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L'Islam(isme) en question(s)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

L'alliance des civilisations. Un défi pour l'humanité. Essai de Mustapha Chérif. Casbah Editions, Alger 2017. 750 dinars, 166 pages.



Point de départ pour l'auteur : le concept d'alliance des civilisations, c'est-à-dire du dialogue, du partage et du vivre ensemble, local et mondial, juste, démocratique et celui de la signification du monde sont au cœur de la question de l'avenir de l'humanité. Aucune civilisation n'a le monopole des hautes valeurs. Tout comme aucun monde n'est seul à être producteur d'ethnocentrisme et de violence.

Il va, tout au fond de sa réflexion tenter de monter et de démonter que l'Islam vrai, ce «méconnu à cause d'une partie de ses adeptes», les «néo-salafistes», «une secte réactionnaire», ignorante et obscurantiste, n'est en rien mêlé aux «affres du temps» (radicalisme, violence, terrorisme...), tout en insistant sur le fait qu'actuellement, la majorité des conflits et des victimes concerne les pays musulmans...et qu'une bonne part de la source des conflits est, aussi, à imputer à certaines politiques (et économies) de certains pays dits «développés»...ainsi, hélas, qu'à certains «intellectuels», néo-conservateurs et islamophobes (et/ou sinophobes au départ ), tout particulièrement ceux qui ont développé le concept de «choc des civilisations» et de «fin de l'Histoire» comme F. Fukuyama, B. Lewis, Samuel Huntington, H. Kissinger... tout cela, bien sûr, avec la «complicité» avouée ou non de certains régimes des pays du Sud. A partir de là, les extrêmismes n'ont fait que s'alimenter... mettant à l'écart ou cloués au pilori ou jettés aux oubliettes, tous les visionnaires, bénéfiques et ouverts qui reconnaissent la nécessité du dialogue, de la négociation et de l'alliance des civilisations : Goethe, l'Emir Abdelkader, Iqbal, Garaudy, Guenon, Berque, Morin, Garaudy, Derrida, Levis Strauss...Un constat qui se trouve accentué par ce que l'auteur «descend en flammes» (sans pour autant donner des noms), «une partie des intellectuels de culture musulmane». Pour lui, «à la dérive», ils «ont perdu la foi, ou ne fréquentent pas les mosquées et leurs correligionnaires...et sombrent dans la haine de soi, le dénigrement et la condescendance». Une partie de l'ouvrage (p 71 à 74) assez sévère, pour ne pas dire injuste, à l'endroit de tous ceux qui «pensent autrement» ; en fait tous ceux qui tentent de promouvoir des analyses «historico-critiques».

L'Auteur : Professeur des Universités, philosophe, ancien ministre, ancien ambassadeur, auteur de plusieurs ouvrages...une œuvre récompensée par de nombreuses distinctions dont le Prix Unesco du dialogue des cultures et le Prix italien Ducci de la culture et de la paix

Extraits : «La culture du dialogue, de l'échange des idées, de la tolérance et de la symbiose, est en recul, alors que les hommes ont plus que jamais besoin les uns des autres «(p 13), «A cause des extrémistes, des actes criminels menés abusivement, au nom de l'Islam et des régimes islamiques archaïques, les musulmans sont perçus comme une exception, les derniers sous-développés politiques de la planète et des dissidents à l'ordre dominant» (p29), «Aujourd'hui, la fonction des ulémas, dans le monde musulman, où s'est accumulée la connaissance de la loi, s'est coupée de la marche générale du monde. Leur influence se limite à la question du statut personnel» (p 46), «Tant que les pays d'islam ne se réformeront pas politiquement et ne donneront pas la priorité aux savoirs et aux sciences et tant que l'Occident prétendra à la supériorité, cherchera à s'ingérer et ne comprendra pas l'Islam, la région sera confrontée à des perturbations»(p 68)

Avis : Défense et illustration de l'Islam... et critique de l'islamisme. Une réflexion truffée de vérités sur l'état actuel de l'Islam (en tout cas sur sa pratique)... mais aussi, bien souvent, bien peu optimiste ; le défi étant si grand.

