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Réforme pédagogique : parlons expériences et non échecs !

par H. Benhaoua*

« Les maîtres d'écoles sont des jardiniers en intelligences humaines » Victor Hugo1

C haque année, à l'approche des épreuves du baccalauréat, la situation devient de plus en plus stressante, car chaque année nous avons une surprise de taille. Depuis quelques années, il est devenu un casse-tête pour les pédagogues, un bref rappel des évènements marquants :

-1992 (fuite massive de sujets)

-2001 (évènements de Kabylie), 2003 (séisme de Mai 2003 Alger, Boumerdes) des sessions spéciales ont été organisées en Septembre.

-2016 fut l'année du record, la fuite a été exceptionnelle, invraisemblable !

-2017 fut l'année du ridicule, une session de rattrapage pour les retardataires a été spontanément décidée? Il y aurait eu selon les responsables 80.000 retardataires, résultat moins de 10.000 candidats se sont présentés aux épreuves de Septembre, quand on pense à l'organisation que cela demande, c'est un véritable gâchis ! Cette année le cru 2018 s'est déroulé de façon relativement sereine, l'environnement semble plus apaisant, il n'y aurait pas d'incident grave. Cet examen bicentenaire devient la cible de toutes les critiques, chacun y va de son commentaire, les uns préconisent des mesures draconiennes, quitte à faire appel à l'armée, occultant l'aspect pédagogique ! Mais le bac n'est pas uniquement une question de sécurité ! Cette décennie, le Maghreb(2) a été confronté à des fuites massives lors des examens du Bac malgré les grands moyens déployés pour lutter contre la fraude, le risque zéro n'existe pas ! Le tout sécuritaire est incompatible avec la pédagogie. Le bac fait partie d'un système éducatif complexe qui doit être réformé.

Du scandale 2016 à l'hypothétique réforme : pourquoi le gouvernement temporise ?

Après les fuites fleuves de 2016, la nécessité de réformer le Bac3s'est avérée urgente. Sous l'égide du ministre de l'éducation, une commission ad-doc a préparé un dossier global de refontedu cycle secondaire avec quelques recommandations, parmi lesquelles l'obligation de remanier l'examen du bac. Le dossier est soumis à l'approbation du gouvernement, qui pour des raisons sans doute politiques, fait l'objet d'un blocage !Et pourtant la plupart des acteurs du monde éducatif sont en faveur d'une réforme profonde. La ministre de l'éducation nationale avait dévoilé les grandes lignes de la réforme, espérant une mise en place progressive, mais le gouvernement temporise !

La réforme dépasse le cadre du bac, elle concerne tout un secteur très sensible où des habitudes démagogiques faisant office d'acquis sociaux sont ancrées depuis des lustres. Il serait question entre autre de la suppression de l'examen de fin d'étude primaire (examen de 6ème), de la prise en compte de la fiche de synthèse, de la formation des formateurs. Une grande place serait accordée à la réflexion dans l'enseignement et l'élaboration des sujets (une tête bien faite et non bien pleine).

Le problème est avant tout pédagogique, les pouvoirs publics sont là pour veiller au respect des grandes orientations et à la mise en œuvre des conditions matérielles et sécuritaires pour mener à bien cette mission. Hélas le politique prend parfois des allures de pseudo-pédagogie et le jeu des équilibres s'installent !Si la rue gronde, la paix sociale est perturbée et les concessions reviennent ! Car comment expliquer la 2ème session du bac 2017, sinon comme une concession faite aux retardataires (80.000 retardataires pour un examen prévu depuis toujours, du jamais vu!). Notre système éducatif a besoin d'une réforme audacieuse et profonde, étendue à tous les secteurs de la formation.

Un état des lieux est nécessaire afin de dévoiler les dysfonctionnements du système et se débarrasser du carcan administratif qui entrave la bonne marche du système. Objectifs immédiats :

- Assainissement de l'enseignement secondaire (Refonte et actualisation des programmes, sécurisation des examens de fin de cycle)

- Concertation entre les 3 piliers du système éducatif (Education nationale, Formation professionnelle, Enseignement supérieur)

- Mesures d'accompagnement (moyens matériels et financiers)

Mais ce chantier important exige la collaboration et la concertation des différents secteurs concernés. Le ministère de l'enseignement supérieur et celui de la formation professionnelle doivent s'engager pleinement dans cette entreprise, désormais la collaboration est de rigueur ! Au lendemain de l'indépendance les premières réformes sont introduites, il s'agissait surtout de lancer le processus d'arabisation car l'école algérienne devait se démarquer de l'école coloniale. L'arabisation est synonyme d'identité culturelle (linguistique et religieuse), elle est vue comme l'aboutissement de la révolution de Novembre.Le présidentH. Boumédiène4 disait « Sans la récupération de cet élément essentiel qu'est la langue nationale, nos efforts resteront vains, notre personnalité incomplète et notre identité un corps sans âme »

