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Les Etats-Unis attaquent la Syrie: La violation du droit au nom du « droit »

par Abdelhak Benelhadj

« Les empires n'ont pas d'amis. Seulement des ennemis et des vassaux »

Dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 avril, Washington, Paris et Londres ont mis leurs menaces à exécution et ont mené des frappes contre la Syrie de Bachar el-Assad, en représailles à l'attaque chimique présumée dans la Ghouta. Après avoir hésité en août 2013 et attaqué une base en avril 2017, Washington passe à une nouvelle étape : plus de cibles et plus d'acteurs.

Partition des tâches : « Un site a été frappé par la France, un autre par les Etats-Unis et un autre conjointement par la France et l'Angleterre », précise E. Macron sur l'opération. D. 15 avril sur RMC/BFMTV

L'attaque a reçu le soutien de l'Arabie saoudite mais aussi de la Turquie, un autre acteur ambiguë de l'échiquier syrien, dont le président Recep Tayyip Erdogan a salué une réponse « appropriée » aux « attaques inhumaines » de Damas.

Une multitude de questions : quelles raisons, quelles justifications ? Fondé sur quel droit ? Pour viser quels objectifs ?

L'indignation à la bouche le président américain déclame : « Le régime syrien a à nouveau procédé à une attaque chimique pour massacrer des civils innocents. Ceci n'est pas l'œuvre d'un être humain mais bien le crime d'un monstre. »

Les Etats-Unis d'Amérique attaquent la Syrie, sur la base de justifications qui ressemblent à celles dont Washington avait usées pour attaquer l'Irak en mars 2003 et qui se sont révélées après coup n'être qu'un grossier montage fallacieux plus proche du banditisme que de la diplomatie, impliquant des chefs d'Etats, des ministres, des généraux... et une ribambelle de « correspondants » qui n'ont rien d'honorable.

De quoi récuser en doute les motivations et les objectifs de cette opération. Pour l'Irak c'était les Armes de Destruction Massives, pour la Syrie, ce sont les bombardements chimiques.[1]

L'armée russe a affirmé que la défense antiaérienne syrienne était parvenue à intercepter 71 des 103 missiles de croisière lancés par les Etats-Unis et leurs alliés. «Cela témoigne de la grande efficacité de ces systèmes (antiaériens) et de l'excellente formation du personnel militaire syrien formé par nos spécialistes», a déclaré le général russe Sergueï Roudskoï lors d'une conférence de presse

À la demande de la Russie, une réunion du Conseil de Sécurité a été tenue samedi 14 avril pour examiner une Résolution condamnant l'attaque de la Syrie. Seules, avec la Russie, la Chine et la Bolivie ont voté en faveur du texte qui a été, c'était prévisible, repoussé.

Exposé des motifs. Quelles preuves ?

Repères.

1.- Les armes chimiques ne sont pas militairement efficaces. C'est d'ailleurs pourquoi il n'en fut fait usage pendant la seconde guerre mondiale. Les épandages américains d'« agent orange » très concentré pendant la guerre du Viêt-Nam étaient toxiques (composé de dioxine, merci Monsanto !) mais le but premier n'était pas homicide : c'était un désherbant qui visait à exfolier les forêts pour empêcher les combattants vietcongs de se cacher et au passage d'affamer les paysans accusés de les soutenir.[2]

2.- Les troupes syriennes étaient en phase finale de leurs opérations. La victoire de la Syrie était assurée. Rien ne pouvait justifier une telle attaque à l'évidence contre-productive, sachant de plus les Occidentaux à l'affût de ce genre d'initiative, une « ligne rouge » aux lèvres.

3.- Il n'y a aucune preuve d'une attaque chimique. Seulement des soupçons et des hypothèses réitérées à plusieurs reprises depuis 2013.

4.- A supposer le fait avéré, rien ne permet d'affirmer de manière catégorique que l'armée syrienne en était l'auteur.

5.- Une enquête internationale de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), avait été dépêchée pour faire le point sur ces questions. Ses experts étaient en route pour la Syrie et devaient commencer leur travail samedi. Le jour même choisi par les Etats-Unis pour bombarder la Syrie...

6.- Les Occidentaux se ménagent une position « infalsifiable ». Ou bien les enquêteurs trouveront des traces de produits chimiques et ils s'écriront : « Nous avions raison d'attaquer ! ». Ou bien, rien ne sera découvert et alors ils diront soit : « C'est normal, le temps a effacé les résidus chimiques », soit : « Les syriens ont pris le temps pour tout faire disparaître ».

Ce n'est pas une hypothèse farfelue. Ecoutons les justiciers : « Les Russes pourraient avoir visité le site de l'attaque. Nous craignons qu'ils ne l'aient altéré dans l'intention de contrecarrer les efforts de la mission de l'OIAC », spécule lundi Ken Ward l'ambassadeur américain auprès de cette organisation.

Le droit et la guerre.

Pour se permettre d'attaquer un membre souverain de la communauté internationale, il a bien fallu avoir recours à des arguments solides pour le justifier.

Le président français avait sollicité le droit international, lors de son dernier entretien télévisé sur TF1 pour expliquer la position de la France prête à user de la force contre la Syrie. « Nous avons la pleine légitimité internationale » « Nous n'avons pas déclaré la guerre à Bachar-al-Assad, nous avons simplement oeuvré pour que le droit international, les résolutions du Conseil de sécurité, ne restent pas lettre morte » déclare E. Macron le dimanche 15 avril sur RMC/BFMTV.

On se perd en conjecture. A l'écouter on se demande si l'on pratique la même langue française.

