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Fiction et réalité

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Alunissons. Roman de Lynda Handala. Editions Dalimen, Alger 2017, 700 dinars, 137 pages.



An 3010. La Terre. Un monde à la fois surréaliste et atypique. De la science-fiction. Un monde imaginaire qui n'existe pas et n'existera peut-être jamais. Des jeunes en quête de solutions à la menace de disparition de l'humanité marqueront plusieurs haltes sur la Lune.

Car, l'Homme, une espèce en voie de disparition par sa faute, réduit à un faible effectif, se voit contraint de vivre dans une cage de verre, qui reflète la lumière qui l'éclaire. Une coupole hermétique au monde extérieur. Le «Village des Hommes»...sous l'œil, de l'autre côté de la vitre, des «Non-Hommes». Plus de frontières, plus de continents, plus de pays ni de fédérations, ni même de mers et encore moins d'océans. Présidence, royauté, monarchie, totalitarisme, religions...de vieux concepts passés de mode, tombés dans la case antiquités.

Deux frères Sélènes (rejoint par une fille, Sabriel, la Terriene) appartenant au clan des Alemas...: Géhef (agriculteur) et Elif (bâtisseur). Le premier moins solide que son cadet...et, de plus, trop blanc, trop rose. Obligés de fuir, car menacés de mise à mort ... Car, ici-bas, il ne faut pas naître différent. Des jeunes qui, devant la menace d'extinction qui guette la nature humaine, font un voyage sur la Lune pour tenter de trouver un moyen, afin de sauver ce qui reste de l'humanité. A la recherche de la graine (rare) productrice d'oxygène indispensable à la survie. «On trouvera une raison déraisonnable à tous nos malheurs»...paroles prophétiques de Géhef. D'où de nombreuses péripéties. Entre autres, des voyages sur la Lune, des cieux peuplés par des personnages hors du commun et surtout un monde onirique. Un monde à la fois surréaliste et atypique. Mais, un cri d'alarme à peine masqué. Avec, heureusement, un message d'espoir. Et, une invitation à réfléchir sur l'avenir de la planète...et sur le rôle effectif (souvent destructeur) des dirigeants. «Chez les Terriens, les génies volent et sont puissants. Ils vivent dans des lampes et font, des rêves de leur maître, une réalité», faisant passer leur monde du Déclin à l'Asphyxie.

L'auteur : née en 1989 à Tizi Ouzou. Etudes en pharmacie. Déjà auteure d'un premier roman, en 2008 («Les Voix du Hoggar», Ed. Dalimen)

Extrait : «La lente destruction de Terre a vu la progression en flèche de ces fabrications infernales, le tout orchestré par l'Homme mû par sa soif de pouvoir. Surproduction, spoliation des terres, constitution d'armées redoutables, coups d'Etat, génocides massifs, plus rien ne l'arrêtait. Ni la fonte des glaces, ni la perforation de la couche d'ozone, ni la mort progressive des forêts et de la faune, ni les attentats destructeurs...L'Homme devint l'instigateur de son apocalypse...» (p. 13).

Avis : Bel (et périlleux) exercice de style...et, surtout, une très belle couverture (signée Sarah Handala). Il n'est pas certain que ce roman du genre dit «Fantasy» connaisse le succès. Trop en avance, par son style et son récit (chez nous), sur son temps ? Espère me tromper !

Citations : «L'ignorance engendre bien souvent la crainte et la violence» (p. 26), «De tous temps, un bouc émissaire avait été désigné pour réunir toute l'amertume du peuple, lui-même sous le joug d'un puissant bourreau» (p. 45), «Un homme sans désirs, sans passions, sans envies ni buts n'est qu'une enveloppe charnelle condamnée à dépérir» (p. 88).



Ruptures. Roman de Mustapha Abdelkrim Toumi. El Fairouz Editions, Alger/Bordj el Bahri, 2016, 550 dinars, 177 pages.



Sofia, capitale de la Bulgarie. Hiver 1972. Cité universitaire. Deux étudiants de vingt-deux et vingt ans. Kader (Kad pour les intimes), l'Algérien et Nadia (Nad pour les intimes), la Bulgare. Le coup de foudre et le grand amour, l'amour fou?mais l'opposition des parents... le jeu trouble d'une tante, veuve et à la quarantaine bien affamée... puis l'exil de la bien-aimée à Budapest.

C'est donc l'histoire d'un couple mixte se rencontrant, mais aussi se découvrant et se recherchant dans une société (du «bloc» socialiste d'alors) certes accueillante (le nombre de boursiers était assez important dans la plupart des pays de l'Est européen, et ce depuis le temps de la Guerre de libération nationale), mais pas assez réceptive quand il s'agissait d'amour et d'union. La ligne rouge. Normal, malgré tout !

