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Une lutte jamais finie !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Six ans au maquis. Récit de Yamina Cherrad Bennaceur, avec la collaboration de Rachida Moncef (Préface de Lamine Khène). El Kalima Editions, Alger 2017. 700 dinars, 197 pages



Elle a patienté longtemps avant de se décider à décrire (et à écrire) son parcours de Moudjahida et d'infirmière (en armes) de six années dans les maquis de l'Est algérien, dans la wilaya II, en «petite Kabylie», entre Collo, Jijel, Taher, El Aouana, Mila, El Eulma...

Six années pleines. Du 12 novembre 1956, à partir de Sétif, à juin 1962. Elle n'avait que vingt ans quand elle franchit le pas... et seules sa mère et sa grande sœur avaient été mises au courant du départ. Le père, décédé en 1957 -non mis dans la confidence- comprenant assez vite par la suite, ne lui fit jamais le reproche.

Première étape, les environs de Djebel Babor.

Les autres étapes, et il y en eut, vont défiler au rythme de la guerre. Des moments souvent difficiles et douloureux (surtout lorsqu'on perd, au champ d'honneur, des camarades de combat? surtout en temps de pénuries de médicaments... surtout en constatant les dégâts causés par les armes de «destruction massive» utilisées par l'armée coloniale comme le napalm... surtout l'on perd l'époux, Bachir Bennaceur, un médecin, tombé au champ d'honneur à Constantine dans la nuit du 1er au 2 décembre 1961... et, hélas, aussi, lors des moments de «suspicion généralisée» entraînant parfois des «interrogatoires assez serrés»... et, elle a même failli être exécutée suite à la «dénonciation» calomnieuse d'un espion infiltré dans les rangs des combattants. D'autres ont eu bien moins de chance comme la pauvre Tayouche, victime bien plus de la misogynie ambiante que de son écart amoureux (voir annexe, p 174). Des moments parfois tranquilles et même heureux (comme les accueils chaleureux, bien que risqués, des populations ou, alors, accueillie à Jijel au sein d'une famille le temps d'accoucher, le 11 décembre 1961). Un long parcours lié aux nécessités et aux besoins médicaux du maquis et à la protection des centres de soins : Djebel Babor, Oued Kebir, Zouitan, Les Menazel, Djebel Halfa, Boudaoud, Les Menazel, Ouled Asker, Beni Afer, Bouhanch, Tamezguida, Beni Afer, Texenna-Agla, Guerrouche, Bouhanch... et une certaine «errance» durant les années 60-61 (période des «camps de regroupement»... qui avaient pour but de «vider» les campagnes de leurs populations)

Fin de la guerre : Jijel, Agla- Hmadcha... Démobilisation: Constatine à la Ferme Ameziane (afffectée au dispensaire)... puis les luttes intestines pour la prise du pouvoir... Infirmière au lycée El Houriya... et 55 ans après l'Indépendance... son récit...

L'Auteure : Née en 1936 à Bel-Air, un quartier excentré de Sétif. Parmi les toutes premières diplômées, en 1953, de l'Ecole d'infirmières de Sétif (13 au total, dont Malika Gaid). Elle rejoint le maquis en novembre 1956... Elle avait 20 ans.

Extraits : «Certaines images entrevues (à Alger, après l'examen final d'infirmière), notre passage à la Casbah surtout, nous ont fait prendre conscience, encore plus qu'à Sétif, des différences de niveau de vie entre Européens et Musulmans. Malika (Gaid) avait raison, nous étions des colonisés et l'injustice était flagrante» (p 51), «La vie de djoundi n'était pas facile, au quotidien... mais sa vie était préférable à celle de beaucoup d'Algériens, livrés au chômage, à la misère et à la brutalité de l'ennemi» (p73), «Dans tous les cas, aucune moudjahida de ma connaissance n'a jamais témoigné qu'on lui ait demandé de faire ou de servir le café comme on le voit aujourd'hui communément dans les bureaux où des femmes travaillent» (p75)

Avis : Quel parcours. Quelle mémoire ! Tout est raconté avec détails, avec simplicité, avec humilité, avec fierté... et avec un seul espoir : que les chouhada (et la liste est longue, entre autres celle des moudjahidate infirmières et/ou morchidate formées par le service Santé ; voir annexes) ne soient pas oubliés. Madame, respect !