Comment le président français peut-il soutenir qu'on n'a pas déclaré la guerre au président syrien alors qu'on a bombardé son pays et qu'avant cela des militaires français s'affairaient clandestinement sur le terrain sans y avoir expressément été invités ?

A moins que E. Macron reprenne à son compte les projets d'assassinat de Bachar El Assad ourdis par son prédécesseur F. Hollande et son ministre des affaires Etrangères, actuellement confortablement installé à la tête du Conseil Constitutionnel...

La légitimité internationale s'obtient par l'aval de ses institutions. Or, il ne semble pas que les Nations Unies aient mandaté quiconque pour bombarder la Syrie.

A quel droit faisait-il donc référence ?

En réalité E. Macron sait parfaitement de quoi il parle. S'il prend soin de préciser que les forces françaises ne se sont pas prêtées à un acte de guerre, c'est pour contourner, comme tous ses prédécesseurs l'alinéa 1er de l'article 35 de la Constitution « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement » qui n'a jamais, été mis en application sous la Vème République. Les opérations militaires menées par la France n'ont pas pris la forme, les gouvernements s'en sont bien gardés, d'une déclaration de guerre.[3] Ni au Liban, ni en Irak, ni en Afghanistan, ni au Mali, ni... Les alinéas suivants, votés en catimini en juillet 2008, autorisent une grande liberté de guerroyer sans avoir à rendre compte au Parlement.

Un exécutif de la IVème République qui abuse des prérogatives que lui confère la Constitution de la Vème.

F. Mitterrand, après avoir longtemps diabolisé le « Coup d'Etat permanant », assis sur le trône, il s'est fort bien accommodé des pouvoirs qu'il lui conférait. Le « pragmatisme » de la victime de l' « attentat de l'Observatoire » a fait jurisprudence et le Général est universellement célébré.

M. Castaner « Si les conditions sont réunies pour qu'il y ait des frappes, elles auront lieu, on informera l'Assemblée nationale et le Sénat le moment venu, mais il est important que cela relève aussi du secret, parce que c'est la protection des intérêts de la France qui est en jeu et c'est aussi la protection des civils ».

Il ne s'agit pas ici de lever le secret sur des opérations militaires. Il s'agit d'éclairer les Français sur les motifs du déclenchement d'une guerre illégale au regard des lois internationales, contre un membre souverain, membre des Nations Unies, entreprise en leur nom. Cela, sans qu'à aucun moment la Syrie n'ait menacé la sécurité ou la prospérité de la France ou des Français.

Cela va plus loin.

Le refus des autorités françaises d'assumer une déclaration de guerre ne procède pas d'une seule dérobade ou jonglerie constitutionnelle et juridique.

Elle peut aussi être interprétée comme une volonté d'humilier les gouvernants syriens. La France n'entre pas en guerre contre n'importe qui. En gros, la Syrie n'est pas digne de se poser en un ennemi qui mérite qu'on lui déclare la guerre. Au mieux une canaille à corriger. Un peu comme sous l'Ancien Régime, un gentilhomme ne saurait être offensé par un manant qui ne mérite pas de recevoir un gant et ni croiser le fer avec lui. On le châtie par un domestique.

Pendant longtemps la « Guerre d'Algérie » n'avait été tenue par Paris que pour un rétablissement de l'ordre public, une opération de police ou de gendarmerie contre des rebelles barbaroïdes.

Le président syrien avait été fait Grand-Croix (le grade plus élevé) de la Légion d'honneur par le président Jacques Chirac en juin 2001, peu après avoir succédé à son père Hafez al-Assad à la tête de son pays.

Le surlendemain des bombardements de la Syrie, l'Elysée ordonne une procédure de retrait de la Légion d'honneur attribuée au président syrien. Le Roi Soleil dégrade et congédie.

Une mise en train pour le jour où un président français se proposera de déchoir d'autres obligés opportunément décorés lorsqu'ils auront perdu tout intérêt tactique ou stratégique. Par exemple Mohammed ben Nayef, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur du gouvernement de Ryad, alors prince héritier, discrètement médaillé par F. Hollande en mars 2016. Depuis, l'héritier éjecté de l'avenir généalogique des Ibn Saoud n'hérite de plus rien. L'Oncle Sam s'est dégoté un nouveau roitelet qui a remis de l'ordre dans un royaume « modernisé ».

L'ancien président français en aura décidément accumulé des ratés au cours de son quinquennat.

La vertu ne peut être prêchée que par ceux qui l'honorent et la pratiquent. De la « monarchie républicaine » gaullienne, il ne reste que les oripeaux. De l'époque où la « raison d'Etat » n'était pas mis au service du cyniquement. E. Macron se défend : les trois grandes puissances étaient intervenues pour « l'honneur de la communauté internationale ». Ce sont souvent ceux qui l'ont perdu qui en parlent le plus.

Les règles des Nations Unies en vigueur prévoient trois motifs autorisant l'usage de la force :

1.- Un feu vert du Conseil de sécurité (chapitre VII de la Carte des Nations Unies), en l'occurrence inefficace du fait des veto russes appuyés par ceux de la Chine ;

2.- Une demande express du pays hôte qui sollicite l'aide de la Communauté internationale ou de l'un de ses membres (c'est à ce titre que la Russie est présente en Syrie) ;

3.- L'article 51 de la Charte permettant d'invoquer la « légitime défense » d'un ou de plusieurs membres.

C'est à cet article que F. Hollande se proposait d'avoir recours en 2013, prétendant que la Syrie hébergeait des « terroristes » menaçant son pays.

