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Allo ! Une question pour M. le maire...

par Saïd Mouas

Tous les samedis, la radio locale de ma ville invite dans ses studios un maire de la wilaya pour débattre des questions de développement concernant sa localité. Une émission qui, programmée un jour de repos et à une heure d'écoute conciliante, semble susciter un engouement particulier, notamment auprès des auditeurs habitant la commune, laquelle commune est passée, à travers les ondes, au scanner.

Le concept de cette émission n'est pas nouveau puisque la plupart des radios locales l'exploitent afin que le citoyen puisse donner son point de vue sur la vie de sa cité. Mais la singularité du principe réside ailleurs, précisément dans ces appels anodins à la limite de la délation et qui en disent long sur les frustrations vécues par les populations des villages et bourgs revendiquant leur part de progrès.

A entendre ces maires défendre leur bilan et évoquer les raisons qui font qu'un problème subsiste toujours ou qu'un autre est en voie d'être réglé, on ressent une certaine compassion à l'endroit de ces élus obligés d'entretenir l'espoir à défaut de surmonter les écueils du présent. Harcelés de questions, auxquelles parfois ils ne trouvent pas de réponses en raison du direct qui ne permet pas le recul nécessaire. Ainsi, ces mal-élus, mal- aimés sont acculés aux cordes tant et si bien que certains d'entre eux déclinent l'invitation de la Radio ou sèchent carrément l'émission après avoir donné leur accord. Sur le grill de l'animatrice surgissent des griefs accompagnés parfois de noms de personnes dénoncées en «live» et qui se trouvent, malgré elles, au centre d'une polémique. A l'instar de ce président d'APC accusé d'avoir favorisé ses proches et qui jurait par tous les saints du coin que rien de tel ne s'était produit dans sa commune précisant que seule une parente démunie et de surcroît mère de famille a mérité de figurer sur la liste des bénéficiaires de logements.

Et de se justifier en invoquant à l'antenne ce qui l'a poussé à renoncer à aider quelques proches dans le besoin. A-t-il fait preuve de justice en privant de leurs droits de citoyen des gens dont le seul tort est de porter le même nom que lui ? Quand dans d'autres communes moins exposées aux «fuites» une légion de resquilleurs et resquilleuses ont été infiltrés par les commissions entre 2002 et 2016, une période faste du secteur du bâtiment, notamment à Aïn Témouchent qui a été ébranlée par un tremblement de terre en Décembre 1999 et reconstruite grâce à un vaste programme de relogement. Il est vrai qu'à l'époque la radio n'existait pas encore. Dans la hiérarchie des élus du peuple, le président d'APC occupe sans conteste la place la plus ingrate. C'est à lui qu'on pense quand l'eau vient à manquer, quand l'éclairage fait défaut, le ramassage des ordures traine ou que la chaussée est boueuse. Des questions souvent gênantes posées par des auditeurs enhardis par l'anonymat du téléphone. Les maires qui ont subi l'épreuve de l'antenne en direct ressentent cela comme une douche froide. Ils se sont rendu compte au moins d'une chose : leurs administrés oublient souvent ce qui a été réalisé pour ne retenir que les points noirs. Ainsi le «face-à-face», selon le niveau des problèmes rencontrés par les habitants de la commune, est vécu différemment par les édiles. Il y a des maires qui s'en sortent sans peine grâce à leur assurance verbale et à leur bagout. D'autres, en revanche, faute de moyens, se projettent dans l'avenir promettant à leurs citoyens des lendemains meilleurs à la faveur des prochains programmes communaux ou sectoriels. Leur credo : «Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir». Les troisièmes enfin se déclarent pleinement engagés, mais leurs efforts demeurent contrariés par certains pairs de l'assemblée plus enclins à fomenter des coups bas qu'à mettre la main à la pâte.