Citations : «D'où vient l'injustifiable violence ? Les injustices et l'ignorance sont parmi les causes globales des réactions meurtières et inhumaines» (p 33), «Le problème est politique et éducatif. Des musulmans, aujourd'hui, ne sont pas libres, ni cultivés, ils ne savent pas discerner, ni penser, communiquer et anticiper sur les événements» (p 44), «Le monde musulman s'est ankylosé. Il a périclité. Depuis cinq siècles, il ne met plus assez l'accent sur le savoir et la connaissance...aujourd'hui des extrémistes donnent de lui la pire image qui soit. Ils le trahissent et font peur» (p 65), «Le Coran informe que l'Islam, au sens universe,l est la religion agréée et acceptée, mais seulement si la foi est alliée à la liberté, à la réflexion et aux actes justes» (p 87), «L'Islam est un, mais les musulmans sont pluriels...La multi-apparence est normale, légitime et naturelle» (p 116), «Le «bien commun» s'apprend, il ne se décrète pas» (p 151)



Islamo-Féminisme. Des femmes relisent les textes religieux Essai de Feriel Bouatta. Koukou Editions,Cheraga-Alger 2017. 500 dinars, 119 pages



Oxymore ? C'est le rapprochement de deux mots qui semblent contradictoires. Il en va, ainsi, du féminisme islamique... Et pourtant ! Car, ce'est tout le combat choisi par les femmes en terre d'Islam (et, aussi, de plus en plus, au sein des communautés implantées en Occident chrétien) : relire le texte religieux en le contextualisant pour légitimer la revendication d'un statut égalitaire. Non pas la seule équité mais bel et bien l'égalité ! Un combat qui a pris de l'ampleur avec les indépendances (au début des années 60) lorsque les pouvoirs en place, généralement celui de mâles, oubliant les luttes menées, côté à côte, contre le colonialisme, ont commencé à promulguer des lois inspirées de la Chari?a imposant ainsi le référentiel religieux pour régenter les rapports hommes/Femmes, dans la société. Presque partout, la femme se retrouve donc, en état d'infériorité juridique. Des exceptions : Atatürk, il y a de cela très longtemps et Bourguiba en Tunisie... La «Révolution islamique» des Ayatollahs en Iran, la guerre «sainte» contre le communisme en Afghanistan, la volonté de puissance, bien visible, de la version salafiste du wahhabisme saoudien, le recul du modèle laïc turc (devenu résolument islamo-conservateur ces dernières années ), la mondialisation (auquels j'ajouterai la perception déformée ou incomplète de l'Islam et de ses pratiques, par bien des médias occidentaux), feront le reste...

Mais, tout cela ne va pas décourager les «féministes»... que l'on retrouve, d'un côté comme de l'autre ?et c'est un phénomène pas si curieux que ça - défendant et/ou luttant selon plusieurs stratégies : radicale (comme celle des Moudjahidate algériennes et leurs «filles» ) réclamant l'application des droits universels humains... ; conciliante (comme celle des Iraniennes) réclamant, tout en restant dans le registre religieux, une lecture des textes et des dits sacrés plus souple, plus clémente, à l'égard des femmes... Mais, globalement toutes réclament la «justice des genres», c'est-à-dire l'égalité (des droits) et non plus seulement l'équité ( une concept défendu par les islamistes qui renvoie à la complémentarité hommes-femmes) .

L'Auteure : Née à Alger en 1986. Doctorante en sociologie (Université de Louvain la neuve/Belgique).