L'Algérie, c'est l'Afrique et ça paraissait bien loin ! Chacun des acteurs raconte et se raconte : d'abord Nad, puis Kad, les deux en 1972 et, bien sûr, l'inévitable ami, l'éternel témoin de nos joies et de nos peines, un peu fou, Ram, plus musicien qu'étudiant. Lui, raconte... mais en 1995. Car, il y a eu, entre-temps, le retour au pays. Les deux Ram en compagnie d'une épouse. Maintenant Kad est seul, vivant dans le souvenir de l'aimée. Le travail dans la même entreprise publique... en voie de faillite. Le terrorisme. L 'assassinat de Kad. Le départ de Ram pour la Bulgarie (rejoindre son épouse déjà partie, obligée de fuir le terrorisme). La rencontre avec la tante qui avait «cultivé» une certaine haine de l'autre et qui regrette d'avoir éloigné Nad de Kad, car entre-temps,la nièce était morte... d'avoir (trop) aimé.

L'auteur : Né en 1951 à Sidi Moussa (Tizi Ouzou). Etudes secondaires à Alger, puis bourse d'études (en Bâtiment et Travaux publics) à Sofia/ Bulgarie. Etudes en architecture en 1975 à Alger... Porté sur la poésie... Prix de la poésie en langue française par l'établissement Arts & Culture de la ville d'Alger, en 2011 et en 2014. Premier roman.

Extraits : «J'étais démuni, mais mon dénuement avait un sens, je pouvais tout découvrir et tout posséder, car je n'avais rien» (p. 94) «J'aurais tant aimé jouir de ma liberté, délivré de tout péril de vivre inutile et voir ceux d'en haut descendre constater que nous sommes comme eux ont voulu que nous soyons : les hommes d'un vaste pays, échoués sur une immense plage prolongée d'un grand désert. Des hommes qui n'ont désormais au cœur que ce qu'ils ont en poche» (p. 113) «La vie de tous les jours dans un pays comme le notre (note : l'Algérie) ne permet pas de prêter attention à une histoire d'amour digne d'un roman photo des années soixante» (p. 127).

Avis : Gentil roman. Une (très) belle histoire, émouvante, amour (sans eau de rose), drame et nostalgie mêlés... Ecriture poétique. Il y a, aussi, une description de la vie quotidienne en Algérie durant les (décennie noire ou rouge, mais terrible) années 90.

Citations : «Un couple s'use toujours... il n'y a pas d'amour qui ne soit un drame, et de choix il n'y en a que deux : l'oubli ou la mort» (p. 19) «Nous sommes pauvres et notre place est quelque part où il n'est jamais honteux de l'être» (p.105).

PS : 1/ Fait peu connu chez nous et ailleurs. L'idée de faire du 3 mai la «Journée mondiale de la liberté de la presse» est née en Afrique. C'est la Déclaration de Windhoek, signée le 3 mai 1991 par des journalistes africains (dont Zoubir Souissi du Soir d'Algérie et Omar Belhouchet, d' El Watan) réunis dans la capitale namibienne, qui a fait naître cette journée. Les journalistes ont porté à l'attention des Nations-unies le fait que «la création, le maintien et le renforcement d'une presse indépendante, pluraliste et libre sont indispensables au progrès et à la préservation de la démocratie dans un pays, ainsi qu'au développement économique». La Journée mondiale a été proclamée deux ans plus tard. Pour marquer le 25e anniversaire, l'UNESCO est revenue sur le continent et a tenu sa conférence internationale à Accra, la capitale du Ghana. Par un heureux hasard, ce pays anglophone a décroché la première place africaine au classement mondial de la liberté de la presse 2018 de «Reporters sans frontières».

2/ Le nombre de journalistes ayant perdu leur vie à cause de leur métier ne cesse d'augmenter : la Déclaration de Windhoek dénombrait 48 journalistes africains tués dans l'exercice de leurs fonctions entre 1969 et 1990, alors que les plus récentes statistiques de l'UNESCO recensent 97 décès sur le continent africain entre 2012 et 2016, sur un total mondial de 530. En 2017, 65 journalistes ont été tués sur la planète, et au moins 25 autres depuis le début de l'année, dont 10 à la suite d'attaques ciblées en Afghanistan, le 30 avril.

On rappelle seulement que l'Algérie a vu, hélas, 110 journalistes et autres travailleurs des médias assassinés par les terroristes islamistes entre 1993 et 1997 (9 en 1993, 25 en 1994, 44 en 1995, 23 en 1996 et 9 en 1997...26 de l'Entv, 11 de l' Enrs, 8 d'El Moudjahid-quotidien, 7 de l'Aps, 7 de Tda, 4 du Soir d'Algérie...13 femmes...et 1 étranger (celui-ci en 1994 à la Casbah d'Alger)...Il y eut, aussi, 1 journaliste assassiné le 6 mai 2011 (à Benraous/Baghlia) et un autre décédé suite à l'explosion d'une bombe artisanale, le 11 juillet 2013 (près de Khenchela)

3/ Dans la chronique du jeudi 17, une «coquille» a déformé une phrase du texte sur le camp de Lodi : Lire donc «Une moyenne de cent cinquante «pensionnaires» durant toute l'existence du camp de 1955 à 1960» et non «de 1965 à 1960»