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Malheur aux hypocrites

par Rabah Kebdi

Le fil conducteur du bigotisme à l'hypocrite n'a d'équivalent que celui reliant l'idiotisme au néophyte.

Non ! Je ne peux croire ceux qui m'affirment qu'ils sont croyants lorsqu'ils me déclament du haut de leur conviction: «ennedhaafa min el iman», tout en acceptant de vivre à longueur d'année, sans broncher, au milieu d'immondices repoussantes dont une grande partie leur est due.

Non ! Je ne peux croire ceux qui me disent qu'ils sont croyants lorsqu'ils affirment que Ramadhan est : « chahrtoubawa el gwofran », mais profitent de ce mois pour arnaquer, fourbir mille et une astuces pourfaire le moins et s'enrichir le plus.

Non ! Je ne peux croire ceux qui me disent qu'ils sont croyants, ne cessent de rappeler que « iqra? » est le premier commandement du Coran alors qu'ils ont la phobie des livres et encore plus de ceux qui les écrivent.

Non ! Je ne peux croire ceux qui me disent qu'ils sont croyants et dont la spiritualité se résume en une quête frénétique d'hédonisme et de richesse matérielle ici-bas, tout en ayant l'œil sur encore plus dans l'autre monde.

Non, trop c'est trop ! Ce sont des hypocrites, des contributeurs en puissance à la dérive du pays. A la dérive depuis quelques décennies par ce qu'il patauge dans une bondieuserie lamentable, un bigotisme rampant, sclérosant, qui transforme l'Algérien de l'original qu'il était en photocopie contrefaite en rapport avec l'image du zombie que l'on voudrait qu'il devienne : Un composé d'ersatz de citoyen et de « momier » apte au leurre. Se leurrer, leurrer ses semblables. Toujours Leurrer jusqu'à se persuader qu'il peut le faire aussi avec Dieu. Du néophyte d'ignorance crasse, « d'ignorance sacralisée » comme disait Med Arkoun, et avide d'effacer quelque libertine ardoise de jeunesse, au prosélyte professionnel fourbe et flagorneur,ils passent leur temps à mystifier. Se prétendant en accointance avec le divin, à la limite de le remplacer, ils s'agrippent à ses basques par des« in challah »et « ma chaellah » de comploteurs et toute une panoplie de « formules sésames », ne laissant nulle place au fait de l'homme ni à son libre arbitre ; duquel ils font déconnecter l'auditeur pour mieux l'asservir. Le tout déballé dans une solennité feinte, un accoutrement hétéroclite et tous les signes extérieurs, à fleur de peau, d'une religiosité newlook. « Fatwistes » en quête constante d'expression propre à combler, par le verbe haut, un marasme existentiel et un sidérant vide culturel. Une manière de s'imposer au profane à défaut de pouvoir se faire admettre. Le but : engranger un capital de considération, de présomption d'honnêteté et de rectitude au sein d'un monde dont, comble d'ironie, ils font tout pour qu'il ne soit jamais rectiligne. Se suffisant d'apparat,l'essentiel pour eux est dans les atours démonstratifs, jusqu'à réserver la partie la plus visible du visage, le front, pour y imprimer le sceau de leur exubérance. Une parmi ces singularités ostentatrices que des spécialistes en « Com » ont concoctées en laboratoire et concomitamment enjoints à une fausse dévotion, dans un cahier de charges spécialement aménagé par des puissances souterraines, malfaisantes.