Citations : «Au début (pendant les années 1957 et 1958), nous avons eu des problèmes. Beaucoup de maquisards n'acceptaient pas encore notre présence... C'était eux, les durs, nous des mauviettes, des filles !» (p 113), «Nous, les maquisardes, étions, en réalité, livrées à nous-mêmes (entre mars et juin 1962). Les responsables devaient sans doute être occupés à gérer le cessez-le-feu et à préparer l'après-révolution...» (p 154), «Lorsque les conflits ont éclaté entre révolutionnaires de l'intérieur et de l'extérieur, tout a changé. Pour moi, la guerre a recommencé... Après la joie partagée de l'indépendance, ce fut le désarroi» (p 160)



Un été sans juillet. Algérie, 1962. Roman de Salah Guemriche. Editions Frantz Fanon, Alger 2017. 600 dinars, 244 pages.



Dans sa note aux lecteurs, l'auteur confie que son roman aurait pu être «le roman de l'indépendance». Seulement, dit-il, au lexique de sa mémoire, ce mot-là ne figurait nulle part. Sévère, sévère... Il n'a pas tort, car lorsqu'on termine la lecture, tout particulièrement pour ceux qui avaient vingt ans (l'âge de l'observation critique) en 1962 et cinquante ans en 1993 (l'âge de la réflexion critique et de la gestion de situations), on ne peut s'empêcher d'être bouleversé par la réalité décrite ou/et suggérée par l'auteur.

Avec un temps historique délibérément «contracté» et un va-et-vient dans sa description des ébullitions sociales, l'auteur nous conte l'histoire d'un «jon's» entrant dans un coma victime d'un attentat Oas... le 1er juillet 1962. Trente-trois jours plus tard, le «déplacé» (ainsi appelé par les psychanalystes), seize ans à peine, souffre d'une «amnésie élective». En fait, une cause-écran qui cachait la cause profonde liée à un mécanisme affectif : Larbi, notre jon's, n'a jamais supporté les injustices commises par tous les autres «Larbi».

Entre ce qu'il avait vu, connu et subi durant la situation issue des Accords dits d'Evian, en mars, annonçant un «cessez-le-feu» - avec son lot de combattants mais aussi de «marsiens» sortis d'on ne sait quel «trou» de la masse silencieuse et spécialiste de la surenchère ( représailles anti-harkis, ruée sur les biens vacants, lynchage d'un militant pro-Aln bien connu mais qui avait le malheur de porter le nom de Lévy) et avec les provocations des criminels de l'Oas ? et la nouvelle situation dans un pays indépendant (dont les privilèges exorbitants associés au titre de «fils de martyr», le favoritisme, les mises à l'écart, l'usurpation de droit venant supplanter l'usurpation de fait, un nouvel arbitraire)... que de traumatismes, que de nouveaux combats presque perdus d'avance, que de désillusions...

Une histoire assez complexe, une écriture compliquée... comme le pays... comme l?auteur... comme tous les «Larbi»... Pour certains, le cauchemar continue, pour d'autres, le coma aussi.

L'Auteur : Né en mai 1946 à Guelma. Etudes secondaires à Annaba. Université de Constantine. Ancien journaliste, essayiste, romancier, auteur de plusieurs ouvrages parus, pour la plupart, en France et un ouvrage, «Aujourd'hui, Meurseault est mort» paru aux éditions Frantz Fanon et déjà présenté in «Médiatic».

Extraits : «L' «Attestation communale»... Que votre sésame portât la griffe du chef historique du moment, et vous voilà digne des «maquisards» du 19 mars», les «Marsiens», combattants de la 25e heure...» (p 25), «La caserne jouxte l'hôpital, l'hôpital fait face au tribunal et le tribunal jouxte la prison : idéale, pour le traitement des suspects, cette topographie militaro-juridico-pénitentiaire le fut sous l'Algérie française, et le restera après l'indépendance» (p 144).

Avis : A lire lentement pour comprendre l'objectif de l'auteur... mais, ouvrage à ne pas mettre entre les mains des moins 16-18 ans... car quelques pages assez chaudes, très, très chaudes (pp 176 à 192) décrivant - avec force détails - une «réunion à trois», une «p...ze» !

