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La grève pour unique secours

par Dr. Khadir Mohammed

La féroce répression des médecins résidents qui manifestaient pacifiquement pour revendiquer légitimement la fin de la discrimination dont ils font l'objet par rapport aux autres Algériens est révélatrice d'une gouvernance dont l'ADN est l'autoritarisme et où les décideurs sont profondément convaincus qu'administrer un pays c'est comme gérer une caserne : il suffit de vendre du pétrole et d'acheter des biens alimentaires pour la populace et importer des médecins étrangers notoirement incompétents qui ne parlent aucune langue de celles parlées par les Algériens et quand les ressources financières viennent à se raréfier il suffit d'affecter autoritairement les jeunes médecins spécialistes dans les wilayas déshéritées des Hauts-Plateaux et du Sud.

Il est de notoriété publique que dans ces wilayas déshéritées, dont celles qui constituent les mamelles de l'Algérie et qui fournissent le pétrole et le gaz grâce auxquels se maintient le pouvoir, sévit le sous-développement économique et sanitaire. Les établissements publics de santé sont sous-administrés, sous-équipés et pérennisent une forme d'anarchie et d'irresponsabilité héritée du temps de la gestion socialiste des entreprises et des équipes des médecins étrangers qui étaient complètement indifférents à la bonne organisation et fonctionnement des services médicaux.

Le jeune médecin spécialiste affecté dans ces structures hospitalières se trouve d'emblée isolé, souvent le seul praticien (gynécologue ou pédiatre) de la wilaya, ne bénéficiant de logement de fonction qu'après de long mois d'exercice parce qu'il faudrait attendre que le wali attribue un quota et parce que, souvent, les anciens logements libérés par les médecins qui se sont acquittés du service civil sont squattés par les responsables administratifs de la santé.

De surcroît, cette ou ce médecin, à 30 ans voire plus, se trouve, quelquefois, séparé de son conjoint et de ses enfants quand bien même ledit conjoint serait médecin, parce que la politique du saupoudrage de praticiens spécialistes pratiqué le ministère, persiste à ignorer le regroupement familial, populisme oblige !

L'inexpérience, le manque d'équipement, la confrontation avec la population locale sous tension permanente en raison des difficulté existentiels, l'insécurité juridique qui fait peser sur chaque praticien le spectre de l'incarcération en prison et comble du mépris un salaire équivalent au 1/5ème de celui d'un plombier ne sont pas de nature à motiver les médecins spécialistes à exercer dans ces déserts médicaux.

Pourtant cela fait plus de 15 ans que le syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique à travers les différentes réunions avec le ministère de la Santé, à travers les mouvements de grèves durant les années 2000 et via les communiqués de presse ne cesse de dénoncer le service civil dans sa forme actuelle et de formuler des propositions rationnelles pour mettre en place une vraie politique de motivations afin d'installer de manière pérenne des équipes médicales pluridisciplinaires dans les établissements publics hospitaliers des Hauts-Plateaux et du sud du pays.

Il semble que chez nous, les décideurs autistes préfèrent gérer par le pourrissement tout problème social auquel se trouvent confrontée une partie des citoyens en fermant toutes les portes de la conciliation et interdisent toute forme pacifique de contestation obligeant par là même le recours aux solutions extrêmes comme la grève ou l'émeute.

D'ailleurs s'il n'y avait pas eu la grève des médecins résidents on n'aurait jamais entendu, de la part du ministère de la Santé, ces déclarations sur l'amélioration des conditions d'accueil et de travail des praticiens médicaux. Il suffit de visiter quelques hôpitaux de l'intérieur, présentement, pour constater qu'il y a des praticiens médicaux spécialistes affectés depuis plus de 02 ans et donc en quasi-fin de service civil qui n'ont toujours pas de logement de fonction et qui sont contraints d'avoir à assurer uniquement les gardes !

Il n'est pas étonnant qu'une fois la tension tombée et la reprise du travail par les médecins résidents réalisée toutes les promesses relatives à l'amélioration des conditions socioprofessionnelles s'évaporeront et la politique du largage reprendra ses droits comme c'est la tradition politique chez nous !

Pourtant il est manifeste que la transition démographique et épidémiologique chez la population algérienne génère un développement des maladies lourdes et chroniques comme le cancer, les affections dégénératives, l'insuffisance rénale qui, conjuguées à l'accroissement des accidents et des handicaps, amplifient la demande de soins même dans ces wilayas déshéritées.

Dès lors, la pérennisation du turn-over d'un corps médical hospitalier instable induit par le service civil est, indubitablement, incompatible avec un fonctionnement efficace et régulier des hôpitaux et fait que des actes médicaux même élémentaires, non tributaires des moyens technologiques sophistiqués, soient mal ou pas assurés.

L'hôpital moderne s'affirme comme un centre de soins spécialisés consacrés aux urgences, au diagnostic et au traitement des maladies lourdes. Sa performance ne se mesure désormais plus en capacité de lits ou en terme statistique de nombre de journées d'hospitalisation. Elle s'apprécie dans la valeur du plateau technique et dans celle des équipes médicales qui y exercent !

Malheureusement il semble, au regard des stratégies sanitaires en vigueur, qu'il n'existe aucune volonté politique d'asseoir définitivement un système de soin cohérent à même d'assurer une sécurité sanitaire et de prise en charge de qualité des différents besoins de santé de l'ensemble des Algériens quel que soit leur lieu de résidence et leur niveau de revenus.

D'ailleurs, si un système de soins scientifique il y avait comment se fait-il que des médecins spécialistes en formation bloquent le fonctionnement des CHU ? Est-ce à dire que c'est les médecins résidents qui assurent la prise en charge des malades relevant des soins tertiaires, c'est-à-dire les soins hyper-spécialisés ?

Il semble que c'est le cas et cela illustre parfaitement la difficile renaissance du système hospitalier algérien qui s'enfonce inexorablement vers les abîmes de l'archaïsme !