connectées au commerce extérieur et, partant, mettre en difficulté les quelques PMI/PME qui contribuent à la croissance, malgré toutes les vicissitudes ?

En attendant, d'autres idées et autant de pistes de sortie de crise émergent çà et là, et commencent à susciter quelque intérêt:

1. La nécessité, par exemple, d'installer, partout, «l'intelligence économique», ce mode de gouvernance universel fondé sur la maîtrise et l'exploitation de l'information stratégique pour créer de la valeur durable.

2. D'aller au «tout Maghreb», par opposition au «non Maghreb» ! La somme de 100 milliards de dollars supplémentaires par an a été par exemple énoncée ! Elle correspondrait à des bénéfices qu'auraient pu engranger les économies du Maghreb, si leurs pays cessaient de se regarder en chiens de faïence et décidaient, enfin, de coopérer !

L'UMA, hélas, s'est révélée incapable de s'affirmer comme ensemble régional. Pas plus politique qu'économique !

Aujourd'hui et faut-il le dire, la défiance frappe la classe politique dans toute sa composante mais aussi l'administration publique, les journalistes, bref toute l'élite intellectuelle. Et aussi, les patrons d'entreprises, ceux du FCE qui n'ont eu de cesse d'exiger plus de facilités fiscales, du foncier gratuit ou à moindre coût, sans apporter la moindre preuve, pour beaucoup d'entre eux, de leur utilité pour l'économie nationale !

Les gouvernements successifs ne présentent pas de bilans ! Ils laissent le pays dans un état pire que celui qu'ils trouvèrent à leur arrivée.

La violence et l'incivisme sont partout, l'insécurité routière fait des ravages, l'école n'en a pas fini avec ses soubresauts, le tourisme et le secteur de la pêche sont au plus mal, tout comme le football, sa violence, ses scandales et la faillite des Fennecs, le commerce qui n'est pas régulé, la mercuriale qui s'affole et les déficits qui augmentent dans tous les secteurs !

Ce discrédit vaut, aussi, pour la plupart des hommes et femmes politiques qui ont eu trop de gain de parole ! Certains sont dans l'opposition aujourd'hui, mais ils ont été en situation de gouvernance hier. Ils n'ont pas fait mieux, quand eux-mêmes, intraitables et sourds à toute revendication sociale, ils étaient aux affaires, n'est-ce pas messieurs les anciens Premiers ministres ?

Ils n'ont pas communiqué, ou pas assez quand ils étaient au pouvoir, alors qu'ils disposaient de l'ensemble des médias, dont la télévision qui reste, pour eux, un espace public «monopolistique» par excellence. Ils s'emmurent dans le silence quand ils le quittent, pensant qu'il est bon pour eux de «se mettre en réserve de la République», sait-on jamais, ou se faire oublier, puisque cela vaut mieux ainsi. Ils devront, dorénavant, regarder en face le peuple, avec lequel la rupture, si ils n'y prennent garde, pourrait, tôt ou tard, être consommée si elle ne l'est déjà, à voir la courbe vers laquelle s'envole l'abstention, scrutin après scrutin.

Il subsiste, toutefois, cette question existentielle qu'aucun des partis politiques n'est arrivé à résoudre: comment transformer la chaleur de la foule, l'énergie juvénile et l'engouement primesautier des Algériens, en une force de persuasion qui éviterait la pente glissante de l'autocongratulation, du tout va bien et des lendemains qui chantent ?

Certainement pas avec les redondants appels pathétiques de Djamel Ould Abbès et consorts qui s'égosillent à demander au président de la République de se porter candidat pour un 5e mandat, lui qui, déjà, ne voulait pas être «un trois quarts de président» et qui l'a prouvé le long de ses mandatures, et qui est aussi connu pour être un homme qui a horreur qu'«on lui dicte la conduite à tenir» !