A supposer la Syrie coupable des crimes dont on l'accuse, rien dans le droit international n'autorise quiconque à recourir à la force pour la sanctionner et la punir.

« La violation des conventions (comme le CIAC, par exemple) n'ouvre aucun droit au recours à la force », avait averti Françoise Saulnier, directrice juridique de Médecins sans frontières (MSF). Sauf éventuellement à servir d'argument auprès du Conseil de sécurité actuellement bloqué.

Il est un fait : les Etats-Unis ont guerroyé sans aucune couverture légale. Mais qui réellement s'en préoccupe ?

« Au nom de quoi la France, les USA auraient-ils le droit de bombarder un Etat, au nom de quoi? » s'insurge à raison Didier Billion, expert à l'Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS). (AFP, V. 13/04/2018)

A défaut de légalité, une légitimité morale ? Une « guerre juste » ? Une « guerre préventive » ? Une « guerre humanitaire » à la Kouchner ?

« Il n'y avait pas de doute, il fallait frapper », assène F. Hollande lors d'un point presse à Tulle, samedi 14 avril. « Il aurait été préférable que le Conseil de sécurité donne un mandat, mais chacun sait que la Russie bloque le Conseil de sécurité. Dès lors, il n'y a avait pas d'autre voie que de procéder comme il a été fait », argumente F. Hollande qui ne semble pas avoir compris pourquoi les Français ne voulaient plus de lui.

« Cela répond à l'idée qu'il y aurait une sorte de droit international humanitaire relevant de la ?responsabilité de protéger'. Mais ce n'est pas une notion gravée dans le droit international », souligne Patrick Baudouin, avocat et président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH).

« Responsabilité de protéger, droit d'ingérence : ce sont des concepts vides de toute notion de droit qui permettent de justifier l'emploi de la force en dehors de tout cadre de responsabilité », renchérit Françoise Saulnier de MSF. « La légalité morale, c'est le piège absolu, parce que ce qui est moral pour vous ne l'est pas pour moi, etc... C'est un écran de fumée insupportable », conclut Didier Billion.

Si le comportement des Russes et des Syriens est moralement condamnable, que penser alors de celui d'un président à propos duquel James Comey, l'ancien chef du FBI, dit : « Je ne crois pas qu'il soit médicalement inapte. Je crois qu'il est moralement inapte à être président » ?[4]

Gesticulations, contradictions, incohérence, un langage violent et parfois vulgaire dans la bouche d'un homme d'Etat qui s'affranchit de tous les codes, armé d'une mitrailleuse à tweets et se targue d'être imprévisible, aléatoire comme Dieu. Pour brouiller les pistes. Que les simples mortels se débrouillent pour y trouver un sens.

Les présidents français (l'actuel qui bombarde et le précédent qui aurait bien aimé pouvoir le faire) ne font reposer leurs arguments en réalité que sur un rapport de puissance aujourd'hui en leur faveur, face à un pays sérieusement affaibli.

Le discours vague sur une commisération humanitaire d'ordre moral élevé présumant d'une affection particulière pour le peuple syrien et des principes n'a qu'une valeur rhétorique.

Les justiciers du samedi 14 avril auraient été plus légitimes et leur cause peut-être plus défendable, si leur indignation s'était penchée indifféremment sur le calvaire de tous réprouvés que connaît notre monde. Par exemple, celui des Rohingyas exterminés ou chassés de leur pays. Celui des Palestiniens martyrisés depuis 70 ans. Ou encore celui des Yéménites qui meurent par milliers.

Qui a songé à envoyer un ultimatum à Myanmar, à Israël ou à l'Arabie Saoudite ?

Bien au contraire, les Etats-Unis brandissent leur veto contre tout projet de Résolution condamnant Israël. Mieux, les Etats-Unis en décidant de déplacer leur ambassade à Jérusalem (confortant les Israéliens qui veulent en faire leur capitale), violent délibérément le droit international et les Résolutions du Conseil de sécurité.

Leur 43ème veto sur cette question a été utilisé en décembre dernier : Washington seul contre tous les autres membres, 1/14. Avec les légions de l'AIPAC dans le dos. Entre autres : Israël a toujours plus d'une ambassade dans les pays qui le reconnaissent. Toutes ces confusions débouchent sur une « diplomatie de la canonnière ».

Le bombardement aérien est accompagné d'un bombardement médiatique intense qui sature les défenses adverses : une dizaine de milliardaires possèdent en France 90% des journaux. C'est aussi cela la liberté d'expression dans la « Patrie des droits de l'homme ».

Qui bombarde ?

Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France. Chacun d'eux, par-delà les buts de guerre explicites, a des raisons de dissoudre les problèmes locaux dans lesquels ils sont empêtrés, dans des conflits extérieurs auxquels ils voudraient mêler l'humanité. C'est, pour ainsi dire, de bonne guerre. Il est vrai que l'opposition démocrate n'a pas accepté le verdict des urnes et ne cesse de remettre en cause la légitimité de D. Trump. L'exécutif britannique est empêtré dans son Brexit et le président français a du mal à continuer à « marcher ».

Le poids relatif des uns et des autres mériterait d'être soulignés : la coordination de l'opération et l'essentiel des frappes sont américains qui dominent toute la logistique et l'information tactique, le pointage des cibles, par exemple. Les deux autres pays n'ont joué qu'un rôle marginal, exagéré dans les discours à Paris et à Londres pour des raisons purement locales.

«J'ai ordonné aux forces armées des Etats-Unis de lancer des frappes de précision sur des cibles associées aux capacités du dictateur syrien Bachar al-Assad en matière d'armes chimiques», a déclaré le président américain Donald Trump. «Une opération combinée est désormais en cours avec la France et le Royaume-Uni, nous les remercions tous les deux».