Extraits : «Une autre différence entre les féministes des deux pays (Algérie et Maroc) : les Marocaines sont plutôt dans la recherche du consensus avec le pouvoir politique et les instances religieuses, alors qu'en Algérie, il s'agit plus d'affrontement, d'opposition déclarée face au pouvoir en place» (p 26), « Le principe des islamistes algériens, formés à l'école des Frères musulmans d'Egypte, est simple : frapper l'imaginaire des laissés-pour-compte par la diffusion de l'utopie politico-religieuse qui fait rêver les «déclassés», en leur proposant un système dans lequel il y aurait une solution à tous les maux et où chacun trouvera sa place. Leurs premiers boucs émissaires et victimes ont été, d'emblée, les Algériennes» (p 34),

Avis : Un travail de recherche universitaire qui résume assez bien une situation bien complexe et devenue bien compliquée à cause des discours -surtout ceux des islamistes- radicaux.

Citations : «La mondialisation propage la réislamisation dans ses propres terres et au sein des communautés musulmanes, en Occident. Enjeu central, les femmes» (p 29), (on constate que) Dans pratiquement tous les pays musulmans, les pouvoirs en place ont essayé de composer avec le courant islamiste, mais (que) finalement, ils onttété dépassés» (p 42), «Il faut parler de féminismes islamiques au pluriel. Comme pour les autres types de féminismes, les positions des féministes islamiques sont locales, globales, diverses, multiples et en constante évolution» (p 56)



Le nationalisme arabe radical et l'Islam politique. Produits contradictoires de la modernité. Essai de Lahouari Addi. Editions Barzakh, Alger 2017. 800 dinars, 287 pages.



Un ouvrage dont le contenu est le fruit d'enseignements dispensés et d'un projet de recherche portant sur les régimes politiques du monde arabe et sur les deux grandes idéologies à forte mobilisation populaire : le nationalisme radical et l'islamisme. Deux idéologies politiques jumelles et rivales, portées, toutes deux, à des époques différentes, par la même énergie populaire de contestation de l'ordre politique.

Une analyse qui fait appel à l'histoire pour situer les événements fondateurs, mais reposant principalement sur la sociologie politique à travers le concept de représentation qui fonde la légitimité de l'ordre politique rêvé ou désiré. En quelques décennies, le nationalisme arabe radical (mené généralement par des élites «républicaines», souvent militaires et avec des emprunts -qui remontent aux courants libéraux de la fin du XIXè siècle -, au niveau de leur grammaire idéologique à l'idéalisme allemand, et au niveau de leur rhétorique du «socialisme arabe», au marxisme révolutionnaire) est passé du triomphe (en Egypte, en Irak, en Algérie, en Syrie, au Yémen, en Libye) au déclin. Tout cela face à des monarchies dont les intérêts politiques convergeaient avec ceux des puissances occidentales et monarchies encourageant, déjà, à partir des années 70, l'expansion de l'islamisme utilisé comme une arme idéologique. La hausse des prix des hydrocarbures depuis 1973 allaient vite enrichir et transformer lesdites monarchies en véritables puissances régionales...soutenant les rebellions, prenant, ainsi, leur revanche sur des régimes qui, quelques années auparavant, les accusaient de trahir les peuples arabes.

Le «retour de manivelle» est brutal, pour presque tous : épuisement ou mort du nationalisme arabe radical certes, mais permanence du populisme de type autoritaire, s'exprimant désormais, à travers l'islam politique qui ambitionne de réaliser les objectifs du nationalisme arabe radical en appliquant et/ou voulant appliquer ? bien souvent en dehors de ses terres et par tous les moyens, même les plus violents, une Chari'a mal interprétée. Beaucoup de questions, surtout liées à l'avenir des pays arabes. Pas mal de réponses apportées ou de pistes dégagées par l'auteur...qui revient, une fois de plus, en fin d'ouvrage, à l'idée de «régression féconde» car, dit-il, «le problème est que, sans eux (les islamistes), il n'y aura pas de transition démocratique, du fait même de leur poids électoral». Une idée qui ne tient pas (plus) compte, me semble-t-il, des immenses dégâts, de toutes sortes, causés, ces dernières années et aujourd'hui encore, par l' «islamisme politique »... assurément défendu en raison de la grande méfiance, pour ne pas dire plus, à l'endroit de l' «autoritarisme militaire»... et qui ne tient pas compte des changements de comportements sociétaux observés ; ces toutes dernières années. Une idée qui confond religiosité ambiante et mimétismes comportementaux changeants et islamisation durable.