Des factieux organisés dont nos néophytes ne soupçonnent ni l'existence ni leurs desseins sataniques.Normal, à ne regarder que la longueur du « kamis » ou du « djelbab » on ne peut voir au mieux que le bout de ses chaussures. Pourtant, pour ne citer qu'un cas d'espèce : celui de la menace létale actuelle qui pèse sur l'existence même de notre entité nationale par le fait du salafisme.Y a-t-il nécessité d'intelligence aiguisée pour le comprendre ? Un soupçon d'instinct de conservation suffirait pour localiser la source du mal et agir en conséquence, en prenant sur soi le minimum, à commencer par s'interdire d'aller cautionner et financer l'ordre wahhabite par l'accomplissement des rituels du « hidj » et de « el'omra ». Un ordre qui s'est autoproclamé, par l'épée et l'aide de puissances impériales, gardien des lieux saints de l'Islam, pour mieux servir ses maîtres en asservissant les musulmans. Un ordre totalement inféodé à l'impérialo-sionisme et qui cherche à phagocyter le monde dit « arabo-musulman » pour l'entrainer dans une guerre de religions. Un ordre auquel on doit en grande partie notre décennie noir et qui s'octroie, annuellement, par tirage au sort, des quotas de tickets d'entrée au paradis. Ceci aurait-il été possible sans l'hypocrisie, l'ignorance et un certain égocentrisme de gens qui se fichent éperdument de l'état dans lequel ils laisseront le monde après leurs prépas ? Non ! Sauf qu'en l'espèce ce qui importe pour eux est avant tout de se donner l'impression de se soulager de leurs péchés en « lavant leurs os » : après moi le déluge.

Ailleurs c'est un autre délire, le langage le plus insolite fait foi. Il suffit de tendre l'oreille pour décrypter les « ultra-sons » d'arrière-pensées ferventes hallucinantes. Une parmi tant d'autres, et elle est de taille : il est devenu courant et naturel de s'entendre dire qu'un tel est foncièrement honnête parce que « mdeyen », sous-entendu que la malhonnêteté est ailleurs ; exit la corruption, l'informel, la spéculation, l'escroquerie, le stupre, autant répandus dans les milieux se disant « dévots » que partout ailleurs. De même :la femme « hidjabisée » est forcément synonyme de vertu ???Ainsi,les apparences dupliquées et maintes fois ressassées deviennent « certitudes » sans nécessité de vérification expérimentale : surtout pas ça, la yadjouz! Elles s'amassent en compilation et c'est au regard de leur sentence que se tracent feuilles de route, codes comportementaux ; passages obligés pour une intronisation au sein de la communauté de « fidèles » et prélude à une promesse d'admission aux jardins d'éden. Le test d'entrée est facile : il suffit de faire comme tout le monde. Tout est dans l'imitation, l'effet de meute fera l'aimant. Peu importe ce que l'on est dans la réalité quotidienne. Il importe peu que sa propre contribution au bien commun,à l'intérêt général, à son pays, au genre humain soit nulle voire négative.

L'essentiel d'une vie bien remplie n'est pas là, il est dans le regard de l'autre, dans l'apparence, dans le m'as-tu vu, dans le faux semblant.Le vrai n'est pas ce qui se réfléchit dans le miroir de la vérité, pas plus qu'il n'est dans l'authenticité de l'âme de tout un chacun. Non ! Il est dans le simulacre, dans l'adhésion à une illusion collective, dans un transcendant fantasmé, avec le nombre en guise de support démonstratif et le « consensus » en guise de preuve. L'habit fera le moine.

La multiplication des mosquées n'est pas un hasard, elle répond parfaitement à cesoucis d'être crus : ce pourquoi il faut faire croire que l'on croit. Aussi c'est le lieu où l'on ne passe pas inaperçu et où l'on se doit de donner de la publicité même pour ce qui relève, normalement, de la conviction intime. Mais dans un milieu où on est jugé, non eu égard à son apport à la société et aux rapports avec ses semblables, mais au degré apparent de sa dévotion, il ne faut surtout pas rester dans la discrétion, ça ne rapporte pas. Il faut au contraire donner le change pour espérer un retour sur investissement. En valeur absolue la foi importe peu, l'essentiel est qu'elle soit simulée jusqu'à paraitre« effective » dans le regard de l'autre ; d'où la primauté à la ritualité dans ce qu'elle a de plus visible, au détriment de la spiritualité dont on a que faire, par ce que discrète par définition. Ce n'est donc pas un hasard si le rite est sublimé au point ou le moindre détail est « étudié » à la loupe de « l'exégèse », appliqué à la lettre comme si sa transgression pourrait s'avérer cause de bouleversement de l'harmonie cosmique.