Les incohérences du système actuel

La grande bavure, c'est cet examen traumatisant et inutile de la 6ème. Il coute énormément d'argent à l'institution, de plus il est doté d'une 2eme session. Ridicule ! Il serait plus profitable d'utiliser cet argent pour aider les élèves en difficulté dans l'apprentissage de la lecture et l'écriture, et d'investir dans l'école rurale car c'est là où existent les plus grandes difficultés (Problèmes de transport, manque de moyens didactiques, fracture numérique). Beaucoup s'interrogent sur son utilité. Que préconise-t-il pour les recalés ? Sinon un simple redoublement!

- Au début des années 70,le pays ayant grand besoin de cadres, les conditions de rachat du bac sont exagérément assouplies, une catégorie de nouveaux bacheliers est apparue « les sans mentions » l'absence de mention devient honorable ! Un coup dur porté à la crédibilité du bac ! Mais cette mesure aura une autre conséquence, faute de candidats la formation professionnelle se retrouve marginalisée, de nombreux centres de formation ont été fermés. Actuellement l'enseignement professionnel est ressuscité, il est même boosté, en témoignent, les récentes réformesde la tutelle qui préconisent une formationpointue exigeant l'intégration des connaissances théoriques et technologiques dans les pratiques professionnelles (5): Le BEP (Brevet de l'Enseignement Professionnel, 3 ans d'étude), suivi d'une spécialisation : BEPS (2 ans d'étude supplémentaire).

Mais là aussi il faut rester vigilant, la formation doit être professionnalisante (aboutir à un métier) et ne pas dupliquer la filière (L.M.D) à caractère professionnel (L.P : Licence Professionnelle, M.P :Master Professionnel) de plus il semblerait que la réforme du secondaire de juillet 2016 (non encore avalisée par le gouvernement) préconise un type de bac spécialisé, ces profils de formation me paraissent très proches, la prudence et la coordination s'imposent !

On ne peut pas parler de la formation professionnelle sans dénoncer les méthodes d'orientations scandaleuses qui sont pratiquées parfois surtout à l'issue de la 1ere année secondaire !

- L'Arabisation a été généralisée à un moment où l'Université algérienne n'était pas prête pour accueillir les étudiants arabisés, encore un manque de concertation. La place de la langue Arabe dans l'enseignement des sciences est restée longtemps tâtonnante, entre le tout arabe et le « chouia-chouia » on se retrouve avec des générations qui ne maitrisent aucune langue. Qu'on le veuille ou pas, notre passé historique, notre position géostratégique nous impose une ouverture linguistique, naturellement c'est le Français, mais aussi l'Espagnol et d'autres langue encore !

L'enseignement du Français ne remet en aucun cas notre identité culturelle, 132 années de domination coloniale n'ont pas altéré les liens avec notre culture ! Qui aurait parié sur l'émergence du Chinois dans les années 70 ? Aujourd'hui, il est enseigné dans beaucoup de pays de par le monde.

Une langue s'impose quand elle est utile, aujourd'hui une carrière dans le commerce international est problématique sans la connaissance du Chinois, parce que la Chine est la première puissance économique mondiale. Pour nous, le Français reste utile, car nous l'avons conquis et nous sommes surtout à même de bien l'enseigner !

- En 2008,après de longues grèves la tutelle décide de limiter les programmes de 3ème année secondaire, ce seuil (ataba) est devenu un acquis pour les élèves et les programmes sont amputés de la dernière partie, de ce fait les élèves ne se présentent pratiquement pas aux cours au 3ème trimestre. On a rarement vu à travers le monde, des élèves manifester pour exiger la limitation des contenus pédagogiques.

La fiche de synthèse, reflet du travail annuel de l'élève n'est pas prise en compte, ce qui incite à l'absentéisme. Elle pourrait éventuellement servir d'indicateur pour le rachat lors de délibérations du bac. Il faut souligner que la « ataba » mesure pédagogique temporaire, qui a quand même duré 6 années a été abrogée en 2014.

- Des cours privés ? En veux-tu, en voilà ! Et ces cours privés qui commencent dès la 1ère année du primaire ! Et ces enseignants qui font des cours dans des garages, des hangars insalubres avec plus de 40 élèves et qui répètent à qui veut les entendre que les classes surchargées : c'est anti-pédagogique ! Ces enseignants compétents, qui travaillent au ralenti dans les établissements officiels et donnent le meilleur d'eux même ailleurs !

