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L'illégitimité des vœux

par El Yazid Dib

Le vœu est une inspiration humaine tout à fait légitime et même souhaitée. A sa conception, il peut se dessiner sous n'importe quel délire ou fantasme. Il ose même dépasser l'imagination de son émetteur. Tout ça dans une pensée intime qui ne se triture qu'en silence dans la tête de tout un chacun. Mais de là à se le faire entendre se dire en plein jour et sous un éclairage des plus éblouissant, surtout lorsqu'il frise l'impossible, ça devient un cas psychiatrique. Nous y sommes. Presque.

Si l'épicier de ce coin installé dans un village juché au sommet d'un mont éloigné à des encablures d'une commune elle-même éloignée à des encablures du chef-lieu d'une daïra située à l'extrémité du territoire d'une wilaya enclavée, aspire à égaler Haddad ou concurrencer Rabrab, cela peut toutefois se comprendre. Une bonne circonstance, une idoine occasion, un coup d'épaule, une compromission par ci, une autre par là et le vœu est là. Réalisable. Mais si un employé gravitant autour d'un pouvoir et se sentant entièrement en droit d'avoir des postes supérieurs qu'il ne peut avoir par mérite, là, on n'est plus dans le vœu, mais en plein trouble psychique. Ça ira en dépassant toutes les pathologies merdiques quand il soutient son élucubration par ce « et pourquoi pas ? » ou « pourquoi un tel ? » Par logique humaine, par bon sens, par faits historiques ; l'on ne pourra se décrire dans un souhait que l'on sait surpassant ses moyens. Les vœux, comme les envies, ont aussi leur interdiction, leurs limites. S'il est permis de rêver, il ne faudrait le faire en public, ni le prendre pour un droit ni encore s'acharner à le voir venir. Est-ce suffisant de se voir prophète en rêve et au réveil continuer à y croire et œuvrer pour l'accomplir ?

Ce n'est pas parce qu'il y a eu des détenteurs de prophétie analphabètes que tous les analphabètes des temps modernes aspirent à devenir des apôtres ou des gouverneurs. Ce fut le miracle de Dieu.

Et les miracles actuels ne sont plus de sa compétence. Ils sont dans l'audace de ceux qui veulent les provoquer et dans l'entremise de ceux qui les assistent pour ce faire. Que l'on n'abuse pas de la confiance divine et dire que si le sort était préalablement ainsi prescrit il faudrait le revoir. Qu'il est possible d'agir sur son cours.

Parfois il y a de ces désirs en vœux qui se tiennent comme un feu ardent dévorant la personne jusqu'à son aveuglement. La décence et la modestie tombent par-devant l'opiniâtreté à avoir ce que l'on désire même si ce penchant est en-deçà des aptitudes ou qualités exigibles le cas échéant. J'ai vu n'importe qui vouloir devenir ministre, wali, n'importe qui vouloir devenir député ou sénateur et ainsi de suite.

À l'étonnement, l'on vous répond encore par ce « pourquoi pas ? ». Cependant, avec un arrêt de réflexion, je m'efforce et me résigne à accepter pour me voir leur dire en étranglant toutes mes logiques obsolètes : et puis après, pourquoi pas ? Autant que ces situations, certaines du moins sont une amère réalité.