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En plus de la laideur, l'audace

par El Yazid Dib

En fait, il y a une certaine nature qui n'est ni belle ni laide. Elle est naturelle, tout simplement. C'est en fonction du coefficient du regard que l'on porte sur une chose ou sur un être que l'on acquiert à longueur de ce regard, une image et son évaluation. Le savoir apprécier, juger, consentir ou réfuter n'est pas un mouvement mécanique que l'on peut commander à distance pour le réguler en conformité de son avis. Aimer une chose est une liberté, la détester également.

Si la politique est une chose, le politicien en est une autre. Si l'économie est une politique, l'industrie en est une autre. Mais de là à en faire une chose forcément à aimer ou haïr ne sera qu'une gageure empreinte d'une dictature de vision. J'ai vu quelqu'un rejeter la rose à cause de ses épines. Comme j'ai vu l'autre chérir la figue de Barbarie pour le suc mielleux qu'elle dégage. Ainsi, il ne peut y avoir une beauté complète ni une laideur entière. Chacune d'elle contient en son sein un gramme de l'autre. Bonheur et malheur. Le malheur sera qu'en face d'une laideur d'âme l'on rajoute de l'audace et de la «solidité du visage». J'ai vu des speakers faire le gai luron dans la peau de tribuns politiques au moment où des leaders faisaient le mort dans la peau d'un sourire et d'une résignation. Chez ces derniers le silence comme la dérision sont, pensent-ils, la meilleure réponse à l'image que les premiers tentent de diffuser.

Il n'y aurait pas de souci de surprendre un rien devenir une somme, si toutefois il avait su accumuler biologiquement des ingrédients utiles à son évolution au gré du hasard, des circonstances, des accointances, des élections et des compromissions. Sans ça, en plus de sa laideur immatérielle il fait subir davantage son audace jusqu'à faire exploser les limites de toute tolérance. J'ai vu des «orateurs» à l'écran dans tout monde confondu, du politique, parlementaire au culturel nous faire torturer avec des atrocités parfois, non pas dans le verbe, mais mauvaisement dans cette machine idéologique invisible qui le produit.

Loin d'avoir une langue méchante plus poissée que l'encre qui coule dans le tube rachitique de nos stylos; nous devons tous faire notre repentir avec l'énorme espoir que nos pourfendeurs se tairont et ne lâcheront pas les cieux qu'ils détiennent sur nos têtes. Il semblerait qu'ils nous assurent le pain, le gîte et le rite. Qu'ils votent des lois pour notre santé, nos identités, nos commerces, nos écoles et nos conjoints. On n'a pas à bouder le pays, ni les martyrs, ni le 08 mai, ni la retraite des flambeaux, ni huer au 05 juillet l'hymne et l'étendard. La grogne est en nous, dans nos stades, aux profondeurs de nos sous-sols, dans le rachat de raffineries, sur les planches de nos théâtres, dans les faux galas, dans le grand rififi des droits d'auteur. Notre culture est en souffrance, elle n'a plus cette connotation algérienne globale et plurielle où toutes les langues et sensibilités y arrivent à se juxtaposer sans s'interposer l'une à l'autre. De jour en jour elle s'engouffre dans un habit pour habiter une cellule moyen-orientale en faisant d'une seule expression la seule constance littéraire ou artistique nationale.

Si l'on se sent intérieurement un peu laid ou environné extérieurement de peu de laideur, il ne faut pas s'en rajouter de l'audace et de l'impudence. La beauté peut se trouver là où l'on sait l'aimer, là où l'on sait admirer ses contours à même parfois de contrarier Allah ghaleb sa prétendue beauté. Ramadhan en toute beauté.