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ÊTRE LIBRE !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Promesse de bandit.Roman de Ahmed Gasmia. Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou 2018, 600 dinars, 199 pages



Début de l'été 1988. Dans les steppes algériennes. Soleil pesant, air chaud, vent sec. Une taverne. Et, un tout jeune homme qui, déjà, se prend pour le «prince du désert», le «maître des routes», au sabre qui «coupe», au cheval «rapide»... Hafnaoui Dayem Ben Messaoud, bandit d'honneur ? Ou bandit tout court ! En fait, un petit «voleur de chèvres», un vulgaire détrousseur qui ambitionne d'être un brigand célèbre, craint et respecté. Le vin aidant, tous les rêves sont permis !

Emporté par son rêve, une grande aventure va alors commencer... dans un monde où «il n'y a que des bandits». Car, «personne ici n'a de patrie» et où «il n'y a que l'or et l'argent qui comptent». La rebellion de Bouâmama et des Ouled Sidi Cheikh est bien loin. La chance, le hasard, le bluff et, surtout, une certaine inconscience vont l'entraîner à la rencontre de bandits de grand chemin, ceux-çi bien organisés et dirigés par un vrai «aigle du désert». Assez vite adopté, il réalisera quelques prouesses, échappant à tous les pièges... Il jouera même bien des tours à l'armée coloniale qui commençait à s'installer aux portes du Sahara, dans le fort de Sidi Serhane, et il arrivera à s'allier (en épousant Zeineb, la plus belle fille de la tribu) à une famille respectable et respectée de la région... une famille qu'il a su réunir autour... d'un (précieux) trésor retrouvé... une photographie regroupant toute la famille il y a de cela très longtemps, au temps du bonheur familial et de l'innocence ! Une «chose» inadmissible car diabolisée pour l'époque. Mais, comment cela a-t-il pu arriver ? Grâce... à Joseph,Youcef le Roumi, un commerçant vivant parmi les autochtones de Sellama, propriétaire d'un appareil photographique à trépied. La technologie, déjà, instrument de solidarité et de réconciliation ?

L'Auteur : Né en 1973, journaliste. Auteur de romans d'aventures (dont «Complot à Alger», Casbah éditons, 2007)

Extraits: «Les steppes algériennes... Le vaste désert de pierres... Sans jamais l'avoir domptée, des Bédouins intrépides ont apprivoisé cette terre sauvage où la chaleur, comme le froid, pouvait être mortelle» (p 5), «Comme dans la première photographie, les enfants de Yahia se tenaient devant leur demeure sous un arbre, exactement au même endroit. A cet instant précis, ce n'était plus une photographie qu'on prenait, mais une passerelle qu'on érigeait entre deux époques, un lien entre un bonheur passé et l'espoir d'une vie meilleure» (p 199)

Avis : Un vrai roman d'action et d'aventures... et les débuts de la résistance (encore mal conçue) à la pénétration coloniale au sud du pays.

Citation : «Dans ce vaste désert, les trésors n'étaient finalement pas que des mirages impalpables, ils pouvaient être mortellement réels» (p 112).



Cubaniya. Roman De Jaoudet Gassouma. Chihab Editions, Alger 2017. 800 dinars, 144 pages.



Le personnage central du roman s'était fait un devoir de réaliser un reportage sur cette nouvelle notion de résilience vue par les Cubains, cette propension au système D, ou système C, comme Cubanité... Cette fameuse Cubaniya «qui reste unique comme esprit dans le monde par le sens inné du «contournement» des lois cubaines qui, dans le genre surréaliste et bureaucratique, sont un exemple».

Le voyage, assurément organisé, d'un groupe de journalistes dont un photographe «expérimenté» et une consœur un peu «paumée» (dans un pays mythifié et longtemps (toujours) fantasmé, pays de Fidel et du Che (El Kho de la Mecque des révolutionnaires ), pays de «la victoire ou la mort» , pays ayant fait face au plus long et au plus dur embargo du monde, pays du cigare, du «cuba libre», de la salsa et de la rumba, du «vieil homme et la mer»... et des filles, encore des filles, toujours des filles très, très... trop belles.

