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GUERRE(S) ET PAIX

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Le printemps n'en sera que plus beau - Roman (son premier) de Rachid Mimouni. Editions Sedia, Alger 2014 (premier livre édité à la Sned en 1978). 600 dinars, 147 pages.



La guerre comme thématique dominante ; un des rares romans, sinon le seul, de l'œuvre de Rachid Mimouni à l'aborder. Il est vrai que c'était dans l'air du temps (années 60,70 et 80) et presque un passage obligé pour tout jeune écrivain ; le pays fonctionnant sous le régime du parti politique unique. Unité de pensée et d'action !

Une multitude d'histoires qui s'entrecroisent, des parcours de vie qui divergent et se croisent ... des amours déclarés ou retenus, des retours en arrière... des monologues, des questionnements, de la poésie. Forme romanesque et forme théâtralisée se mélangeant dans un minimum de langage. Influence de Kateb ?

Malek (militant de l'Organisation révolutionnaire), Hamid et Djamila, Djamila et le Capitaine (de l'armée française ; affecté en Algérie et tombant amoureux du pays... et de Djamila), un poète qui observe... la guerre, les engagements et les doutes des uns et des autres... ramenés ?on le sent - à un présent plein d'interrogations parfois curieuses quand on voit le parcours futur de l'auteur. Sur la langue entre autres ! Une phrase et une prudence qui étonnent : « La littérature algérienne d'expression française n'est qu'un immense canular. C'est une hérésie, un non-sens... » (p 75). Un point de vue compréhensible lorsqu'on contextualise sa première production, restée certainement longtemps dans les tiroirs et publiée difficilement par un éditeur monopoleur et censeur, favorisant d'abord tout ce qui était écrit dans « la langue millénaire née dans l'immensité d'un autre désert... ».

L'Auteur : Né en 1945 à Boudouaou (Boumerdès). Décédé en 1995 des suites d'une maladie. Une dizaine d'ouvrages : des romans dont «Le fleuve détourné», «Tombeza», «La ceinture de l'ogresse»... et des essais dont «De la barbarie en général et de l'intégrisme en particulier», «Chroniques de Tanger».....

Extraits : « Oui, ce pays est vraiment étranger, et étranges ses habitants » (p 49), « Un jour, des hommes ont surgi de la nuit, les armes à la main, pour remettre en cause une défaite séculaire... Deux années plus tard, on avait définitivement franchi le cap dangereux. L'insurrection armée se muait alors en révolution...» (p 54)

Avis : Un manuscrit qui a «dormi» de nombreuses années dans les tiroirs avant d'être édité. A lire ne serait-ce que par curiosité intellectuelle et pour re-découvrir les débuts ? passés presque inaperçus- d'un de nos plus grands écrivains.

Citations : « Quelle que puisse être son histoire, l'Arabe a toujours gardé, au fin fond de ses entrailles, le souvenir de son ancestral berceau... L'eau et la femme, sources de vie, demeureront toujours pour lui l'objet d'un culte mystique... » (p 62), « En mathématiques, les règles sont claires et connues à l'avance. C'est le seul exemple de véritable démocratie » (p 64),



Les martyrs reviennent cette semaine. Nouvelles traduites de l'arabe - Recueil de Tahar Ouettar. Enag Editions, Alger 2002, 300 dinars, 127 pages



Sept nouvelles : Danses macabres / La noire et l'officier/ Le poisson ne mord pas/ Socialiste jusqu'à la mort/ La femme du poète / Art et snobisme... et/ Les martyrs reviennent cette semaine. Toutes au titre évocateur. Une seule, la première, celle de l'amour de la danse et du chanteur et de la passion pour le chant et la danseuse, relève d'un registre émotionnel.Toutes les autres sont assez politisées. Pour l'époque, plus que ça. Sur-politisées. Et, il est vrai que seul l'auteur pouvait se permettre une telle liberté de ton. Etonnant, non ! En fait, dans l'esprit des « fonctionnaires de la liberté » de l'époque, une époque assez surveillée, il fallait toujours préserver une marge réservée, bien sûr, à « la critique et à l'auto-critique », pour se donner bonne conscience et offrir une image extérieure de « tolérance » . Bien d'autres ont eu bien moins de chance.