De plus, rien de mieux que les «pinailleries » pour occuper l'esprit. Nos bigots en ont grand besoin car ils sont au centre d'un perpétuel marchandage dans la course aux meilleures loges au paradis. Au cas où il existerait?Car nombre de clignotants indiquent ,par ailleurs, que beaucoup en doutent. Sans ça, on ne chercherait pas à confirmer l'existence de Dieu en scrutant le dos d'une tortue,ou toutes autres curiosités de la nature,pour voir si Allah n'y a pas inscrit son nom. En langue arabe bien sûr ! D'évidence Dieu est monolingue.

Dans le doute il faut marchander et négocier le prix au plus bas. Le prix de ses péchés bien sûr ! D'où la conclusion qu'il est plus commode et surtout moins cher de les expier par une gestuelle, ou l'observance de tout autre expression rituelle que de s'astreindre aux contraintes lancinantes d'un civisme actif et d'une citoyenneté assumée.Nos hypocrites ont l'œil sur le paradis mais les mains enfouis dans les poches. Ils l'espèrent au moindre coût, par le chemin le plus court, le plus confortable et de préférence sans donner grand-chose de leur personne.

Fort heureusement ce que l'on tente de cacher à Dieu finit par ressortir sous forme d'inconséquences inévitables et non dissimulables. Tel le résidu d'une indigestion, il finit par empester l'atmosphère. La nature a sa façon à elle de comptabiliser les errements des hypocrites, de les agréger et de leur présenter le bilan final de leur tartuferie. A voir l'immensité des dégâts, qui ne peuvent qu'être le résultat d'une action de masse, il est impossible de donner crédit à ceux qui prétendent appartenir la communauté des croyants. Le verdict dela loi des grands nombre est implacable : lorsque les tricheurs submergent la scène, personne ne trompe personne par ce que tout le monde trompe tout le monde. Le simulacre apparait tôt ou tard et met à nu l'étendue de leur simagrée.

On ne peut cacher le soleil avec un tamis, ni cracher au ciel sans que cela ne vous revienne à la figure. Surgit alors, entre l'illusion et le réel, l'immense écart.Il se voit au niveau socio-culturel de la société, à son degré de civilisation, à l'aune de l'ampleur des maux sociaux qui la gangrènent et de tous les retards qui la paralysent.Et chez nous, pays d'Islam, il y a un tel embarras du choix qu'il est difficile de faire une liste exhaustive et de nos tares et faire croire à tout observateur que le divin est dans nos têtes, nos cœurs ou même à proximité. Dans chaque strate de la société, chaque humain porte en lui ses propres insuffisances et une part de celles de la collectivité. A l'exception de Dieu, nul n'est parfait, mais la spécificité de l'hypocrite, du tricheur est de donner à penser que lui n'en porte aucune responsabilité ici-bas et que c'est toujours la faute de l'autre, y compris la main de l'étranger si nécessaire.Après tout,nous ne sommes pas à une importation près, ni à une hypocrisie près puisqu'on quémande d'étranger la science, la technologie, la nourriture, les soins et le « parapluie » quitte à le fustiger sans rémission dès le dos tourné. Certains bigots vont jusqu'à se persuader que c'en est ainsi et que Dieu l'a créé mécréant pour nous servir. Rien que ça ! Pour eux, l'immense retard ici-bas n'est nullement une flétrissure, compensé qu'il est par l'au-delà paradisiaque qui leur est destiné. Si faute il y a, elle ne saurait en tous cas leur incomber. Si la terre ne suffit pas pour trouver les fautifs, il y a le ciel, il est assez vaste pour y loger la cause de Dieu et l'invoquer chaque fois que de besoin : « allahghaleb ! ». Il y a aussi les provocations « d'iblis », lequel scrute en permanence et profite de la moindre faiblesse pour nous égarer, d'où sa lapidation : « ina'lchitan !». En dernier recours il y a le destin, ce joker dont les épaules sont assez larges pour endosser le poids de toutes les lacunes : «koulchey bel mektoub !».

Saha Aîdkoum