Donc, l'histoire de la découverte du pays... avec, au passage, des rencontres, des découvertes, des silences, des regards éteints, des déceptions mais aussi des rires, de la joie ( ?) de vivre, de la danse, de la musique... et des rencontres dont la plus heureuse est celle avec la jeune, la magnifique et l'explosive Yusa (qui a la chance d'être la fille unique et ô combien gâtée d'un colonel de l'armée, ce qui, en pays «géré d'une main d'acier», facilite les choses en matière de libertés, de contacts et de moyens d'hébergement et de subsistance ). Voilà qui va faire oublier tous les chagrins d'amour récoltés au pays. Voilà aussi qui va amener le narrateur, dont on ne connaît pas le prénom, et dont on peut supposer que c'est une «partie» de l'auteur ou de son imagination de poète-écrivain ( !?), à raconter le périple en faisant le parallèle avec le pays, avec La Havane et Alger. Ainsi, on a eu droit à une longue digression sur la situation socio-politique (pp 61-71)

L'Auteur : Ecrivain, journaliste, plasticien, réalisateur, il a produit plusieurs ouvragest, a écrit dans de nombreuses revues spcialisées et a participé à la décoration de plusieurs films. Troisième roman (un premier, «Zorna» en 2004 (Prix Apulée de Madaure 2005), aux Editions Chihab, et un deuxième, «Tsériel ou les yeux de feu» en 2008, aux Editions Alpha)

Extraits : «Cuba est un programme permanent, un slogan ressassé, des couleurs insistantes, des paroles répétées, une vie résumée par des discours politiques, interminables, insistants, pavloviens. Pourtant, aujourd'hui, dans la survivance, l'objectif du jour reste d'assurer sa pitance coûte que coûte» (p 37), «La victoire ou la mort», mais de quelle victoire parle-t-on encore !?... La mort nous l'avons connue, et nous avons même flirté longuement avec elle, mais la victoire, elle !!!???»(p 55)

Avis : Un roman... de la belle prose, sur un pays, une ville, un peuple (et, en filigrane, un système politique) qui ont su dominer les vicissitudes de la vie quotidienne, la misère créée par l'embargo, les espoirs perdus, les héros oubliés... De l'amour, de la nostalgie. Beau et triste à la fois. Belle couverture avec une (très) belle photo, signée de l'auteur. Sans commentaire. Tout y est !

Citations : «Cuba n'est pas seulement une destination, c'est un fantasme devenu réalité. D'autres viennent pour le mythe, l'histoire, la révolution, la nostalgie, les faux-semblants éditoriaux sur ce peuple si enjoué, si gai, qui résiste malgré tout à tous les embargos» (p 39), «A-t-on déjà vu des slogans mettre des vitamines dans l'assiette, des pommes de terre à éplucher, et du lait dans les bols ?» (p 47), «Discuter, partager, s'interroger est un art et, ici, cela reste un exercice difficile, presque une sorte d'autisme dans un monde de musique» (p 47), «La révolution, pour certaines personnes, est un tour complet, un départ vers d'autres circonvolutions, modernes, appliquées. Mais, pour bon nombre d'autres, elle est, avec le temps, l'expression d'un tour complet, sur place» (p 50), «La rue appartient içi à ceux qui se lèvent tard, chômage oblige» (p 74), «Que ce soit en Algérie, à Cuba ou au Mozambique, une révolution n'est pas évidente, pas du tout facile. Peut-être laisse-t-elle des enfants, et peut-être laisse-t-elle des bâtards, qui sait comment les révolutions vieillissent ?» (p 77), «Je ne sais pas s'il est suffisant d'être seul à aimer quand on est deux ?» (p 135)



L'étranger. Roman d'Albert Camus. Editions Talantikit(collection Grands textes classiques), Bejaia, 2007, 600 dinars (acquis chez un bouquiniste), 142 pages.



Un livre «considéré par le grand public comme étant le meilleur roman du XXè siècle». Peut-être. Ce qui est certain, c'est que ce roman (et son auteur) a été et reste encore (et, chez nous bien plus qu'ailleurs, tout particulièrement ces dernières années) le plus lu, le plus analysé, le plus discuté. L'auteur bien plus que le roman lui-même, mis à part l'ouvrage de Kamel Daoud ! Il est vrai que les prises de position assez «tièdes» de Camus (à l'inverse de Sartre, son «ennemi intime»), lors de la guerre de libération nationale et surtout sa fameuse phrase objectivement malheureuse face à une question, en public, jugée «provocatrice», lors de la cérémonie de remise du Prix Nobel... lui qui s'était (dans le roman) peu soucié de l'état de santé de sa maman, bien qu'il l'aimait beaucoup, comme tout méditérranéen, ont fait oublier son passé de militant communiste, son travail de journaliste au sein de la rédaction d'«Alger Républicain» dénonçant, entre autres, dans un reportage fameux, la «misère en Kabylie» et ses tentatives «réconciliatrices» durant la guerre. Pas assez ! Trop tard !

Reste l'œuvre. Meurseault : un personnage hors du temps. Ni riche, ni pauvre. Ni instruit, ni illétré. Ni pratiquant, ni athée. Ni amoureux, ni dépourvu de sentiments. Ni travailleur, ni fainéant. Fait de mère et de soleil. Se suffisant de manger, de dormir, de manger juste ce qu'il faut pour survivre, de profiter au maximum du soleil, de se baigner, de boire, de b... Un extra-terrestre. Bref, un «étranger» au pays, ne sachant que, par hasard, le territoire est habité par des «Arabes»... des sortes d'«empêcheurs» de «jouir» des «mauresques» et de la vie. Le soleil, trop éclatant et des circonstances particulières aidant (la solidarité raciale et le port d'une arme à feu), qu'y a-t-il de plus facile ( !?), à défaut de les ignorer, que de les éliminer ?