Le président américain remercie la France et la Grande Bretagne comme un maître d'œuvre remercie des collaborateurs « qui ont donné un coup de main ». En l'occurrence surtout médiatique, car l'opération est quantitativement surtout américaine et sa coordination était assurée par l'OTAN.

Au cours de l'entretien télévisé diffusé sur BFMTV/RMC et Mediapart, E. Macron avait affirmé que la France avait « convaincu » M. Trump « qu'il fallait rester dans la durée » en Syrie.

Démenti quelques heures plus tard de la Maison Blanche : la mission des forces américaines déployées en Syrie n'avait « pas changé » et que le président Donald Trump voulait qu'elles rentrent aux Etats-Unis « dès que possible ».

« J'ai raison de dire que les Etats-Unis, parce qu'ils ont décidé avec nous[5] cette intervention, ont pleinement réalisé que notre responsabilité allait au-delà de la lutte contre Daech et que c'était une responsabilité aussi humanitaire sur le terrain et une responsabilité dans la durée pour construire la paix », ajoute M. Macron.

La question ici n'est pas de savoir si les Américains s'en iront ou pas. Ils ne le feront sûrement pas car ce serait comme on le sait contraire à leurs intérêts et à ceux de leurs alliés dans la région (Israël notamment), même si demeurer par la force dans un pays c'est contraire au droit. Mais nous savons ce que Washington pense du droit quand il n'est pas à leur service...

La question ici concerne les relations entre les Américains et ceux de ses « alliés » qui les ont accompagnés dans cette équipée guerrière. Emporté par l'emphase jupitérienne qui lui donne une allure de potentat de droit divin, le président français a été ramené aux réalités et a été vertement remis à sa place par un Empire ombrageux qui ne souffre pas qu'une « maison mineure » lui fasse de l'ombre.

Le titre de la dépêche de l'AFP qui rapporte les propos de l'Elysée fait sourire : « Macron: Paris et Washington en phase sur la fin de l'engagement militaire en Syrie. » (AFP, L. 16/04/2018)

Cette humiliation n'est pas la première. D. Trump a été accueilli en grandes pompes à Paris en juillet dernier. Le faste de la réception a été tel qu'il avait cru que le défilé du 14 juillet avait été organisé en son honneur... Cela ne l'a pas empêché de confirmer son refus de rallier les conclusions de la COP21, l'unique réussite du quinquennat Hollande.

La question de la co-décision a été réglée depuis longtemps. Pour l'essentiel : du 15 au 16 décembre 1962, le président français Charles de Gaulle s'entretient avec le Premier ministre britannique Harold Macmillan à Rambouillet à propos des futurs vecteurs qu'il lui proposait de fabriquer ensemble (idée qui allait engendrer bien plus tard le projet Ariane).

Le projet Polaris que Kennedy allait proposer à Nassau le lendemain à Macmillan allait ruiner les relations franco-britanniques jusqu'à l'arrivée à l'Elysée de G. Pompidou, en ce que le pacte (accepté par Londres) soumis par Washington à Paris impliquait la subordination des Européens aussi bien dans l'usage de leur armement atomique que dans leur insertion dans une chaîne de commandement dominée par les Etats-Unis où ils ne peuvent espérer délibérer d'égal à égal. Ce à quoi le Général ne pouvait consentir.

Ce que J. Kennedy n'a pas obtenu de C. de Gaulle, D. Trump l'a obtenu de E. Macron. Mais avant lui, Bush père l'avait obtenu de F. Mitterrand et Bush Jr. de N. Sarkozy. Bien avant E. Macron, dès 1953, G. Pompidou était au service des frères Rothschild comme administrateur de nombreuses sociétés du groupe bancaire. Une « expérience » de près de 10 ans. CQFD !

Qui ne bombarde pas ?

Les pays européens ont approuvés l'initiative américaine. L'OTAN, la Commission et la présidence de l'Union ont fait ce qu'il fallait pour cela.

Si la cause était si juste, comme le clame la première ministre britannique, les généraux, les avions, les corvettes, les missiles et les cris d'enthousiasme auraient été plus nombreux. On aurait pu s'attendre à ce que la « guerre juste » rallie un nombre plus important d'indignés, révulsés par les « bombardements chimiques d'un dictateur contre son peuple ». Comment expliquer que le paysage géopolitique occidental et en l'occurrence européen, demeure contrasté et divisé ?

Si on laisse de côté les gouvernants en Pologne ou dans les Pays Baltes, les convertis amnésiques qui ont des comptes immémoriaux à régler avec Moscou, les « malgré nous », tels que la Roumanie ou la Bulgarie, vidés de leurs élites, de leurs populations, de l'essentiel de leurs ressources, inaptes à prendre la moindre de la moindre décision autonome et dont l'approbation n'est même plus rapportée par les médias, le reste de l'Europe demeure dans un « wait and see » circonspect, fait le gros dos et rase les murs.

L'Allemagne ne peut faire autrement que de soutenir. Ni le Bundestag, ni l'opinion publique allemande ne sont en faveur de campagnes militaires à l'étranger. Selon un sondage commandité par l'hebdomadaire Der Spiegel, près de 60% des Allemands désapprouvent l'intervention franco-américano-britannique en Syrie. Mme Merkel, à la différence de son homologue français ne peut déclarer de guerre ou entreprendre ce genre d'équipée sans recevoir l'aval de son parlement.

