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Hydrocarbures : l'Algérie n'est pas face à un choix difficile

par Reghis Rabah*

Quelques années après la découverte des hydrocarbures et la ruée américaine vers ce nouvel Eldorado, on a commencé déjà à spéculer sur sa fin probablement de par sa forme fossile. Il a été établi de par le monde et l'Algérie n'en fait pas exception qu'on a consommé plus qu'on en a découvert et pourtant les réserves ont bel et bien augmenté depuis le début de la décennie 1970. Pourquoi et comment ?

D'abord il n'y a pas eu de découverte de gisements géants comme ceux découverts par le passé comme Ghawar en Arabie Saoudite, Cantarel au Mexique, Burgan au Koweït, Daqing en Chine ou pourquoi pas Hassi Messaoud en Algérie. Même la récente découverte brésilienne d'un gisement de 33 milliards de barils au large de Sao Polo, n'est qu'au stade hypothétique si ce n'est pas un jeu d'entreprise pour augmenter la valeur de ses actions. L'Algérie aussi par le biais Sonatrach avait annoncé la découverte d'un nouveau champ pétrolier d'environ 1,3 milliard de barils près d'Amguid Messaoud, dans le sud du pays. «C'est l'une des plus importantes découvertes réalisées par Sonatrach ces vingt dernières années», a déclaré le ministre de l'Energie et des Mines de cette époque, Youcef Yousfi. Le site se trouve à 112 km de Hassi Messaoud, le plus grand champ pétrolier d'Algérie. Le ministre a expliqué que la Sonatrach devra recourir à des techniques non conventionnelles de forage pour extraire 50 % des réserves. Selon un haut responsable de l'entreprise en l'occurrence Saïd Sahnoun, ces techniques augmenteront le coût de la fracturation hydraulique d'environ 10 % pour le projet global (01). Le développement du champ est prévu dans les trois à quatre ans. Dans un premier temps, la compagnie Sonatrach doit effectuer des travaux pour établir la façon exacte dont sera exploité le gisement. A ce jour, aucune nouvelle sur cette découverte où du moins n'a pas changé d'un iota les réserves en place. Par contre la reconstitution de réserves dans le monde s'explique d'une part par l'avancée énorme des conditions techniques. On pénètre mieux le gisement par le forage horizontal et on délimite mieux les contours de la structure grâce à la sismique 3D. Ceci a fait que le coefficient de récupération des quantités dans le sous-sol est passé de 25 à 35%.En d'autre termes, on récupère plus que par le passé. D'autre part les conditions économiques avec un baril à entre 80 et 100 dollars a rendu possible l'exploitation des gisements marginaux qui étaient auparavant trop chers à produire. C'est en général toujours les géologues qui développent ce genre de prémonition à commencer par leur précurseur le géophysicien Marion King Hubbert avec sa fameuse théorie de pic dit d'Hubbert. Pour lui, et très loin dans les années 40, il est parti d'un raisonnement logique basé sur la loi de la vie et de la mort pour l'appliquer à toute matière première et en particulier le pétrole pour dire qu'elle suit une courbe en cloche. Il fallait attendre l'année 1956 pour affiner son approche devant les experts de l'American Petroleum Institute (API) par confirmer que cette courbe en cloche passe par un maximum indiquant que la production décline forcément par la suite. Elle restera relativement symétrique par rapport à ce maximum. Depuis, les adeptes de cette thèse ne jurent que par ce fameux « pic pétrolier » et proclament à qui veut l'entendre que l'ère du pétrole tire à sa fin sans donner une date précise sur laquelle ils divergent à un demi siècle prés. Mais ils restent tous d'accord en revanche sur la tendance et c'est normal ! d'un épuisement physique accéléré de ses reserves. Pour eux et ils se sont trompés, la croissance tire, certes les prix du baril vers le haut mais pas autant de cette épuisement qui va le mener jusqu'à 300 dollars le baril. Pourtant ils se sont tous plantés car les prix ont bel et bien chuté rien qu'en 2014 à moins de 30 dollars. On constate de visu que c'est le jeu de cette croissance et les événements géopolitiques qui restent aux commandes de leur fluctuation.

Qu'en est-il en Algérie ?