Presque toutes les nouvelles donc véhiculent des messages assez forts : L'amour fou pour la musique....la cohabitation presque forcée et hypocrite (et la lutte sourde) des pouvoirs (la Parti, l'Armée, la presse, les élus....), l'impuissance des Arabes qui s'escriment à vouloir pêcher n'importe quel poisson dans des eaux troubles et polluées, les « sacrifices » du nouveau militant « socialiste », la vie quotidienne et les « pensées » d'une épouse de cadre dit supérieur, les arnaques en matière d'exercice de l'Art, ... et , « the last but not the least », pour le dessert... la grande question : Et, si les Martyrs de la Guerre de libération nationale revenaient, que doit-on faire ? Et, comment vont-ils réagir ? La réponse est simple face à la panique générale (vous saurez pourquoi en lisant la nouvelle) des vivants : ils sont bien... là où ils sont !

L'Auteur : Né en 1936 du côté de Sédrata, étudiant à l'Université Zitouna de Tunis, moudjahid (Organisation civile du Fln), gestionnaire de journaux après l'Indépendance puis, de 1970 à 1983, contrôleur du parti Fln (alors parti unique). Retraité puis, à partir de 1990, Dg de la radio nationale (Enrs). Fondateur et animateur d'une association culturelle El Djahidyya jusqu'à son déçès... Nouvelliste, romancier prolifique... «rompu à l'exercice dépouillé et poétique de la langue» (Achour Cheurfi) et, bien souvent, volontairement provocateur.

Extraits : « Les principes sont sauf...: le Peuple à droite, l'Armée au centre, l'Information à gauche. Cependant quelque chose cloche : le Parti ne peut se permettre, en présence de l'Armée, d'occuper la première place. Voiture, chauffeur, chef de délégation, tout est militaire. En pareil cas, l'organisation politique se contente de jouer un rôle honorifique » (p 19), « Première proclamation après l'indépendance de l'Algérie : nous sommes Arabes! La première qualité révolutionnaire aux yeux des Arabes, c'est d'être Arabes. Tic ! tic ! En avant donc pour l'arabisation ! Tic ! tic ! l'arabisation avant l'autogestion ! Tic ! tic ! l'arabisation avant n'importe quelle tâche de construction ! » (p 50)

Avis : Ouvrage assez politique et assez critique... et la dernière nouvelle (titre de l'ouvrage ) n'est pas seulement étonnante pour l'époque de sa publication (Bagdad, 1974), mais aussi « détonnante »

Citations : « Pour que l'Armée cède aussi facilement la première place, elle a certainement en vue un objectif plus important » (p 20), « Oser qualifier la politique de travail !.. Le seul domaine où les Arabes sont incapables de réussir est précisement la politique et, de toute évidence, c'est leur domaine de prédilection ; ils s'y réfugient pour échapper à l'action. Tous les politiciens arabes font figure d'artistes ratés : ils recherchent une évasion dans des prouesses imaginaires mais se trouvent à l'aise dans le système » (p 41), « L'auteur de nouvelles, nul ne l'ignore, écrit sur tout le monde, sauf sur lui-même » (p 82), « Une seule chose compte aujourd'hui : avoir une carte... Le passé révolutionnaire a besoin d'une carte pour prouver son existence. Le militantisme, une carte ! » (p 106)



Le temps de mourir - Roman de Said Oussad. Editions Frantz Fanon, Tizi Ouzou, 2017. 158 pages, 600 dinars



La vie de deux journalistes, le rédacteur-narrateur et un photographe de presse, durant la période la plus noire (ou la plus rouge de sang) du pays. A Oran, alors que le terrorisme battait son plein, visant tout ce qui pensait, écrivait ou contestait, tout ce qui avait un stylo, ou un cartable, ou une cravate... et pour ce qui concerne les femmes, ne portait pas le foulard ou avait le « malheur » d'être jeune et attirante.

