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A propos de l'année amazighe

par Rachid Benyelles

Dans une précédente contribution intitulée « Les Algériens et le problème identitaire « publiée dans le Quotidien d'Oran du 8 février 2018, j'avais abordé brièvement le problème du nouvel an amazigh.

Depuis, le Conseil des ministres, dans sa réunion du 14 mars 2018, a adopté un projet de loi visant à amender et à compléter la loi de juillet 1963 fixant les fêtes légales. Intervenant après l'annonce super médiatisée de janvier de cette même année, l'amendement projeté a pour but de formaliser l'inscription de « Yennayer » (un terme latin arabisé) sur la liste des fêtes légales du pays. C'est ce qui m'a poussé à revenir sur ce sujet en nourrissant le mince espoir de voir l'APN rejeter un projet d'amendement qui ferait de notre pays la risée du monde de la culture. C'est ce qui risque de se produire si le lobby berbériste, aiguillonné par les recyclés de l'ex « Académie » berbère de Paris, obtenait satisfaction en faisant d'un petit pharaon égyptien, la figure emblématique de l'histoire berbère. Dans leurs fantasmes, ces derniers tentent d'accommoder l'histoire à leur convenance, quitte pour cela, à usurper celle d'une autre nation ? l'Egypte, en l'occurrence. Faisant feu de tout bois, ces mystificateurs proposent de faire correspondre l'An I du calendrier amazigh avec la date d'intronisation en qualité de pharaon d'un certain Sheshonq, d'origine vaguement libyque. Marié à une princesse royale, cet homme sans relief particulier, avait succédé à son beau-père vers 950 av. J.-C - date invérifiable par ailleurs. Vivant dans le delta du Nil et parfaitement intégré à la société égyptienne de l'époque, son accession au pouvoir fut le résultat d'un arrangement familial et non pas d'un fait d'armes.

Sheshonq et ses descendants de la 22ème dynastie, appartenaient à l'Egypte antique, parlaient sa langue, partageaient ses mythes et croyances. Imprégnés de sa culture, de ses us et coutumes, ils n'avaient absolument plus rien d'Amazigh et ne représentent aucunement l'identité berbère pour être choisis en symbole de l'amazighité par l'Algérie officielle. Aucun vestige archéologique ou fragment d'écrit n'existe pour témoigner de leur berbérité et justifier une telle marque de reconnaissance.

En s'appropriant une partie de l'immense et brillante civilisation égyptienne, les berbéristes reconnaissent implicitement que l'histoire amazighe est fortement imbriquée à celle de l'Egypte, un pays qui, aujourd'hui encore, continue à jouer un rôle clé dans un monde arabe par rapport auquel ils veulent précisément se démarquer en invoquant des différences ethniques et culturelles fondamentales. Là n'est pas la moindre inconséquence de leur lecture de l'histoire. Ces apprentis historiens devraient savoir qu'il ne suffit pas de décréter la création, ex-nihilo, de l'année amazighe ; encore faut-il expliquer pourquoi cette année débute le 12 janvier et pas à une autre date, préciser le cycle de son fonctionnement (lunaire, solaire, mixte), désigner par leurs noms les mois qui la composent, arrêter le nombre de jours que chacun d'eux compte et définir les saisons qui la caractérise. C'est le propre de tous les calendriers, à commencer par le premier d'entre eux, celui de l'Égypte antique. Basé sur un cycle solaire, il était axé sur les fluctuations annuelles du Nil et son but premier était la régulation des travaux agricoles au cours de l'année. Egalement appelé calendrier nilotique, il sera adopté par Jules César après l'annexion de l'Egypte à l'Empire romain en 48 ap. J.-C. et portera le nom de calendrier Julien.

L'autre calendrier antique est d'origine zoroastrienne iranienne. Célébré dans tous les pays limitrophes de l'actuel Iran, le nouvel an perse (Nowruz) débute le 21 mars, premier jour du printemps. Recalculée en 1070 avec une précision époustouflante pour l'époque, Omar Khayam, un astronome et mathématicien de génie doublé d'un poète brillant, avait établi que l'année comportait 365,242 198 581 56 jours ! Directeur de l'observatoire d'Ispahan, ce grand homme de science avait également introduit l'année bissextile. C'est en 1582 que le calendrier julien fut remplacé par le calendrier grégorien, du nom de son instigateur, le pape Grégoire VIII. Devenu universel, ce dernier reléguera les autres calendriers, y compris celui de la Chine, à un rôle folklorique.

Les Algériens ne seraient certainement pas hostiles à l'institution d'un calendrier spécifiquement amazigh mais à condition que celui-ci soit fondé sur des données historiques incontestables et qu'il réponde à un besoin comme ce fut le cas en d'autres temps et sous d'autres cieux. Ceux qui se sont improvisé en historiens et cherchent à prouver que l'histoire de la culture amazighe est plusieurs fois millénaire, devraient plutôt étudier la monumentale et tellement instructive « Histoire des Berbères « de Abderahmane Ibn Khaldoun El Hadrami, un historien maghrébin d'origine arabe dont l'autorité est mondialement reconnue pour la qualité exceptionnelle de son œuvre.

Au lieu d'aller chercher un ancrage historique aussi contestable que celui du pharaon égyptien Sheshonq pour dater le début de l'ère amazighe, le lobby berbériste, dans sa folle quête d'identité, devrait prendre pour référence la riche histoire des dynasties berbères qui ont gouverné le Maghreb, à savoir, les Maghraoua, Zirides, Hammadites, Almoravides, Almohades, Hafsides, Mérinides, Ziannides et autres Wattassides. Des Berbères authentiques qui ne manquaient ni de savoir ni de panache.

Ceci étant, il est clair qu'un pays peut très bien vivre avec une histoire de quelques siècles comme c'est le cas des Etats-Unis dont l'indépendance date du 4 juillet 1776 seulement. Ceci ne les empêche pas d'être la première puissance mondiale. Le projet d'institution d'un calendrier amazigh, outre qu'il ne répond à aucune symbolique historique, n'est d'aucune utilité pratique. Il serait même totalement malvenu dans la mesure où il viendrait rajouter une journée chômée et payée dans un pays qui a grandement besoin de travailler ; un pays où le travail devrait être érigé en vertu cardinale afin de sortir de son sous-développement.