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L'affaire du lait infantile contaminé, suite et, espérons, fin !

par Bouchikhi Nourredine

Le scandale du lait contaminé des laboratoires Lactalis, et pour faire simple, Celia en Algérie, continue à susciter des réactions au plus haut niveau outre-mer. La presse lui consacre quasi quotidiennement des articles.

Les derniers développements font état d'une ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet de Paris portant sur plusieurs griefs, entre autres blessures involontaires, mise en danger d'autrui, tromperie et inexécution d'une procédure de retrait ou de rappel d'un produit préjudiciable à la santé ; charges dont les laboratoires ne sortiront pas indemnes si elles se confirment.

Des particuliers ainsi que des associations de défense des consommateurs montent au créneau en saisissant la justice ou en s'apprêtant incessamment à le faire devant les tribunaux français.

En Algérie la réaction des pouvoirs publics a été très timide et même si des lots ont été retirés, certains commerçants véreux continuent à vendre le produit Celia sans qu'ils soient inquiétés.

L'affaire est trop sérieuse pour être prise à la légère. La contamination éventuelle de ce lait largement utilisé en Algérie, sinon le plus utilisé, remonte à plusieurs mois. Et a posteriori nous sommes en droit de nous poser des questions en tant que professionnels, car nous avons constaté ces derniers mois une recrudescence inhabituelle de gastro-entérites que nous avons hâtivement mises, pour la plupart d'entre nous, sur le compte d'une épidémie virale saisonnière bien que la symptomatologie fût anormalement plus sévère avec des diarrhées plus rebelles et prolongées, une augmentation du nombre de malades à hospitaliser, des ruptures de médicaments anti-diarrhéiques, de substituts de laits et même des sels de réhydratation ; chose qu'on n'avait pas vue depuis bien longtemps. Tous ces éléments devaient normalement attirer l'attention et tirer la sonnette d'alarme, mais il n'en fut rien. Deux explications à cela. La première est la confiance aveugle dans des laboratoires de renommée mondiale qui semblent maîtriser le processus de l'asepsie et seraient ainsi au-dessus de tout soupçon ! Alors que la réalité confirme le contraire et que nul n'est infaillible.

La seconde est l'absence de vigilance des professionnels que nous sommes (mea culpa ) due au fait que malgré l'existence d'une réglementation qui stipule la déclaration aux services concernés de toute symptomatologie suspecte a fortiori quand il s'agit d'épidémies, personne n'a jugé alors utile de le faire, par absence de réflexe et surtout pour des raisons pratiques. Car si le procédé déclaratif est plus simple dans les structures publiques, il est beaucoup plus compliqué dans le secteur privé. Il suppose un travail administratif de plus qui exige du temps et de la disponibilité. Deux conditions difficilement réalisables d'autant plus que la déclaration obéit toujours à des procédures archaïques : il faut un support papier et des imprimés normalisés pas toujours disponibles qui, une fois remplis, devraient être ensuite déposés à la direction de la santé ou au service de médecine préventive (SEMEP), ce qui décourage plus d'un. Cette procédure devra être impérativement modernisée. Il faut mettre à la place une déclaration en ligne, ce qui constituerait un gain précieux en temps et offrirait une nuée d'informations utiles et indispensables sur la plupart des maladies contagieuses dont certaines exigent des décisions rapides au risque de constituer une menace pour la santé publique. La déclaration a d'autres atouts et permet aux décideurs de définir les stratégies de prévention et de lutte contre les maladies transmissibles, et surtout de disposer de statistiques fiables beaucoup mieux exploitables.

Nous pouvons donc affirmer que cette affaire a été révélatrice et a mis à nu les insuffisances en matière de veille sanitaire qui implique tous les professionnels et leur tutelle et qu'il va falloir revoir de fond en comble la question et en tirer les conclusions puisque il aurait pu s'agir de problèmes beaucoup plus sérieux.

Et pour ce qui est de l'affaire du lait contaminé, comme il aurait été possible qu'il s'agisse de n'importe quel autre produit destiné à l'alimentation humaine ou un médicament, les autorités doivent mettre en place des mécanismes qui facilitent aux personnes lésés de se confronter à ces géants de laboratoires (qu'ils soient de laits ou de médicaments) pour endosser toute responsabilité et assumer les conséquences en cas de manquements à leurs obligations contractuelles et surtout d'information et de préservation de la santé. Dans le cas de cette affaire nous pouvons être certains que si elle n'a pas été révélée au grand jour en France, il serait étonnant que nous fûmes avisés de cet incident. Heureusement que l'accès à l'information en ligne et son relais par les réseaux sociaux vigilants a été décisif, au moment où notre presse nationale a accordé peu de crédit à la question sinon quelques articles rédigés avec bienveillance se contentant pour plupart de relayer les communiqués de presse diffusés par le laboratoire dont le souci est en premier lieu de défendre ses propres intérêts.

Si le citoyen algérien est maintenant prompt à traîner en justice ses concitoyens professionnels chaque fois qu'il s'estime être mal soigné, c'est une autre paire de manches que de se mesurer à des multinationales. Cela exige des cabinets spécialisés et une aide juridique compétente qui ne pourra être assurée que par l'Etat, sachant que ces laboratoires n'hésiteront pas une seconde à utiliser tous les moyens s'ils estiment que leur intérêt est menacé. C'est le cas de plusieurs sociétés nationales qui sont souvent traînées devant des juridictions internationales. Alors autant prendre les devants pour faire face à toute éventualité et puisse cet incident nous servir de leçon pour mieux parer à la défense de l'intégrité physique et de la santé des citoyens.