-Ces bacheliers, plusieurs fois bacheliers ! Oui dans notre pays on peut passer le bac à volonté ! On ne peut pas citer ce problème sans évoquer la loi d'orientation des nouveaux bacheliers, cette loi qui brise les rêves de nombreux candidats. Les élèves déçus de leur orientation universitaire, passent et repassent le bac jusqu'à rejoindre la filière de leur choix, les effectifs des candidats libres se trouvent ainsi fortement intensifiés (près de 200.000 candidats).

- Certains élèves sont à cheval entre l'enseignement public et le privé, la situation est pour le moins ambiguë, cette pratique très peu répandue pour l'instant risque de prendre de l'ampleur, c'est pour cela que le contrôle doit être de rigueur !

-Certains enseignants recrutés dans le tas, ne sont pas convenablement formés, ils manquent d'expérience pédagogique malgré les nombreux stages !Et pourtant des Masters en sciences de l'éducation option sciences humaines (lettres, langues..) et sciences exactes (Math, Physique, Chimie) peuvent être pilotés conjointement par les universités et les académies.

- D'autres problèmes entravent la bonne marche du système

* La discipline

C'est un fléau majeur dans les établissements, car elle engendre l'insécurité et dans ce domaine, il y a beaucoup de laxisme ! Les élèves indisciplinés ne sont pas sanctionnés sévèrement, ils changent tout simplement de lycées. C'est une sanction pédagogique, mais certains cas exigent une grande sévérité, le recours au pénal s'impose parfois!La sécurisation des édifices scolaires devrait être renforcée.

* L'état des établissements

Bons nombres d'établissements sont dans des états de vétusté très avancée, murs délabrés, cours inappropriées, classes insalubres, fenêtres cassées, absence d'infrastructures sportives, panne de chauffage, d'électricité...

* Décisions inappropriées

Certaines mesures improvisées s'avèrent inutiles comme, la consultation des élèves (vote via le net) pour le choix de la date de l'examen du bac, et la modification des dates de vacances d'hiver (2016-2017), la ministre a été obligée de revoir le calendrier sous la pression de la rue. Tout ceci est vain.

Chaque instance a un rôle important à jouer, il n'y a aucune adversité, l'écoute et la concertation doivent être de rigueur pour éviter des grèves inutiles,l'emploi de la grève doit rester un ultime recours.

* A propos du Baccalauréat : Quelques pistes à explorer.

La mise en œuvre du bac reste lourde, la réforme n'est pas uniquement affaire de sécurité et de programmes pédagogiques car ceux-là sont amenés à évoluer en fonction du développement des sciences, mais c'est surtout le déroulement de l'examen qui pose problème, toute réforme devrait veiller à simplifier la procédure.

Le bac doit être adapté à la réalité du pays, nous avons un immense pays, avec un nombre d'élèves trop important (il avoisine le million), la conception d'un bac unique pour un tel territoire est totalement inadaptée. La refonte doit être structurelle !

Plusieurs pistes peuvent alors être explorées :

Notamment la création de zones académiques indépendantes les unes des autres ce qui impliquent des sujets différents par zone académique (c'était le cas pour la zone sud il y a quelques années). Une zone académique est définie comme le regroupement d'inspections académiques proches géographiquement. On peut expérimenter dans un premier temps le découpage conventionnel : Est, Centre, Ouest, Sud-Est et Sud-Ouest, les dégâts d'une fuite seraient alors limités à une zone géographique restreinte et ne concerneraient qu'une partie localisée des candidats. On peut aussi procéder à un allègement de l'examen du bac par la mise en place d'épreuves anticipées à la fin de la 2ème année secondaire, cela signifie un bouleversement du cursus pédagogique de la 2ème et 3ème année secondaire. Concrètement, pour certaines filières, l'enseignement de quelques matières doit être dispensé en 1ere et 2ème année secondaire et des épreuves anticipées en fin 2ème année secondaire, le bac sera alors étalé sur 2 années et sur 4 (ou 5) journées. Mais attention il s'agit là d'un chantier pédagogique titanesque dont la mise en place exige une étroite collaboration entre la tutelle et la communauté des enseignants. Le contenu des matières enseignées ainsi que leurs places dans le cursus pédagogique secondaire doivent être repensés. Beaucoup de travail rigoureux en perspective. Il existe certainement d'autres voies à explorer, l'important est de comprendre que le problème n'est pas uniquement d'ordre sécuritaire et que l'aspect réforme pédagogique et structurelle est à même de réduire considérablement les risques de fraude généralisés. Nul doute qu'en plus de la refonte de l'examen, il faut veiller à relever le niveau du baccalauréat qui reste le baromètre de santé du système éducatif du pays.