Citations : « Les privilèges associés à ce titre de «fils de martyr» étaient exorbitants, au point que des enfants de chouhada, il en naissait partout... Ce statut était devenu si convoité qu'un jour, un enfant, à qui son père demandait quel métier il rêvait de faire plus tard, répondit les yeux brûlants d'envie : «fils de chahid !» (p 71), «Ben Bella s'était bien promis de «faire fondre leur graisse aux bourgeois», et le petit peuple avait applaudi à tout rompre. Quelques semaines plus tard, la bourgeoisie avait bien fondu, mais fondu dans l'anonymat des prête-noms» (p 151).



Les indépendances au Maghreb. Etudes du Crasc et Irmc, sous la direction de Amar Mohand-Amer et Belkacem Benzenine (Préface de Hassan Remaoun). Editions Crasc, Oran 2012. 800 dinars. 287 pages



L'indépendance ? Un événement politique majeur dans le long (et, bien souvent, douloureux) cheminement d'un pays. Une situation politique se clôt, une nouvelle ère de tranformations radicales dans tous les domaines commence. Au Maghreb, et en Algérie, bien plus qu'ailleurs, avec une colonisation de peuplement brutale et massive, n'ayant rien à voir avec le régime de protectorat (lui aussi tout aussi brutal), la fin du régime colonial et les indépendances constituent des marqueurs historiques importants... Toutefois, les processus d'accès à l'indépendance, la gestion politique de ce basculement, la passage de la populations de l'état de colonisés à celui de citoyens d'une société libre et les dynamiques de développement et de (re-)contruction diffèrent d'un pays à l'autre.

Cinquante ans après, où en sommes-nous en ce qui concerne les espoirs et les aspirations des peuples, les défis des Etats et les «credos» révolutionnaires ?

Dix-huit chercheurs et universitaires (chercheurs reconnus dans leur spécialité, ainsi que des doctorants), algériens et étrangers, tentent à travers cette œuvre collective, aux centres d'intérêt multiples, d'y répondre.

Trois grandes parties :

-Indépendance nationale et processus de transition

-Enjeux nationaux et projets de société

-Des sociétés coloniales aux Etats nationaux : devenir sur la marge

Près d'une vingtaine de thèmes traités sous le prisme de l'interdisciplinarité

L'Auteur : Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (Mesrs). Technopole Usto, Bir El Djir (Oran) E-mail : crasc@crasc-dz.org. Site web : http://www.crasc-dz.org

Extraits : «En Algérie comme dans tous les pays, langues et sources du droit vivent ainsi dans une grande proximité les unes des autres et participent indéniablement, avec d'autres facteurs d'ordre culturel, à la construction de l'ordre juridique algérien» (Nourredine Bessadi, p 31), «Ibn Khaldoun ne s'était pas trompé en considérant «le prosélytisme religieux» comme l'un des facteurs fondamentaux venant s'ajouter à celui du «tribalisme et du clanisme» dans sa théorie sur les origines et la chute de l'Etat» (Tahar Saoud, p 121).

Avis : Pour mieux comprendre les comas et les cauchemars qui ont jalonné notre histoire contemporaine

Citation : «Sous la direction de Ben Bella, la République algérienne se comportait comme une femme adultère : mariée publiquement à l'islam, elle couchait discrètement dans le lit de Staline» (Ferhat Abbas, cité par Belkacem Benzenine, p 113).

PS: 1/L'illustration présentée de l'ouvrage de Zahir Ihaddaden (Mediatic, jeudi 08 février 2018), «Itinéraire d'un militant», ne correspond pas à la couverture réelle. Avec toutes nos excuses pour cette erreur technique.

2/ Ouvrage - à signaler aux éditeurs et/ou importateurs nationaux - de James McDougall, maître de conférences à l'université d'Oxford : «A History of Algeria» Cambridge, Cambridge University Press, 2017, 448 pages.

Alliant travail d'archives et de terrain, J. McDougall offre les fruits d'une recherche massive qui va bien au delà de la simple synthèse.

Son fil rouge est le rapport entre État et société. J. McDougall s'inscrit contre ce qu'il voit comme le stéréotype d'une société algérienne atomisée face au « pouvoir », pour montrer la persistance d'institutions sociales et de communautés locales. Il croise des éléments de narration politique avec des plongées dans des localités et des personnages précis, autant de vignettes qui brossent un portrait pluriel de la société algérienne.

Comme toute œuvre sur une période longue, les choix les plus intéressants se font au niveau de la chronologie. Le parti pris de se déployer de 1516 à 2012 permet surtout de dépeindre des continuités longues à travers les périodes ottomanes, françaises et indépendantes, ce qui constitue la force principale de l'ouvrage.