Il en est de même des pays de la zone mark, y compris les anciens PECO (Pays d'Europe Centrale et Orientale). La Belgique n'existe encore que par la grâce de l'OTAN et des institutions européennes. L'Italie depuis les dernières élections législatives, n'a même plus de gouvernement, occupée par ailleurs à pleurer l'élimination de la Juventus.[6]

C'est en Grèce que les mouvements populaires anti-américains sont les plus spectaculaires. La statue du 33ème président américain Harry Truman à Athènes a été prise pour cible lundi par un groupe de jeunes manifestants qui protestaient contre les frappes en Syrie. D'autres manifestations pacifistes ont eu lieu à Londres devant le Parlement britannique peu de temps après l'allocution de la Première ministre britannique T. May qui tentait de justifier sa décision.

E. Macron, lui, est chahuté au Parlement européen à Strasbourg, mardi 17 avril, où l'intervention de la France en Syrie a été critiquée.

Les Américains exigent une plus grande participation des Européens à sa politique internationale. Ceci, à la fois pour la créditer médiatiquement auprès de son opinion publique et pour pousser ses « alliés » à plus de dépenses avec un accroissement des commandes adressées à ses industries militaires. Favoriser une Europe de la défense et de la diplomatie souveraine n'a jamais été dans ses projets, cela coule de source. Au mieux, ce qui est actuellement en cours, prendre des parts et implanter des technologies américaines dans les industries de défenses de l'Union pour faire jouer les règles du COCOM (contrôle multilatérale des exportations, Paris, janvier 1950) et ainsi en contrôler le développement et les exportations. Le problème est que les Européens, même engagés au sein de l'OTAN, sous contraintes atlantiques, ne sont pas tous sur la même ligne.

La « Communauté internationale » était réduite à trois pays. Les autres commentent. À l'évidence, plus des 4/5èmes de l'humanité qui reconnaissent la légitimité du gouvernement syrien n'en font pas partie.

L'Europe des « Grands » et des « petits »

1.- L'UE ne peut agir en tant que telle. Les positions ne sont pas unanimes dans une organisation où les décisions sont soumises pour être effectives à la règle de l'unanimité. Des voix (avec des projets de réforme dans les cartons) s'élèvent régulièrement pour se débarrasser de cette règle « paralysante » et passer au vote à la majorité qualifiée plus « efficace » pour donner à l'Europe, argumentent les plus intéressés, un poids plus important dans le monde. Ces projets ne sont pas partagés par les « petits » pays de l'Union qui ont peur de perdre un des rares leviers à leur disposition pour peser dans les décisions où les « Grands » ne supportent plus l'idée qu'un pays de près de 70 millions d'habitants comme la France ait le même vote qu'un « petit » pays de 300 ou 400 000 habitants comme le Luxembourg ou l'Islande.

Adieu les principes des pères fondateurs !

2.- Ce n'est pas à la politique internationale de l'Union que pensaient les Allemands quand ils proposaient de passer à la majorité qualifiée pour prendre des décisions. Les politiques économiques, les déficits et l'endettement les préoccupent davantage. C'est pourquoi ils ne veulent pas entendre parler d'un ministre des finances européen pas plus que d'euro bonds.

3.- Berlin est absent des opérations militaires si ce n'est de manière marginale et tient à le demeurer (ce qui lui a été régulièrement reproché). L'Allemagne tire paradoxalement parti des conséquences de son histoire et de sa Constitution.

Les Japonais adoptent une attitude similaire. Ces deux perdants de la Seconde Guerre Mondiale soutiennent mollement, financent à reculons et s'affairent laborieusement à la défense de leurs intérêts économiques et commerciaux, laissant le soin aux va-t-en-guerre de pérorer, englués dans leurs déficits et leur déclassement international.

La guerre pour négocier ? Avec qui ?

Certes, la diplomatie est l'art ultime de l'hypocrisie. Mais comment peut-on espérer discuter tranquillement, paisiblement avec des « ennemis », des « barbares », des « monstres »... (langage utilisé par les Américains désignant indifféremment Syriens, Russes, Iraniens...) après les avoir bombardés ?

Tôt ou tard, Russes et Américains se retrouveront autour d'une table pour négocier, car le véritable objectif de l'animosité américaine (si on laisse de côté l'intérêt d'Israël d'achever complètement la réalisation de ses objectifs de conquêtes territoriales et de judaïsation d'un ensemble qui confine au vieux projet de « Grand Israël »), c'est bien la présence russe en Méditerranée et sa résistance au libéralisme effréné et vorace de ses transnationales qui menace sa souveraineté. La Russie n'est plus communiste, à supposer qu'elle l'ait été après 1924. Il n'y a plus de différend idéologique entre Russes et Américains. Seulement une guerre d'intérêts traditionnelle qu'illustre opportunément la brillante série « Game of thrones ».

La Syrie aurait subi le sort de l'Irak et de la Libye si la Russie n'y avait pas été présente militairement et légalement. Réciproquement, on peut aussi dire que la présence russe renforçait la nécessité américaine d'intervenir pour l'en chasser, espérant contribuer en cela à l'effondrement du régime de V. Poutine et le retour à une politique russe similaire à celle menée sous B. Eltsine. Le problème est que loin de l'avoir affaiblie, la Russie a été confortée dans la guerre contre la Syrie. En réalité toutes les actions menées contre elle (la Syrie n'est qu'un des nombreux théâtres d'opération) depuis le début des années 2000, l'avaient renforcée.