Il sera condamné à mort, par la justice coloniale, véritable «mécanique qui écrasait tout» : il aura la tête tranchée sur la place publique au nom du peuple français. Non pour ce qu'il a commis comme crime (un Arabe, pensez-vous ?) mais surtout parce que «monstre moral», il n?a pas assez aimé... sa mère.

L'Auteur : Né à Drean, ex-Mondovi, (près de Annaba, ex-Bône) en novembre 1913. Fils d'un ouvrier agricole et d'une femme de ménage d'origine espagnole. Elevé (à Belouizdad, ex-Belcourt) par une grand?mère autoritaire et un oncle boucher... Il y «apprend la misère». Lycée, football, bac en 1932, militant communiste (35-37), études de philosophie, petits boulots, animateur de théâtre, mariage, militant dans un mouvement de résistance en 1942, journaliste... et ouvrages («L'Etranger», «Le Mythe de Sisyphe»...). Mésentente avec les surréalistes (A. Breton) et les existentialistes (J-P Sartre). Octobre 57, 44 ans: Prix Nobel... dédié à son institueur de Cm2 «qui lui a permis de poursuivre ses études». Mais, le même jour, une réponse publique «malheureuse», en liaison avec la «guerre d'Algérie», sur le choix entre la mère et la justice. Une attitude décrite comme «douloureusement circonspecte et régressive» (A. Cheurfi).

4 janvier 1960 : il se tue dans un accident de voiture. Il l'avait empruntée à son éditeur, M. Gallimard. Dans une de ses poches, il y avait un manuscrit inachevé et... un billet de chemin de fer. Albert «pas de chance» ! Il a tout «esquivé» sauf un arbre sur la route de Paris.

Extraits : «Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : «Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués». Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier» (p 9) , «Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine» (p 142).

Avis : Un (petit...par le nombre de pages, ce qui démontre que la quantité n'entraîne pas forcément la qualité) livre qui résume le mieux l'étrange «amour» de (presque) tous les pieds?noirs pour le pays «natal». En fait, ils n'aimaient que son soleil, et tout le reste leur était «étranger». Et, en fait, peut-être, une voie originale pour Camus, l'ancien jeune communiste et l'ancien journaliste d'investigation d'«Alger Républicain», un «fils de pauvres», de dénoncer ?sans remettre en cause, il est vrai - une situation sociétale absurde menant inéluctablement à la mort d'une société enfermée dans sa bulle et d'un système d'apartheid ne disant pas son nom.

Citations : «Sans doute, j'aimais bien maman, mais cela ne voulait rien dire. Tous les êtres sains avaient plus ou moins souhaité la mort de ceux qu'ils aimaient» (p 78), «Au début de ma détention... ce qui a été le plus dur, c'est que j'avais des pensées d'homme libre... Ensuite, je n'avais que des pensées de prisonnier... J'ai souvent pensé alors que si l'on m'avait fait vivre dans un tronc d'arbre sec, sans autre occupation que de regarder la fleur du ciel au-dessus de ma tête, je m'y serais peu à peu habitué» (p 91), «Un homme qui tuait moralement sa mère se retranchait de la société des hommes au même titre que celui qui portait une main meurtrière sur l'auteur de ses jours» (p 119)



PS : Une librairie pour la vente des livres édités en Algérie sera (selon la presse) bientôt ouverte à Paris, annonce-t-on! Pourquoi pas ? Cependant, on aimerait bien savoir, avant de décider, si cette présence (qui ne peut objectivement qu'être coûteuse en euros, en tout cas au départ) est souhaitée par quelque(s) individu(s) souhaitant voir ses (leurs) ouvrages distribués (on connaît la marge entre ce qui est distribué et ce qui est effectivement vendu) en France... alors que, peut-être, ils ne trouvent pas beaucoup de preneurs en Algérie même... Ou, si c'est une présence imposée par un appel réel et rentable (disons... pas déficitaire) du marché français. Il existe, par ailleurs, un «Centre culturel algérien» qui pourrait (devrait ?) prendre en charge (ou participer à ) la diffusion de la production nationale d'ouvrages et d'œuvres musicales. Il est, aussi, possible, côté ministère du Commerce, de soutenir (au moins favoriser) la commercialisation à l'étranger (par voie électronique entre autres) par des libraires et /ou des éditeurs nationaux (mais sans favoriser X ou Y et dans la transparence commerciale) des productions nationales. «Chacun son métier, / Les vaches seront bien gardées !» (Florian, Fables, 1792) .