A l'extérieur de la ville (et cela était visible à travers presque tout le pays), les massacres se suivent, nombreux et sauvages... Une barbarie incroyable, si irréaliste qu'elle ne manquait pas d'entraîner les plus naïfs des observateurs (dont les journalistes) sur le chemin de la confusion et du « qui tue qui ? ».

C'est cette curiosité intellectuelle, naturelle et consubstantielle à une profession qui se respecte, qui a entraîné notre « héros » à accepter d'interviewer un terroriste, certes redoutable mais sur le chemin de la « repentance ». Un cheminement théoriquement facile à imaginer (tout particulièrement après la descente de plusieurs bières dans des lieux de désespoir et d'échecs, des bars mal-famés... et la lecture d'articles sur les « escadrons de la mort » ), mais un chemin qui va se transformer en cauchemar... Car, il n'y a pas que des terroristes en voie de repentance... il y a, aussi, des « exterminators », toujours à la recherche de vierges, de gorges à trancher et d'être humains à tuer ... la religion servant, en fait, d'alibi.

Un chemin cauchemardesque qui mènera l'un à la mort (crise cardiaque tant les émotions sont fortes) et l'autre à l'asile psychiatrique. Et, la guérison n'est pas pour demain. Suivez mon regard !

L'Auteur : Né en 1968 à Aïn Témouchent. Licence lettres françaises (1993). Journaliste (« Liberté »)... et « premier journalsite algérien à interviewer un terroriste »

Extrait : « Oran respirait la peur des attentats à la bombe. Les morts tombaient plus vite que n'étaient creusées les tombes et l'espoir, une denrée aussi rare que des vierges dans un bordel » (21)

Avis : Noir, c'est noir ! Mélange de souvenirs, de mémoires et de documentation... la fin étant la partie la plus réussie, car correspondant le plus ou le mieux au genre roman.

Citations : « Rien n'est blanc. Rien n'est noir. Tout est nuance. La vie est nuance et le Diable y habite » (p 30), « La proximité de la mort exacerbe la libido, tout comme le jeûne » (p 88).

PS : Selon le président de l'Union des écrivains algériens (de Amman/Jordanie, lors d'une soirée poétique animée, lundi 5 mars, au siège de la Ligue des écrivains jordaniens), « l'état de l'écriture en Algérie est excellent », notamment dans les domaines de la poésie, de la nouvelle, du roman et de la critique littéraire. Ce qui fait défaut, selon lui, « c'est l'encouragement et la promotion médiatique des créations littéraires et intellectuelles nationales ». Ce qui manque le plus, aussi, « c'est la non-commercialisation du produit littéraire algérien au niveau arabe ». Donc, peu de choses qui vont bien, et beaucoup qui vont mal ! Il est vrai qu'il n'a évoqué que ce qui va bien, l'« état » de l'écriture, c'est-à-dire la qualité du contenu (encore que !) ... mais pas la quantité, d'autant que les lecteurs (« mordus » ou non) ne sont pas toujours présents en abondance, en dehors du salon du livre, une fois l'an. Plus de curieux que d'acheteurs. De plus, à mon avis, quantitativement, actuellement, il y a beaucoup plus de livres de souvenirs, de mémoires (surtout de guerre) ... et de « beaux livres » et d'essais que de romans. Quant à la poésie ?

Par contre, il a grandement raison pour ce qui concerne le peu d'actions promotionnelles... mises à part celles entreprises par quelques (rares) libraires et éditeurs. Et, les cafés et autres rencontres littéraires en sont encore à leurs premiers balbutiements... quand ils sont permis par les autorités. Quant au marché international (arabe), ne rêvons pas ! Et, les rares belles hirondelles (comme Ahlem Mosteghanemi) n'arrivent pas (ou plus) à faire des printemps littéraires durables. A l'image du théâtre, du cinéma... et du football.