Lorsque les Américains s'étaient rendus compte que la politique russe sous V. Poutine n'était pas compatible avec leurs intérêts et que Moscou exigeait le retour à des transactions d'égal à égal, alors que Washington avait définitivement enterré l'Union soviétique, décrété la « fin de l'histoire » et appelé la nations à tenir l'Amérique pour unique puissance, tout devait être fait alors pour abattre ce régime et remettre les Russes à leur place. C'est-à-dire à celle d'une puissance mineure, obsolète, victime du « syndrome hollandais », mono-productrice et mono-exportatrice de matières premières.

Les coups portés à la Russie, à son économie, à ses finances... ont été durement ressentis, mais loin de provoquer le collapsus qui a emporté l'Union Soviétique. Le sévère containment mis en oeuvre ne semble pas entraîner les désordres souhaités. Dans une certaine mesure l'économie s'est renforcée.

Certaines décisions irréfléchies, précipitées d'embargo ont permis à la Russie de développer ses propres forces et reconstruire des pans entiers de son industrie et de son agriculture (au détriment des exportations agricoles françaises).[7]

Les relations avec la Chine, elle aussi attaquée par les Etats-Unis, en un combat complexe, se sont développées à l'avantage de Moscou et de Pékin ainsi rapprochés. De nouvelles « routes de la soie » eurasiatiques sont échafaudées et projetées court-circuitant et contournant les normes juridiques, monétaires, financières et la géoéconomie transnationale dominée par les Etats-Unis.[8]

Malgré l'opposition de Washington et son hégémonie sur l'Europe Unie, le projet de gazoduc Nord Stream 2 chemine. Il en est de même du gazoduc TurkStream destiné à renforcer les livraisons à la Turquie et à en faire un pays de transit vers le sud de l'Union européenne. Sa mise en service est prévue fin 2019 par Gazprom.

Les objectifs de la Russie sont les mêmes : resserrer les liens avec l'Europe de l'Ouest, pérenniser ses recettes d'exportation et contourner l'Ukraine utilisée par Washington pour déstabiliser Moscou, par le « coup d'Etat de Maïdan » en février 2014.[9]

Les oligarques, sur lesquels comptait Washington pour renverser V. Poutine, se sont au contraire, pour la plupart d'entre eux, placés aux côtés du Kremlin.[10] Les opposants sont marginalisés et décrédibilisés. Ils ne trouvent grâce qu'en Europe ou en Amérique.

Une technique usée jusqu'à la corde : si vous voulez diaboliser un pays qui « ne file pas doux », glorifiez ses opposants, honorez leurs œuvres (Nobel, Oscars, César, Palmes d'or, prix littéraires...), gratifiez-les de toutes les manières qu'il est possible et surtout brimez, salissez tous ceux qui trouvent grâce auprès de leurs peuples et de leurs élites.

La valeur intrinsèque des récipiendaires est une question secondaire. Tant pis pour ceux qui ne distinguent pas les transactions dans lesquelles ils n'occupent que la fonction illustre de pions.

Le plus grand échec de Washington se mesure par la grande popularité du président russe auprès de son opinion publique, renforcée à chaque agression occidentale. En mars dernier le président russe a été réélu avec un résultat supérieur à 70%. Les mauvaises langues ont eu mauvaise grâce à évoquer des « scores soviétiques ». Le président égyptien arrivé au pouvoir par un coup d'Etat militaire a été élu en ce mois d'avril pour un second mandat de quatre ans avec 97,08% des voix. Cette démonstration de « légitimité exemplaire » a été applaudie par tout ce que la planète compte de « régimes démocratiques » qui se posent en modèles universels. Bravo !

Or, toutes les mesures affectant l'économie russe avaient précisément pour objectif d'accroître le mécontentement de la population. Il en est d'ailleurs de même des peuples iraniens ou syriens qui ont très vite compris au cœur de quelles confrontations et enjeux ils se trouvaient.

Question de « ligne rouge ».

La notion de « ligne rouge » n'appartient pas au langage de la diplomatie. Elle relève du jargon d'un flibustier, d'un autocrate omnipotent qui prétend parler au nom de la communauté internationale et la représenter toute entière. Pour s'en convaincre, il suffirait de consulter Hollywood : tous les petits bonhommes verts et les E.T. de la galaxie débarquent aux Etats-Unis et parlent un anglais avec un accent du Texas. Et c'est toujours l'Amérique qui sauve le monde au nom de toute l'humanité.

La « ligne rouge » inventée par B. Obama vient d'un contexte. Abusé par le « Printemps arabe », la crise Ukrainienne et le jeu de quilles qui étêtait les Etats arabes, les « spins doctor » avaient cru, à tort, qu'un processus irréversible était en route et sous-estimé un V. Poutine promis à une chute rapide, entraînant celle de ce qui restait des régimes qu'il soutenait. Les technocrates pragmatiques, experts en « Nation building », présument toujours de génie et ont toujours un coup de retard sur l'histoire.[11]

En 2013, devant les succès militaires du régime de Damas avec l'aide de la Russie, de l'Iran et de Hezbollah, les Américains se sont trouvés face à un problème insoluble. Il n'y avait que deux possibilités pour déstabiliser le régime syrien :

1.- Le modèle libyen. La sédition intérieure confortée par des légions étrangères, venues d'un peu partout dans le monde (les pays de la région, les républiques musulmanes d'Asie, du Maghreb et même d'Europe) équipées entraînées et encadrées par les Etats-Unis et ses « alliés » et financées par les pétromonarchies du Golfe (le Qatar, les Emirats, l'Arabie Saoudite qui ne s'en cachent d'ailleurs pas). C'est ce scénario qui a servi à détruire la Libye et à assassiner son dirigeant, pour produire le chaos actuel. Naturellement, la Russie a protesté contre l'interprétation par les Etats-Unis des résolutions adoptées au Conseil de Sécurité. Rétrospectivement, il est cependant difficile de s'expliquer la position russe qui n'a pas opposé son veto aux Résolution 1970 (février 2011) et 1973 (mars 2011) qui ont autorisé l'intervention, bien au-delà du mandat voté.