Il reste que la grande question qui fâche à chaque fois qu'il y a des logements à distribuer ou des postes du filet social à affecter est à peu près la suivante: «Dites-nous, M. le maire, est-il vrai que vos proches ont bénéficié de privilèges? » Difficile d'échapper à la vindicte populaire, surtout lorsque l'évènement a pour cadre ces petites villes et villages où l'information circule à la vitesse de l'éclair. Mais après tout, il l'aura cherché, se disent au fond des concurrents disqualifiés aux élections. Alors, quel plaisir trouve-t-on à briguer un mandat de maire ? Par-delà les multiples pressions que charrie le quotidien des communes démunies, nos maires sont parfois confrontés à leurs propres limites. D'autant que le code communal ne leur octroie que des prérogatives secondaires.

Maire ou président d'APC

A la réflexion, et si en effet le président de l'assemblée populaire communal comme l'indique l'appellation n'est pas vraiment un Maire au sens plein du terme, c'est à dire avec tous les attributs que lui confère le rang qui est le sien dans les démocraties avancées. Le « Maire » dépouillé de ses prérogatives, agissant sous tutelle, est confiné dans des tâches de fonctionnaire, et quand le consensus au sein de l'assemblée le permet, il est accessoirement Président investi de responsabilité mais pas de pouvoir. L'APC est gérée par délibérations et celles-ci restent suspendues, selon leur nature, à l'avis du Wali, à celui du chef de Daira ou du contrôleur financier ou encore du receveur communal lorsque les termes d'une délibération prêtent à confusion ou sont en porte à faux avec les textes de Loi. Le P/APC, désigné à tort premier magistrat de la ville, a également la qualité d'officier de police judiciaire mais il peut être entendu par n'importe quel membre des services se sécurité. Représentant de l'APC il assiste aux cérémonies protocolaires et défend auprès du Wali les propositions formulées sous forme de fiches techniques lesquelles en dernier ressort sont acceptées ou rejetées par l'administration. L'espace d'évolution de l'élu en chef semble à l'évidence plutôt restreint face à l'hégémonie de l'Etat jacobin. Mêmes les mariages, traditionnellement célébrés sous les auspices du Maire avec son écharpe tricolore, sont délégués à ses adjoints. Conscients de ces difficultés rencontrés au quotidiens, ?'El Oummda'' tente de faire bonne figure en gardant toujours une œil sur ses pairs- détracteurs. En attendant que le nouveau code des collectivités réhabilite la fonction, d'aucuns estiment, après six mois de mandature, que les dernières promos d'élus ? Apc et Apw confondues- sont loin, hormis de rares exceptions, d'avoir souri aux hommes et femmes d'idées. Le FLN et le RND, les partis courtisés, continuent de propulser sur le devant de la scène politique des éléments fortunés ou opportunistes dont l'unique mérite est de côtoyer les gens de pouvoir ou leurs relais à l'échelon local. On s'en fiche à la limite que la collectivité soit devenue un espace d'ambitions personnelles et un tremplin de promotion individuelle car l'essentiel est de donner des gages de loyauté et d'allégeance. La gouvernance passe après.

Dans cet esprit, il n'est pas étonnant alors que l'on veuille sauver les meubles en organisant des cycles de formation aux élus pour les initier au métier de « Maire». Le paradoxe dans notre système de gouvernance réside dans le fait que l'on se soucie peu en amont des capacités managériales au moment du choix des candidats aux élections et qu'une fois les dés jetés, on s'emploie à colmater les brèches par des mesures en trompe l'œil comme le recyclage des élus. Prosaïquement cela s'appelle mettre la charrue avant les bœufs. Nous sommes probablement le seul pays au monde à programmer des stages au profit des élus du peuple, ce qui n'est pas une mauvaise idée en soi, mais les enjeux de la gouvernance locale exigent à la base des niveaux de compétence et d'assimilation qui correspondent peu ou prou aux profils actuels des élus. Le compagnonnage politique et son corollaire, la cooptation, ont provoqué trop de ravages. Et s'il est un seul indicateur pour conforter ce jugement, il émane de la tutelle elle-même. Sans appel et édifiant : sur les 1541 communes que compte l'Algérie, 951sont déficitaires et 60% de ce nombre se situe en milieu agricole et pastorale (Réunion Walis-gouvernement de Novembre 2016). En fait, c'est par les dotations budgétaires et les aides attribuées par le biais du F.C.C.L. que les collectivités arrivent à tenir la tête hors de l'eau. Mr Noreddine Beddoui a tiré la sonnette d'alarme en appelant les P/APC à se débrouiller et à s'impliquer dans l'amélioration de l'attractivité de leur territoire en valorisant leur patrimoine. Toute la question est de savoir comment ? Sachant que le champ des prérogatives du Maire est limité et que beaucoup de sources de financement lui échappent telles que le foncier industriel, les quotes-parts sur la TVA, la taxe d'habitation, l'impôt sur le patrimoine etc..