Lors de sa dernière visite à Hassi Messaoud pour expliquer sa nouvelle stratégie SH2030, Ould Kaddour s'est exprimé sur le schéma d'une analyse transactionnelle par son « état enfant ». Cette spontanéité aboutit le plus souvent à des vérités incontestables. En effet, il a rassuré les travailleurs en affirmant que Hassi Messaoud n'est pas un gisement en voie d'épuisement et qu'il pouvait encore produire pendant 50 ans. Il n'a pas tort, et il pourra le faire même pour plus. Seulement le problème de l'Algérie pour laquelle Sonatrach acte est tout autre. Sur le pétrole par exemple, les gisements actuels ne vont plus suffire à une consommation effrénée interne et il restera très peu voire même une quantité insuffisante pour l'exportation, seule ressource pour maintenir le train de vie algérien. Pour le gaz conventionnel dont les reserves se situent officiellement (2) à moins de 3000 milliards de m3 serviront dans leur tiers à la réinjection pour booster les autres gisements toute forme confondue, le second tiers pour la consommation interne. Il se trouve que les retards entrepris par l'Algérie dans le domaine de l'efficacité énergétique, la vérité des prix de l'énergie pour la consommation interne et surtout la part du gaz dans la production de l'électricité, ont fait que sur le tiers du volume exporté, on greffe chaque année une partie qui représente la croissance de la consommation. Au rythme actuel qui avoisine les 5 à 10% et si aucune quantité supplémentaire ne sera découverte, il ne restera plus rien à exporter. Cette situation pourrait mener à blocage total du développement économique sans compter l'obligation de renouer avec l'endettement externe.

Que faire ?

Il existe effectivement une opportunité considérable dans l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste en Algérie de part les quantités et la qualité évaluées par le département américain de l'information en énergie une fois en avril 2011 puis révisées à la baisse en 2013. Les chiffres sont effectivement affolants : 22 000 milliards pour le gaz et 6 milliards de barils pour le pétrole avec un « total organic carbon » qui les situent dans la tranche de la qualité parfaite. Ces chiffes, comparés aux réserves récupérables conventionnelles : 2745 milliards de m3 et 10,14 milliards de barils de pétrole, donnent de l'eau à la bouche lorsqu'on est en face d'un choix entre la peste et le choléra. Malheureusement, au stade actuel, technique et encore plus économique, l'Algérie ne pourrait pas s'aventurer seule sur cette ressource dont le mode d'exploitation est déjà très contesté. Il lui faut donc un partenaire et ce dernier quelque soit le type de contrat qui va le lier à Sonatrach, tirera le maximum pour lui, profitant de son expérience dans le domaine. Combien, même elle ira vers cette option il lui faut d'abord évaluer ce potentiel lancé sur un papier par le département américain de l'information en énergie et préparer les nombreux forages à faire et cela va prendre au moins une décennie. Malheureusement, elle n'a pas le temps pour attendre 10 ans face à une accélération progressive de la réduction de ses exportations en hydrocarbures. Il est primordial de rappeler qu'en moyenne un tiers des volumes contenus dans un réservoir est aujourd'hui récupéré. Des études crédibles ont montré qu'un pourcent supplémentaire sur l'ensemble des gisements dans le monde correspondrait à une année de consommation mondiale, c'est dire 97, 4 millions de baril. Faire un effort de quelques pourcents, cela donnera un chiffre appréciable qui assurera la consommation supplémentaire de plusieurs années. Donc l'amélioration du taux de récupération est aujourd'hui un enjeu majeur. Il se trouve justement que partenaire pour partenaire, américain pour américain, dépense pour dépense, autant opter avec ceux qui savent « scratcher » leurs gisements pour apprendre à récupérer tout de suite ce qu'on laisse de nos réservoirs pétroliers et gaziers. Négocier un bon contrat type EOR (Enhanced Oïl Recovery) qui désigne selon l'approche théorique un ensemble de techniques permettant d'augmenter la quantité d'hydrocarbures extraits d'un gisement pétrolier ayant épuisé partiellement ou totalement ces phases ; primaire et secondaire. C'est le cas justement de Hassi Messaoud, Zarzaitine, Berkine pour ne citer que ceux là. Il faut préciser par ailleurs que ce ne sont pas les petites « fracks » opérées par Sonatrach depuis les années 80 pour laver un réservoir bouché ou un autre modestement compact qui font d'elle une experte en fracturation hydraulique. Cette dernière est plus hard et demande une logistique extrêmement lourde. Elle est en plus très couteuse en comparaison prix du million de BTU de gaz qui ne dépasse pas 3dollars. La pression d'injection est fonction de la profondeur, prés de 4500 PSI à 2500 m, l'équivalent de 300 bars. L'organe subsidiaire de l'assemblée générale des Nations Unies, la CNUCED a été très critique sur l'exploitation du gaz du schiste et notamment sur les conséquences des rejets en surface de l'eau de la fracturation de nombreuses compagnies opératrices disent régler depuis longtemps. Pourtant, ce rapport sort du pays où on vante les mérites de cette technique. Il faut dire aussi que les quantités d'eau douce utilisées restent énormes face à un Albien qui se reconstitue lentement et un Artésien en voie de disparition à cause justement du pompage effréné des entreprises pétrolière. Donc pour toutes ces raisons, l'Algérie, a tout intérêt à réactiver son Haut Conseil de l'Energie qui est n'est effectivement pas une fin en soi mais pourra tracer une ligne de conduite qui nous fera sortir de cette navigation à vue

*Consultant, Economiste Pétrolier

Renvoi

(1) Lire le quotidien français du 26/10/2013

(2) Conseil des ministres du 6/10/2015