2.- Le modèle irakien. Une attaque extérieure des Etats-Unis qui s'adjoignent un bric-à-brac de supplétifs dont la principale fonction et intérêt est médiatique. Les stratèges s'en sont donnés à coeur joie : un pays transformé en laboratoire pour tester toutes sortes d'armes, de tactiques de guerre en milieu urbain, des techniques de tortures innovantes, des centaines de milliers de morts et autant d'estropiés, de déplacés... Un pays détruit, dirigé par des pouvoirs occultes, une économie dévastée et un avenir incertain. Une vraie réussite !

Les cas irakien, afghan, libyen offriraient à tous les amateurs de morale humanitaire et de compassion médiatique qui envahissent la Une des journaux, les plateaux de télévision et les studios de radio, pour justifier l'attaque américaine de la Syrie, l'occasion de verser des fleuves de larmes de crocodile.

Le problème est que ces deux modèles sont inopérants pour le cas de la Syrie. Cela découle de la présence légale et militaire de la Russie. L'affaire est d'autant plus malaisée qu'après avoir espéré voir réussir le modèle libyen, les fronts se sont renversés et la victoire du régime de Damas s'est accélérée en l'espace de moins de 2 ans, perturbant les calculs et les projets.

Est-il possible d'interpréter l'attaque de ce 13 avril comme une réaction précipitée devant l'irrésistible victoire russo-syrienne ponctuée par la reprise de la Ghouta orientale ?

Kant cède le pas à Hobbes.

«Depuis samedi, nous entendons ceux pour qui cette opération militaire serait de trop ou inutile ou insuffisante. Les premiers condamnent sans rien proposer et choisissent le silence contre l'action, les vociférations pour ne rien faire. Nous préférons la France qui agit pour une Syrie insoumise et libre» déclare lundi 16 avril Richard Ferrand, président du groupe La République en marche, à l'Assemblée Nationale, justifiant le bombardement l'avant-veille de la Syrie.

S'il n'est plus possible de délibérer sur la sécurité du monde dans le cadre des institutions actuelles, devrait-on renoncer aux Nations Unies et laisser des pays régler leurs comptes à coups de bombes invoquant, selon leur bon vouloir, les principes, les valeurs et critères moraux qui leur conviennent ? Doit-on le faire à chaque fois que le Conseil de sécurité ne l'autorise pas ?

«Regardons nos principes en face, regardons le droit international en face, et demandons-nous où nous voulons aller?» lançait E. Macron au Parlement européen à Strasbourg le mardi 17 avril à la tête des députés qui contestaient son initiative.

C'est en effet la question qu'il convient de poser.

Est-ce la fin de l'arbitrage international ? La fin du droit et des institutions internationales ?

Ou alors devrait-on revoir de fond en comble des institutions créées après 1945 et qui ne correspondraient plus aux réalités d'aujourd'hui ?

Mais avant cela une question préalable s'impose. Qu'est-ce qui a rendu cette opération possible ?

Pour comprendre les ressorts intimes de ces bombardements, il est nécessaire de prendre du recul et de considérer le paysage géopolitique mondial depuis la fin de la « Guerre Froide » (1990) et même depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945).

Nous pourrions même y adjoindre une problématique parallèle qui touche à la crise économique et sociale caractérisée par une remise en cause généralisée de tous les progrès sociaux enregistrés, certains d'entre eux depuis le XIXème siècle, grignotés peu à peu par une libéralisation croissante au bénéfice des profits et au détriment des salaires, dans une mondialisation accrue des rapports capital/travail, dominée par une financiarisation croissante et facilitée par une numérisation des économies.

Mais là n'est pas le propos.

La fin des empires espagnols et portugais avait permis aux Etats-Unis d'achever sa « conquête de l'Ouest » et de prendre le contrôle de l'Amérique Latine (Doctrine Monroe).

Washington va étendre sa puissance grâce aux deux guerres mondiales qui ont affaibli les métropoles coloniales européennes, pressées de s'entredéchirer. Cela, malgré la perte de la Chine (octobre 1949) et les influences exercées par l'URSS sur un certain nombre pays dans le monde (Viêt-Nam, Algérie, Egypte, Angola, Cuba...).

Après la chute de l'URSS, les Etats-Unis se retrouvent débarrassés de toutes les contraintes qui pesaient sur la liberté de manoeuvres de toutes les forces idéologiques, politiques, économiques... qu'ils représentaient. La « fin de l'histoire » marquait les débuts d'un règne d'une « hyperpuissance » à qui le monde était offert sans partage.

Il est symptomatique que l'annonce de cette nouvelle ère ait été marquée par une expédition militaire (Operation Just Cause) au Panama du 20 décembre 1989 au 31 janvier 1990, sous l'administration du président des États-Unis George H. W. Bush. Le Panama y a perdu son président, kidnappé, et sa défense, dissoute. Le même genre de campagne de « rétablissement de l'ordre » répétée par la suite.

Corrélativement, cela va entraîner un affaiblissement généralisé de toutes les forces qui lui faisaient face : Le mouvement des Non-alignés, la Ligue Arabe, la Conférence Islamique... et même des structures plus ou moins bancales destinées à protéger les producteurs de matières premières, telle que l'OPEP, dont les prix se sont effondrés et soumis à des fluctuations d'agioteurs extrêmement puissants.