Sur près de 22 impôts et taxes locaux, six (06) seulement sont reversés à 100% à l'APC. D'autres leviers pourraient être prospectés dans le cadre d'un meilleur accroissement des ressources fiscales au profit de l'APC. Pour ce faire il est urgent d'actualiser les instruments juridiques notamment ceux touchant les volets financier et urbanistique en vue de renforcer les capacités de la commune et de faciliter l'investissement local. Mais cette approche novatrice et indispensable exige un niveau de maitrise dont sont dépourvus la majorité des élus. Quelle est l'utilité de la refonte fiscale et juridique en cours d'élaboration si ceux censés l'appliquer ne possèdent pas les pré-requis intellectuels pour en déceler la pertinence ? Constat aussi valable pour le reste des élus de l'APW, de l'APN et du Sénat qui débattent de sujets techniques comme la loi des finances. Nous avons encore en mémoire ce sénateur qui n'a pas pris une seule fois la parole durant les six années de son mandat.

Il serait long, ici, d'évoquer toutes les priorités auxquelles doit s'atteler un valeureux et vaillant P/APC afin d'assurer un minimum de réussite à sa préture. Allez ! Osons une question pour Mr le Maire : dans quel état avez-vous trouvé le sommier de consistance de votre commune et quelles taxes compter vous mettre en œuvre pour relever le budget de la ville ? Et puis, il y a ce projet CAPDEL en phase expérimental qui vise à associer la société civile au développement local par le truchement e la concertation entre toutes les parties prenantes à savoir, les citoyens, les élus locaux et l'administration. Peut être qu'en mobilisant l'intelligence humaine dans le cadre de la démocratie participative les APC parviendront à faire de cette synergie un facteur de progrès. Une perspective fort intéressante que le futur code des collectivités saura prendre en charge et surtout clarifier afin que les missions des uns et des autres puissent s'exprimer de façon cohérente et dans le respect des textes de loi. Parce que les « différentes expériences internationales indiquent qu'une décentralisation bien conçue, appuyée par des qualifications humaines importantes et des ressources adéquates serait un axe solide des solutions à apporter aux économies sans croissance convaincante » (Abdelhak Lamiri -Economiste)

Malgré toute leur bonne volonté. Combien sont-ils ces Maires à avoir une vision du développement de leur commune ? A dépasser les clivages politiques internes pour se hisser au niveau des exigences locales ? A s'imposer par leurs idées et leur compétence ? Et surtout à disposer de moyens tant matériels que juridiques consacrés par des textes pour entrer dans l'ère de la modernité ?

La radio de proximité a le mérite de lever le voile sur l'ensemble de ces aspects. Elle participe à sa manière au progrès démocratique. Et c'est tant mieux si cela permet de casser certains tabous. En attendant les télévisions régionales, le cheminement vers une meilleure appréciation de la qualité des gestionnaires locaux se dessine.

L'affrontement avec le public est un gage de transparence. Une de ses grandes vertus est justement de mettre à nu les insuffisances aussi bien des appareils politiques que des individus investis de responsabilités.