Dépolitiser l'école algérienne

Il est clair que la qualité du système éducatif est importante dans le développement d'un pays. A l'aube de l'indépendance notre pays s'est attelé à garantir au citoyen une instruction gratuite. En Octobre 62 l'école démarre dans l'urgence, avec absence de cadres, de moyens logistiques et aussi de politique de formation. L'école algérienne en 1962 était dans la continuité de l'école coloniale. Objectif immédiat : Ouverture et accueil des élèves ! On fait alors appel à une coopération intensive et diversifiée (française, arabe, pays de l'est), mais le choix de cette coopération présageait déjà des réformes futures et annonçait les options idéologiques.L'école algérienne commence alors à se démarquer de l'école coloniale, les programmes sont peu à peu algérianisés (refonte des programmes d'histoire, de philosophie, enseignement en arabe, enseignement général6 :B.E.G el Ahlya, confections d'ouvrages scolaires algériens). L'Algérie pays souverain devait absolument mettre en place son propre système d'enseignement, fondé sur de grands principes inspirés de l'idéal révolutionnaire de Novembre 54, ancré dans l'Histoire arabo-musulmane, Tamazight et d'ouverture sur l'universalité. Ces fondements idéologiques sont clairement définis dans la constitution (Mars 2016) et dans la loi d'orientation sur l'éducation du 23 Janvier 2008. Mais l'école algérienne est enfermée malgré elle, dans un débat idéologique stérile, une dualité français/arabe, modernité/tradition, elle doit également affronter une presse alarmiste souvent dévalorisante.Elle est jugée laïque par les uns et islamiste par les autres, elle est souvent instrumentalisée dans des querelles politiciennes. De ce fait elle remplit mal sa mission car elle manque de sérénité et de stabilité. Ses fondements inspirés de la révolution de Novembre 54, inscrits dans la constitution algérienne doivent être immuables et garantis par l'état, quelques soit le pouvoir en place nul ne pourra la dévier de sa noble mission formatrice. Elle doit être dépolitisée et dé-idéologiée comme le soulignait A.Djebbar7 ancien ministre de l'enseignement supérieur, je cite « En effet, personne en Algérie, n'ose plus dire ou écrire que l'école se porte bien et qu'elle n'a pas besoin d'être dépolitisée, dé-idéologisée et profondément réformée ». Le système éducatif est lourd, il représente un budget colossal, il concerne des millions d'élèves, de lycées, et de milliers d'enseignants. Claude. Allègre, ancien ministre français socialiste de l'éducation nationale, qualifiait son ministère de mammouth gras ?'il faut dégraisser le mammouth''cette boutade, source de conflit entre le ministre et les enseignants met le doigt sur l'absentéisme des enseignants. C'est un problème récurrent !Cela démontre à quel point l'œuvre est complexe, le travail titanesque, mais il doit être aussi audacieux à la hauteur des enjeux! Outre l'aspect pédagogique, la réforme est aussi humaine, elle ne peut réussir que si on associe à la réflexion le principal acteur : l'enseignant qui a besoin de reconquérir sa place de modèle social de vertu et d'honnêteté.Depuis l'indépendance l'Algérie a expérimenté de nombreuses réformes, les résultats certes n'ont pas toujours été au rendez-vous, doit-on pour cela parler d'échecs ou d'expériences à parfaire ? L'enseignement évolue, les enseignants passent mais l'école reste !

*Professeur Université Oran1

Bibliographie

1-Victor Hugo ?'faits et croyances'' 1840

2- Fraude au Bac : Maroc, Algérie et Tunisie déploient les grands moyens, Jeuneafrique, 02 juin 2016.

3-»Nous avons achevé l'élaboration du projet de révision du Baccalauréat et nous attendons le moment opportun pour le soumettre au gouvernement'' déclaration de N.Benghebrit, ministre de l'Education Nationale, à la presse.

4-Discours du Président H. Boumédiène, Avril 1970

5- Journal officiel de la République Algérienne, décrets BEP et BEPS, 23 Juillet 2017.

6- L'enseignement secondaire est appelé enseignement général avec 2 diplômes : B.E.G (Brevet d'Enseignement Général), el Ahlya (Brevet en Arabe).

7- A. Djebbar, « Éducation et société, le cas de l'Algérie », Sèvres, Revue internationale de l'éducation, n° 24, décembre 1999.