Il y a une trentaine d'années, Israël mendiait une reconnaissance de ses ennemis. Aujourd'hui, après l'assassinat des Accords d'Oslo et de Yitzhak Rabin, c'est Israël qui refuse de reconnaître les pays arabes et ses représentants se pavanent ostensiblement dans nombre d'entre ceux qui font pétition de dignité.

N'est-ce pas l'occasion de prendre une revanche sur l'histoire ?

Réécrire mai 1954 à Diên Biên Phu ? Anticiper novembre 1954 à Arris ? Réussir l'opération avortée de Suez ? Remonter le temps à Saïgon en avril 1975 et faire redescendre les diplomates américains qui s'enfuyaient vers le large ? Un peu comme à Koweït city en 1991 ?

Pourquoi ne pas effacer octobre 1917 ? Et réaliser définitivement la « Fin de l'histoire » ?

Soyons naïf : Il eut été pourtant si simple, si honnête de visiter les zones libérées par les forces nationales syriennes, par exemple à Homs, observer comment vivent les populations « martyrisées par un gouvernement sanguinaire » et interroger les survivants arrachés aux monstres que l'Occident, aidé par des pétromonarchies médiévales, s'applique à exporter partout où il y a une nation à soumettre ou un Etat à détruire.

Notes

[1] Les politiques et les médias occidentaux se concertent pour coder leurs communiqués : ces professionnels de la communication ne parlent pas d'« attaques » ou de « bombardements », termes réservés au « régime » syrien. Le terme correct quand il s'agit des occidentaux est « frappes ».

[2] Opération Ranch Hand, qui s'étala de 1962 à 1971. Environ 80 millions de litres ont été déversés. Entre 3 et 4 millions de personnes ont été exposées au défoliant et un million d'entre elles souffrent toujours de ses conséquences, selon Hanoï. Le président français serait-il disposé à avoir une pensée émue rétrospective pour ces victimes et convoquer Washington devant un tribunal de l'histoire ?

[3] Par petites touches la France s'américanise. En cela, E. Macron, derrière D. Trump, a de nombreux prédécesseurs. A l'insu du peuple français. « La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a essayé de reprendre globalement les dispositions du texte américain (War Powers Resolution). Ainsi le Parlement français est informé au plus tard 72 heures après l'intervention militaire, là où le Congrès américain est informé au bout de 24 heures. Les parlementaires français peuvent débattre (la liberté d'expression est sauve?), mais non voter. Par ailleurs, le Parlement français peut autoriser la prolongation de l'intervention des forces armées, mais seulement au bout du quatrième mois (le Congrès américain se prononçant au bout de 60 jours). Rappelons que le projet de loi constitutionnelle prévoyait six mois? Enfin en France, comme aux États-Unis, les chambres parlementaires votent chacune l'une après l'autre pouvant engendrer une crise politique, même si en France l'Assemblée nationale a le dernier mot. La nouvelle rédaction de l'article 35 de la Constitution paraît de toute évidence comme un succédané de la War Powers Resolution. » (Didier JAMOT, Le Parlement et les relations internationales, Université Aix-Marseille (Thèse de doctorat), 2012, 567 p., p. 43) Wikipedia.

[4] Mardi 17 avril devait paraître les mémoires de l'ex-premier flic du pays, un ouvrage de 300 pages intitulé « A Higher Loyalty: Truth, Lies, and Leadership » (« Mensonges et vérités » pour l'édition française) qui présente M. Trump comme un boss mafieux, un être malhonnête et égocentrique. Le président s'était déjà déchaîné sur Twitter contre sa bête noire. « On se souviendra de James Comey le visqueux, un homme qui finit toujours mal et un détraqué (il n'est pas malin!), comme le PIRE directeur du FBI dans l'histoire, de loin! », avait-il tweeté, estimant: « Ce fut mon grand honneur de limoger [en 2017] James Comey! ». (AFP, L. 16 avril 2018)

[5] C'est nous qui soulignons.

[6] Lire Abdelhak Benelhadj : « Chaos italien, faillite européenne. » Le Quotidien d'Oran, J. 08 mars 2018.

[7] Jusque-là l'un des rares postes excédentaires du commerce extérieur français, structurellement déficitaire. L'Europe Verte qui a beaucoup profité à l'agriculture française est remise en cause, pendant que la viande, sous embargo chinois qui sera bientôt levé, aura perdu des parts de marché difficile à retrouver.

[8] Cf. A. Benelhadj : « Chaudes ou froides, toutes les guerres sont brûlantes ». Le Quotidien d'Oran, J. 22 mars 2018.

[9] Cette question demanderait de longs développements qu'il est impossible d'approfondir ici. Nous pouvons cependant recommander le documentaire : « Kiev en feu. Maïdan se soulève » (Ukraine 2014), de O. Techynskyi, A. Solodounov, et D. Stoykov. Ce reportage instructif de 80 mn, sans commentaires, ni interviews, n'a pas été réalisé ni par la Pravda (avant ou après B. Eltsine) ni par le FSB.

[10] Les sanctions prononcées le 10 avril contre des oligarques proches de Poutine dont Oleg Deripaska et Viktor Vekselberg, connaîtront probablement les mêmes suites que les sanctions précédentes.

[11] Je recommande la lecture d'un livre de science fiction pétillant de justesse et de sagacité « Le chaos final » de Norman Spinrad, Jean-Claude Lattès. Titre SF n°4, 1979, 315 p.