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Une équipe de (vrais) Français

par Paris : Akram Belkaïd

La victoire des Bleus en finale de la coupe du monde de football ne plaît pas à tout le monde y compris en France. Avant même le sacre de dimanche dernier, les réseaux sociaux ont charrié des messages ouvertement racistes et favorables à l'équipe croate au prétexte que cette formation serait, elle, « blanche et véritablement européenne ». Ce n'est pas une surprise. Dans le contexte européen, la parole raciste s'est libérée depuis longtemps et celles et ceux qui estiment que l'équipe de France n'est pas représentative de la « vraie » population française, autrement dit blanche et chrétienne, ne font que reprendre les propos du « philosophe » Alain Finkielkraut.

Dans un entretien accordé au quotidien israélien Haaretz (25 novembre 2005), ce dernier avait ainsi déclaré : « On nous dit que l'équipe de France est admirée parce qu'elle est black-blanc-beur. (...) En fait, aujourd'hui, elle est black-black-black, ce qui fait ricaner toute l'Europe. » Rien de nouveau sous les voutes putrides? Déjà, à l'époque, cette déclaration sonnait comme une vengeance contre l'euphorie née de la victoire des Bleus en finale de la Coupe du monde en juillet 1998.

Au fil du parcours de l'équipe entraînée par Didier Deschamps, on a pu lire ici et là des suppliques incitant à ce que l'on ne tombe pas dans le piège de l'exaltation du « black ? blanc ? beur ». Cette idée, plutôt répandue, me fait penser qu'il y a bel et bien une régression par rapport à 1998. A l'époque, même une personnalité aussi controversée que Charles Pasqua, ancien ministre de l'intérieur et instigateur des tristement célèbres « charters » pour Bamako (renvoi de sans-papiers), avait plaidé pour une « France plus généreuse » en matière d'accueil et d'intégration. Bien sûr, l'esprit de juillet 1998 s'est vite étiolé, aidé en cela par le choc des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et par la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle française de 2002.

Mais à qui la faute ? Pourquoi d'une communion nationale est-on passé à des émeutes à l'automne 2005 ? La réponse est simple : après 1998, la classe politique française comme le monde des affaires et de l'entreprise n'ont pas été à la hauteur des enjeux et le statu quo n'a pas été remis en cause. Aujourd'hui, le message délivré est clair. Il met en garde contre tout emballement. La victoire de l'équipe de France ne saurait constituer de catalyseur pour que ce pays fasse mieux (on n'écrira pas qu'il ne fait rien) en matière de lutte contre les inégalités sociales et les discriminations.

Revenons aux contempteurs des Bleus. En Italie, pays dirigé aujourd'hui par des néo-fascistes, une véritable vague de haine a déferlé sur les réseaux sociaux. Même un journal comme le Corriere della Sera, l'un des plus diffusés, n'a pas pu s'empêcher d'ironiser sur la nature « africaine » de l'équipe française et de lui opposer une équipe croate composée « seulement de Blancs ». En Italie, comme ailleurs, un tweet, partagé des milliers de fois, représentait les visages des principaux joueurs français avec le drapeau et le nom de leur pays africain « d'origine ». A l'opposé, on retiendra les propos de l'ancien président des États-Unis Barack Obama : « Regardez l'équipe de France qui vient de remporter la Coupe du monde. Tous ces gars ne ressemblent pas, selon moi, à des Gaulois. Ils sont français, ils sont français ! » (Paroles prononcées lors d'un discours à Johannesburg à l'occasion du centenaire de la naissance de feu Nelson Mandela).

Par une symétrie fréquente, l'argument du « ils sont d'origine africaine » est aussi repris par des personnes pourtant à l'opposé des courants identitaires et racistes. L'idée, pour elles, est de démontrer que l'immigration fait « du bien » à la France puisqu'elle lui offre des champions. C'est là où la prudence s'impose. Si l'on considère, comme le présent chroniqueur, que ces joueurs sont Français, il faut bien réfléchir à la question du « qui bénéficie de qui ». Précisions notre pensée. Ces joueurs ont certes des parents originaires d'Afrique mais ils sont nés en France ou, pour certains, ils y sont arrivés à leur plus jeune âge. Autrement dit, c'est la France qui a fait d'eux ce qu'ils sont. Vaille que vaille, c'est la France qui les a formés. Exception faite de Lucas Hernandez, formé en Espagne, tous les autres joueurs ont eu leur première licence de football dans un (petit) club français. Nous ne sommes pas dans le cas où la France est allée « chercher » (acheter ?) des joueurs déjà formés pour bénéficier de leur talent, à l'image du Qatar qui s'est offert une équipe nationale de handball en naturalisant des joueurs aguéris venus d'un peu partout.

Bien sûr, ces Bleus sont aussi le fruit d'une éducation familiale, d'une transmission de valeurs, d'un « bain » culturel mais ce n'est pas cela qui fait le bon athlète. Au Cameroun, pays d'origine de son père, comme en Algérie, pays d'origine de sa mère, on parle beaucoup de Kylian Mbappé. Mieux, on se l'approprie. Certes, il y a de quoi être fier qu'un petit-enfant du pays soit champion du monde. Mais ce titre, Mbappé ne le doit ni au Cameroun ni à l'Algérie. Ce n'est pas dans ces deux pays qu'il aurait trouvé les structures sportives et pédagogiques pour progresser et devenir ce qu'il est aujourd'hui. S'il est un endroit qui peut revendiquer sa part de Coupe du monde, c'est la ville de Bondy en région parisienne et son club de l'AS Bondy. Idem avec l'US Fontenay-sous-Bois de Blaise Matuidi ou l'US Roissy-en-Brie de Paul Pogba ou encore, pour ne prendre qu'eux, l'AC Villeurbanne pour Nabil Fekir ou l'ES Fréjusienne pour Adil Rami.

De tous les pays africains mis en avant dans le fameux tweet cité précédemment, aucun n'a fait l'effort d'investir le millième de ce que la France a consenti pour les sports. Et qu'on ne nous dise pas qu'il s'agit d'une question de moyens. De l'argent, il y en a en Afrique, du moins il devrait y en avoir en ce qui concerne le football. Qu'ont fait, ou que vont faire, les pays africains qui ont joué la Coupe du monde des centaines de milliers de dollars que la FIFA et leurs sponsors vont leur verser. Combien de stades, de gymnases ou de piscines vont être construits ? Combien d'éducateurs pour jeunes vont être formés ? Combien de ballons vont être distribués ? Combien de médecins du sport ? De nutritionnistes ?

D'où viennent les titres mondiaux du football français ? D'une décision passée inaperçue à l'époque. Celle, prise en 1976, de créer l'institut national du football de Clairefontaine (inauguré en 1988) dont on connaît le rôle charnière en matière de formation. A ce jour, aucune fédération africaine ne dispose d'un centre équivalent, même plus modeste. Nous connaissons tous le bordel, pardon pour ce mot, qui règne dans ces fédérations aux effectifs pléthoriques où règnent en maître des gens qui n'ont rien à voir avec la pratique du sport. Nous savons tous où cet argent va aller ou, plutôt, nous savons tous où il n'ira pas?

L'équipe de France est une belle équipe. Elle est française, il n'y a aucun doute là-dessus. Et sans renier les origines des uns et des autres, disons simplement que ce n'est pas une équipe africaine qui a été sacrée championne du monde, dimanche 15 juillet. C'est l'équipe de France où jouent des Français dont, pour certains, les parents sont Africains.