L'auteur : Professeur de sociologie (Iep de Lyon), ancien chercheur associé au Crasc d'Oran... auteur de plusieurs publications consacrées à l'Afrique du Nord et l'islam politique... ainsi que du désormais «fameux» concept de «régression féconde»... sur laquelle il revient .



Extraits : «Depuis la moitié du XXè siècle, les pays arabes sont en attente d'un changement qui leur apporterait progrès et sécurité. Hier, c'étaient les nationalistes qui promettaient de réaliser cette attente ;aujourd'hui, ce sont les islamistes» (p 20), «Un secteur public est, certainement, une nécessité dans des pays sous-développés où le capital privé est porté à la spéculation et faiblement présent dans l'industrie. Il n'est cependant efficace ou rentable que si la justice est indépendante du pouvoir exécutif pour éviter qu'il soit le lieu de la prédation, du gaspillage et de la corruption» (p 61), «Les sociétés musulmanes n'ont pas réalisé que l'individu est né et qu'une nouvelle morale est à inventer, basée non pas sur la raison et la justice, mais sur la conscience et la liberté» ( p 152), «L'islamisme est un populisme... qui présente des similitudes avec le nationalisme arabe radical ou avec les populismes d'inspiration marxiste, fondés sur les utoppies révolutionnaires qui fascinent les masses populaires dans des périodes de crise économique et sociale» (p 200)

Avis : Une approche analytique et critique apportant indéniablement des éclairages (des clés ?) utiles pour comprendre (et affronter ?) la société «arabe» embourbée dans le nationalisme radical d'hier et l'islamisme politique d'aujourd'hui.

Citations : «Une nation n'est pas seulement un territoire avec des frontières géographiques protégées par des militaires;c'est surtout l'espace d'une société civile qui aura désacralisé la politique, sécularisé le droit et affirmé son autonomie, par rapport à l'Etat, dont les dirigeants rendent des comptes à leurs électeurs, dans un système pacifique d'alternance électorale» (p 25), «Le modèle populiste est marqué par une contradiction majeure : la sphère de la production et de l'échange, à vocation privée, est publique et la sphère de l'Etat, à vocation publique, est privatisée» (p 63), «La politique, ce ne sont pas que des idées et des projets qui attirent l'opinion, ce sont, aussi, des ressources matérielles qui créent un rapport de force disqualifiant les idées des concurrents» (p 107), «Etant une ressouce du nationalisme, la religion divise parce qu'il y aura toujours une personne -ou un groupe de personnes ? qui se sentira plus proche de Dieu que les autres» (p 115), «L'islamisme n'est ni l'expression d'un retour du religieux, ni d'un schisme; c'est un mouvement socio-culturel et politico-idéologique répondant à la déstructuration des sociétés musulmanes, suite à leur insertion dans la modernité qu'elles subissent et dont elles ne maîtrisent pas les dynamiques» (p 138), «Plus la réalité est dure, plus le rêve susceptible d'y échapper est magique» (p 191), «L'idée que la puissance de l'Etat est d'abord intellectuelle, ne peut pas être comprise par un militaire pour qui l'avenir des nations se décide par les armes» (p 278), «Si le nationalisme radical a militarisé la politique, les islamistes ont politisé la religion pour délégitimer leurs adversaires «(p 278)

PS : J'ai lu quelque part qu'une récente étude réalisée par le Crasc (Oran) a révélé qu'une majorité d'Algériens (80%) est aujourd'hui favorable à un «islam laïc». Fini donc le «rêve» fissiste d'un «Etat islamique» en Algérie...et place au modèle turc...Quelle Turquie ? Celle d'Atatürk ? Celle des généraux ? Celle d'Erdogan ? Ou, celle des touristes et de Turkish Airlaines ? Ou celle des séries télé exportées ? On ne sait pas....